L'année 2009 a été marquée par une augmentation de la violence et des abus brutaux de droits humains en République démocratique du Congo. Deux campagnes militaires menées par l'armée congolaise dans l'est et dans le nord du pays ont entraîné un accroissement du recours à la violence envers les civils par les forces rebelles et gouvernementales. Au moins 2 500 civils ont été massacrés, plus de 7 000 femmes et filles ont été violées, et plus d'un million de personnes ont été forcées à fuir leurs domiciles. Le nombre total de personnes déplacées a dépassé les 2 millions, avec pour la majorité d'entre elles un accès limité ou inexistant à l'aide humanitaire, ce qui les a poussés à retourner dans des zones dangereuses pour trouver de la nourriture. Les soldats de la paix de l'ONU ont apporté leur soutien aux opérations de l'armée congolaise et se sont battus pour donner un sens à leur mission de protection des civils.
L'impunité, déjà manifeste, s'est enracinée avec la promotion de Bosco Mtaganda au rang de général, malgré le mandat d'arrêt à son nom délivré par la Cour pénale internationale (CPI). En juillet, le gouvernement a annoncé une politique de tolérance zéro à l'égard des abus de droits humains commis par ses soldats, mais n'a arrêté qu'un petit nombre d'entre eux. Les violentes attaques contre les défenseurs des droits humains et les journalistes se sont poursuivies partout dans le pays.
Violence dans l'est et dans le nord du pays
En janvier 2009, le paysage politique de l'est du Congo s'est radicalement transformé. Le président Joseph Kabila et Paul Kagame, son homologue rwandais, ont passé un accord pour se débarrasser de leurs ennemis respectifs. Le Rwanda a mis fin à la rébellion du mouvement congolais appelé le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), dirigé par les Tutsis, en arrêtant son dirigeant, Laurent Nkunda, et en forçant ses combattants à entrer dans les rangs de l'armée congolaise. En échange, le gouvernement congolais a autorisé la présence des soldats rwandais dans l'est du pays pendant cinq semaines pour permettre des opérations militaires communes contre les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), groupe rebelle dirigé par les Hutus, dont certains chefs ont pris part au génocide de 1994. Suite à cette opération éclair, les deux gouvernements ont insisté auprès des soldats de la paix des Nations Unies pour obtenir leur soutien au cours d'une seconde phase d'opérations militaires pour finir le travail. Face aux pressions, et pensant que les soldats pourraient mieux protéger les civils en prenant part aux opérations, les Nations Unies ont donné leur accord.
Ces opérations militaires ont été un désastre pour les civils. Les FDLR ont lancé des attaques délibérées et ciblées contre les civils, en ayant recours au meurtre et au viol pour faire payer à la population la nouvelle position adoptée par le gouvernement vis-à-vis d'eux. Au cours du pire épisode de violence, les FDLR ont massacré les villageois de Busurungi dans la province du Nord-Kivu. Dans la nuit du 9 au 10 mai, au moins 96 civils ont été abattus à coups de machette où brûlés vifs. L'armée congolaise n'a pas pu protéger ses propres concitoyens de telles attaques et elle-même a pris pour cible des civils qu'elle pensait être des collaborateurs des FDLR, ainsi que des réfugiés rwandais hutus. Lors d'un incident qui s'est déroulé entre le 27 et le 30 avril, les soldats de l'armée congolaise ont attaqué des campements dans la région de Shalio et ont tué de sang-froid au moins 129 réfugiés. De nombreuses victimes ont été frappées à mort avec des massues.
Les forces de maintien de la paix des Nations Unies au Congo, par le biais de la MONUC, se sont efforcées d'équilibrer leur mission de protection des civils et leur soutien envers les opérations congolaises. Les soldats de la paix ont fait des efforts remarquables pour protéger la population civile et ont certainement sauvé des vies ; toutefois, dans de nombreux cas, ils sont arrivés trop tard ou ne jamais arrivés.
Au mois d'octobre 2009, les opérations militaires avaient réussi à démobiliser 1 100 combattants des FDLR, sur un effectif estimé à 6 000. Mais ce succès s'est payé chèrement : entre janvier et septembre, plus de 1 300 civils ont été assassinés dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu. La majeure partie des victimes ont été des femmes, des enfants et des personnes âgées. Des milliers de civils ont été enlevés pour être soumis à des travaux forcés et plus de 900 000 personnes ont fui pour survivre. Les FDLR et les soldats congolais ont pillé les biens des victimes avant de réduire en cendres 7 000 habitations, selon les estimations. Déjà victimes de la pauvreté, les civils ont tout perdu.
Les attaques menées dans le nord du Congo par le mouvement rebelle ougandais de l'Armée de résistance du seigneur (LRA) ont également frappé de plein fouet les civils congolais. Lorsque l'armée ougandaise a réduit l'importance de ses opérations militaires contre la LRA au Congo, la protection des civils a majoritairement été laissée entre les mains de l'armée congolaise et des soldats de la paix de l'ONU. Les meurtres et les enlèvements de civils ont continué, entraînant le déplacement de plus de 200 000 personnes, lesquelles ont fui des zones les plus touchées du Haut-Uele et du Bas-Uele, dans la province Orientale. (Voir également le chapitre traitant de l'Ouganda.)
Violences sexuelles
Les opérations dans l'est du Congo ont été accompagnées de viols. La situation de la région, déjà connue pour être le pire endroit au monde pour les femmes, s'est encore détériorée. On estime à environ 7 000 le nombre de cas de violence sexuelle contre les femmes et les filles enregistrés par les centres de santé du Nord-Kivu et du Sud-Kivu au cours des sept premiers mois de 2009, soit plus du double qu'en 2008. En avril 2009, le gouvernement congolais et la MONUC ont adopté une stratégie de lutte contre la violence sexuelle, sans réussir cependant à réduire le nombre de viols.
Malgré une augmentation du nombre de cas de violence sexuelle jugés par des tribunaux militaires au cours de l'année 2009, seuls quatre officiers ont dû rendre des comptes. Les fonds destinés à la protection des femmes contre le viol sont restés à un niveau effroyablement bas. En mai, les représentants de la mission du Conseil de sécurité envoyée au Congo ont remis au gouvernement une liste d'officiers haut placés qui selon eux étaient coupables de viols. Les représentants ont demandé que ces derniers, parmi lesquels se trouve un général, Jérôme Kakwavu, rendent des comptes à la justice. Au mois d'octobre, deux d'entre eux avaient déjà été arrêtés.
Menaces envers les journalistes et les défenseurs des droits humains
En août 2009, Bruno Koko Chirambiza, journaliste à Radio Star, a été assassiné à Bukavu, dans l'est du Congo, par un groupe de huit hommes armés à environ 150 mètres d'un poste de police. Il s'agissait alors du troisième journaliste tué dans cette ville depuis 2007. En septembre 2009, trois femmes journalistes de Bukavu ont reçu des menaces de mort, ce qui a poussé la MONUC à appeler publiquement les autorités congolaises à prendre des mesures pour assurer la protection des journalistes.
Le 26 juillet, le gouvernement congolais a interrompu les programmes de Radio France internationale (RFI) après la diffusion d'un programme qui avait énuméré les problèmes rencontrés au sein de l'armée congolaise. Selon le ministre de la Communication et des médias, RFI incitait les soldats à la révolte. En août, trois stations de radios locales ont été menacées de fermeture si elles ne mettaient pas un terme à la rediffusion des programmes de RFI.
En mai, des hommes armés ont menacé de mort Anicette Kabala, secrétaire exécutive de l'organisation Parlement de la jeune fille (PAJEF), qui vient en aide aux femmes dans la localité de Kalemie, si elle ne renonçait pas à s'occuper du dossier de jeunes filles qui avaient porté plainte pour viol. Son frère a été tué par balles alors qu'il tentait de s'interposer. Le 1er octobre, des hommes armés ont attaqué la maison d'une autre femme défenseuse des droits humains à Bunia et ont menacé de la violer et de violer sa fille pour leur faire payer leur rôle dans les procès se tenant à la CPI.
En juillet, Golden Misabiko, président de la section katangaise de l'Association africaine pour la défense des droits de l'Homme (ASADHO), a été arrêté par l'Agence nationale de renseignement (ANR) après la publication d'un rapport sur l'exploitation illégale d'une mine d'uranium. Il a été jugé et condamné pour diffusion de fausses informations et atteinte à la sûreté de l'État. Misabiko a fui le pays et quatre de ses collègues ont reçu des menaces de mort. Robert Ilunga Numbi, le président des Amis de Nelson Mandela pour la défense des droits humains (ANMDH), a également été arrêté le 31 août à Kinshasa par des agents de l'ANR.
Justice et lutte contre l'impunité
La lutte contre l'impunité a été mise à mal par la promotion de Bosco Ntaganda au rang de général, en dépit d'un mandat d'arrêt délivré par la CPI pour des crimes de guerre commis en Ituri entre 2002 et 2004. D'autres personnes coupables d'abus de droits humains ont également été intégrés dans l'armée, comme Jean-Pierre Biyoyo, qui avant cela avait été reconnu coupable par un tribunal militaire de recrutement d'enfants soldats. Il s'était échappé de sa garde à vue peu après. Le gouvernement a justifié son incapacité à arrêter les officiers militaires haut placés en prétendant donner la priorité à la paix plutôt qu'à la justice. Les groupes de défense des droits humains locaux et internationaux ont protesté contre cette orientation.
Quelques cas déterminants sont venus contredire cette grave tendance. Le 5 mars 2009, le commandant maï-maï Gédéon Kyungu Mutanga, aux côtés de 20 autres accusés, a été condamné par un tribunal militaire katangais entre autres pour crimes contre l'humanité. Également en mars, à Walikale dans le Nord-Kivu, 11 soldats ont été condamnés pour viol en tant que crime contre l'humanité. Le 27 juillet, dans un exemple rare de procès contre un gradé, le colonel Ndayanbaje Kipanga a été condamné par contumace à la prison à vie pour crimes contre l'humanité après des poursuites pour viol. Il s'est échappé peu avant le procès.
Le 26 janvier 2009, le premier procès devant la CPI a commencé. L'ancien chef de guerre congolais Thomas Lubanga Dyilo a dû répondre d'accusations de crimes de guerre pour avoir utilisé des enfants soldats lors du conflit en Ituri. Le premier jour du procès a été retransmis à la télévision à travers tout le Congo. Le procès de deux autres chefs de guerre d'Ituri, Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, a débuté le 24 novembre.
Acteurs internationaux clés
Encouragés par le rapprochement historique entre le Congo et le Rwanda, les gouvernements et les donateurs internationaux se sont montrés réticents à faire part de leurs inquiétudes, pour ne pas rompre cette relation nouvelle. Certains ont exprimé leurs doutes en privé quant à la promotion de Ntaganda, mais rares ont été ceux qui ont réellement fait pression en faveur de son arrestation. Un certains nombre de représentants, notamment la Secrétaire d'État des États-Unis Hillary Clinton, et le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, se sont rendus dans l'est du Congo et ont fait part de leur inquiétude sur le dossier des droits humains, en particulier sur la question de la violence sexuelle. Aucun d'entre eux n'a insisté auprès du gouvernement congolais ou de la MONUC pour que les opérations militaires cessent jusqu'à ce que des mesures de protection à l'égard des civils ne soient prises. En octobre, suite à une mission au Congo, le Rapporteur spécial de l'ONU sur les exécutions extrajudiciaires est devenu une voix isolée dénonçant vivement les inquiétudes soulevées par les abus commis pendant les opérations militaires. En novembre, l'envoyé spécial des États-Unis pour la région des Grands Lacs a marqué un changement d'approche en qualifiant le coût humain des opérations militaires d'« inacceptable. »
La MONUC a apporté un soutien logistique et opérationnel aux actions militaires congolaises. Mais contrairement aux recommandations juridiques de l'ONU et au mandat délivré par le Conseil de sécurité, elle n'a pas mis en place les conditions garantissant le respect des droits humains avant le commencement des opérations. En novembre 2009, la MONUC a retiré son soutien à l'égard d'une unité militaire du Nord-Kivu qui selon elle s'était rendue coupable de plusieurs violations graves, mais a maintenu son appui à d'autres unités. Le soutien continu de la MONUC envers les opérations militaires a soulevé de graves questions sur son implication dans les abus commis.