La situation des droits humains au Liban s’est encore détériorée en 2021. Selon les Nations Unies, plus de 80 % des habitants du pays n’avaient pas accès aux droits fondamentaux, notamment à la santé, à l’éducation et à un niveau de vie suffisant, comme un logement adéquat ou l’électricité. La Banque mondiale a décrit la crise au Liban comme une « dépression délibérée » due à la gestion défaillante des dirigeants libanais et à l’absence de mesures politiques efficaces, et l’a classée parmi les trois plus graves crises financières mondiales depuis le milieu du XIXe siècle.
La livre libanaise a perdu 90 % de sa valeur depuis octobre 2019, érodant la capacité des Libanais à accéder aux biens de base, notamment à la nourriture, à l’eau, aux soins de santé et à l’éducation. Les pénuries de carburant ont provoqué des pannes d’électricité généralisées qui durent parfois jusqu’à 23 heures par jour, et les générateurs privés – qui représentent une alternative coûteuse – n’ont pas été en mesure de combler ce manque, plongeant de grandes parties du pays dans l’obscurité pendant plusieurs heures par jour. Dans ce contexte de pénurie d’énergie, les hôpitaux, écoles et boulangeries ont eu du mal à fonctionner.
Le gouvernement libanais a supprimé ou réduit les subventions sur le carburant, le blé, les médicaments et d’autres produits de base sans mettre en place un système de protection sociale adapté pour protéger les personnes le plus vulnérables contre l’impact des fortes hausses de prix. Les communautés marginalisées, notamment les réfugiés, les personnes handicapées, les travailleurs migrants et les personnes LGBTQ, ont été touchées de manière disproportionnée.
Personne n’a encore été amené à répondre des conséquences de la catastrophique explosion survenue dans le port de Beyrouth le 4 août 2020, qui a fait au moins 219 morts et dévasté la moitié de la ville.
Les forces de sécurité ont continué à faire un usage excessif, voire mortel, de la force pour réprimer les manifestations, souvent en toute impunité.
Les femmes sont victimes de discriminations et de violences systématiques en raison de la législation archaïque sur la nationalité et des multiples textes de loi sur le statut personnel fondé sur l’appartenance religieuse. Bien que le Liban ait criminalisé le harcèlement sexuel, la loi adoptée n’est pas conforme aux normes internationales.
Le 10 septembre, le Premier ministre Najib Mikati a formé un gouvernement, mettant fin à un vide politique de 13 mois.
Explosion de Beyrouth
Le 4 août 2020, après des décennies de gestion gouvernementale désastreuse et de corruption dans le port de Beyrouth, l’une des plus grandes explosions non nucléaires de l’histoire a pulvérisé le port et dévasté plus de la moitié de la ville. L’explosion a été provoquée par la détonation de plusieurs tonnes de nitrate d’ammonium, un composé chimique combustible, couramment utilisé dans l’agriculture comme engrais à forte teneur en nitrate, mais pouvant aussi servir à la fabrication d’explosifs. L’explosion du port de Beyrouth a tué au moins 219 personnes, en a blessé 7 000 et a entraîné des handicaps permanents chez des centaines d’autres.
L’examen par Human Rights Watch de centaines de pages de documents officiels laisse fortement penser que certains responsables du gouvernement étaient conscients du désastre meurtrier que pouvait entraîner la présence de nitrate d’ammonium dans le port et ont tacitement accepté les risques pour la vie humaine, ce qui constitue une violation du droit à la vie en vertu du droit international relatif aux droits humains.
Les dirigeants libanais ont continué à faire obstruction et à retarder l’enquête en cours au niveau national, protégeant ainsi plusieurs hauts responsables de l’obligation de rendre des comptes. En février 2021, un tribunal a révoqué le juge désigné pour diriger l’enquête après que deux anciens ministres qu’il avait inculpés ont porté plainte contre lui. Le juge Tarek Bitar a été nommé un jour plus tard, mais l’establishment politique a également lancé une campagne contre lui après sa demande d’inculpation et sa convocation pour interrogatoire de hauts responsables politiques et de la sécurité. En octobre, sept personnes ont été tuées et des dizaines d’autres blessées après que des tirs ont éclaté au cours d’une manifestation organisée par le Hezbollah et ses alliés pour exiger le retrait du juge Bitar.
Human Rights Watch a également documenté une série de vices de procédure et défaillances systémiques dans l’enquête menée au niveau national, qui empêchent de rendre la justice de manière crédible – notamment une ingérence politique flagrante, l’immunité accordée à des responsables politiques de haut niveau, le non-respect des normes en matière de procès équitable et les manquements à la légalité des procédures.
Les familles des victimes et les groupes de défense des droits au niveau local et international ont demandé une enquête internationale et indépendante sur l’attentat de Beyrouth, mandatée par le Conseil des droits de l’homme.
En décembre 2020, la Banque mondiale, les Nations Unies et l’Union européenne ont annoncé un modèle novateur pour le versement de l’aide au Liban à la suite de l’explosion de Beyrouth, le Cadre de réforme, de redressement et de reconstruction (3RF), qui vise à verser les fonds directement aux groupes non gouvernementaux et aux entreprises.
Crise financière et économique
La crise financière et économique du Liban est due aux « réponses politiques délibérément inadéquates » des autorités libanaises, selon la Banque mondiale.
Entre juin 2019 et juin 2021, le taux d’inflation a atteint 281 %. Les prix des denrées alimentaires ont à eux seuls augmenté de 550 % entre août 2020 et août 2021. Pendant ce temps, la monnaie nationale a perdu 90 % de sa valeur d’avant la crise, et les banques continuent d’imposer des restrictions arbitraires sur les retraits d’espèces.
En 2019, le gouvernement avait décidé de subventionner les importations vitales, comme le carburant, le blé ou les médicaments. Mais en 2021, la banque centrale s’est retrouvée à court de liquidités pour financer ces importations, provoquant de graves pénuries dans la population. Les pénuries de carburant ont provoqué des coupures d’électricité généralisées, pouvant durer jusqu’à 23 heures par jour. Dans ce contexte de pénurie d’approvisionnement et d’électricité, les hôpitaux, les écoles et les boulangeries ont rencontré des difficultés à fonctionner, obligeant les habitants à faire la queue des heures durant pour obtenir des produits de première nécessité, comme l’essence ou le pain.
Les conséquences de la crise sur les droits des personnes ont été catastrophiques et sans précédent. L’ONU estime qu’en mars 2021, 78 % de la population libanaise vivait dans la pauvreté, soit trois fois plus qu’en 2020. Trente-six pour cent de la population vit aujourd’hui dans l’extrême pauvreté – contre 8 % en 2019 et 23 % en 2020.
Le gouvernement libanais n’a pratiquement fourni aucun soutien aux familles qui font face à une crise économique exacerbée par la pandémie de Covid-19, qui a fait échouer un prêt de la Banque mondiale censé fournir une aide d’urgence aux Libanais vulnérables et a maintes fois retardé la mise en place d’un programme de cartes de rationnement destiné à aider les familles à faire face à la suppression des subventions.
Crise des soins de santé
La crise économique a eu un impact dévastateur sur le secteur des soins de santé. Les médicaments et les fournitures médicales, dont la plupart sont importés dans le pays, sont en quantité insuffisante. Ces pénuries ont entraîné plusieurs décès dus au manque de médicaments et menacent la vie de patients atteints de maladies comme le cancer. Du fait des pénuries de carburant et d’électricité, les hôpitaux se retrouvent dans une situation de « catastrophe imminente ». Certains ferment définitivement et d’autres préviennent qu’ils seront contraints de cesser leurs activités, menaçant ainsi les vies de centaines de personnes.
La valeur des salaires des infirmières et des médecins a rapidement baissé, déclenchant un exode massif qui a alourdit la charge de travail du personnel resté sur place. La pandémie de Covid-19 a fait subir une pression supplémentaire à un secteur de la santé déjà en crise. Les autorités libanaises ont fait preuve d’un mépris total pour la protection des travailleurs de la santé, pourtant en première ligne de la pandémie.
Malgré l’immense pression qui pèse sur les hôpitaux, le gouvernement ne débourse pas les milliards de dollars qu’il leur doit.
Une campagne nationale de vaccination a été lancée à la mi-février et, au 15 novembre, environ 30 % de la population avait été vaccinée contre le Covid-19. Le programme du gouvernement risque toutefois d’oublier certaines communautés marginalisées, comme les réfugiés et les travailleurs migrants.
Liberté de réunion et d’expression
Les manifestations antigouvernementales qui ont débuté le 17 octobre 2019 se sont poursuivies dans un contexte de détérioration rapide de la situation économique et politique.
En janvier, les Forces de sécurité intérieure (FSI) ont fait usage de la force pour disperser des manifestations devenues violentes en raison de la détérioration rapide des conditions économiques, exacerbée par les mesures de confinement prises en raison de l’épidémie de Covid-19 dans l’une des villes les plus pauvres du Liban, Tripoli. Les forces de sécurité ont tiré des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et à balles réelles sur les manifestants, faisant des centaines de blessés et un mort parmi les manifestants.
Les services de renseignement militaire ont fait disparaître de force et auraient torturé des détenus qui participaient à ces manifestations. Le parquet militaire a poursuivi au moins 35 de ces manifestants, dont deux enfants, pour terrorisme devant les tribunaux militaires, lesquels sont par nature inéquitables.
Au Liban, les journalistes, professionnels des médias et militants – en particulier ceux qui critiquent l’élite dirigeante et les partis politiques établis – sont de plus en plus menacés, à la fois par des acteurs privés, les autorités ne voulant ou ne pouvant les protéger, voire directement par les autorités gouvernementales, qui agissent souvent en toute impunité.
Lokman Slim, un intellectuel de premier plan critique du Hezbollah, a été assassiné en février par des assaillants non identifiés. L’enquête n’a pas progressé de manière significative.
Droits des femmes
Les femmes continuent de faire l’objet de discriminations en vertu de 15 texte de lois distincts sur le statut personnel fondé sur religieuse. Les discriminations portent notamment sur l’inégalité d’accès au divorce, à la garde des enfants, à l’héritage et aux droits de propriété. Contrairement aux hommes, les femmes libanaises ne peuvent pas transmettre leur nationalité à des maris ou enfants étrangers.
En décembre 2020, le Parlement a adopté une loi criminalisant le harcèlement sexuel qui offre des protections importantes en faisant du harcèlement sexuel un crime et en définissant les protections accordées aux lanceurs d’alerte. La loi ne respecte cependant pas les normes internationales, notamment parce qu’elle aurait dû lutter contre le harcèlement au travail en réformant le droit du travail, les régles sur la sécurité et la santé au travail, et les lois sur l’égalité et la non-discrimination. Le Parlement a également modifié la loi sur les violences domestiques afin d’en élargir le champ d’application pour tenir compte des violences liées au mariage mais qui ne sont pas nécessairement commises pendant le mariage, ce qui permet aux femmes de demander une protection contre leur ex-mari. Mais cette loi ne criminalise toujours pas le viol conjugal.
Travailleurs migrants
Le nombre de travailleurs domestiques migrants est estimé à 250 000. Ces travailleurs migrants viennent principalement d’Éthiopie, des Philippines, du Bangladesh et du Sri Lanka et ne bénéficient pas des protections prévues par le droit du travail libanais ; leur statut dans le pays est régi par le système restrictif de la kafala (parrainage), qui lie la résidence légale des travailleurs migrants à leur employeur.
Les abus à l’encontre des travailleurs domestiques migrants se sont multipliés dans le contexte de la crise économique libanaise et de la pandémie de Covid-19. Les employeurs obligent notamment les travailleurs domestiques à travailler sans salaire ou à des salaires très réduits, à les confiner au foyer, à travailler de longues heures sans repos ni jour de congé, et se livrent à des violences verbales, physiques et sexuelles. L’Organisation internationale du travail a alerté sur le fait que les conditions actuelles des travailleurs migrants au Liban « augmentent considérablement le risque qu’ils soient soumis au travail forcé ou à la servitude pour dettes ».
Orientation sexuelle et identité de genre
Les personnes LGBTQ ont participé de manière prépondérante aux manifestations qui ont débuté le 17 octobre 2019 dans tout le pays. En portant leur combat dans la rue, par des chants, des graffitis et des discussions publiques, les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) ont fait passer les revendications de leurs droits de la marge au discours dominant.
Pourtant, l’article 534 du code pénal punit « tout rapport sexuel contraire à l’ordre de la nature » d’une peine pouvant aller jusqu’à un an de prison. Au Liban, les femmes transgenres sont victimes de violences et de discriminations systémiques dans l’accès aux services de base, l’emploi, les soins de santé et le logement notamment. La crise économique, aggravée par les mesures de confinement prises dans le contexte de la pandémie de Covid-19, a touché de manière disproportionnée les personnes LGBT.
Les forces de la Sûreté générale ont émis des interdictions d’entrée, qui restent en vigueur à ce jour, à l’encontre des participants non libanais à une conférence de 2018 consacrée à la promotion des droits des LGBT.
Réfugiés
Le Liban accueille près de 900 000 réfugiés syriens officiellement recensés, et le gouvernement estime à 500 000 le nombre de ceux qui vivent dans le pays de manière informelle. Seuls 20 % des réfugiés syriens ont un statut de résident légal, exposant la plupart d’entre eux au harcèlement, aux arrestations, à la détention et à l’expulsion.
Le gouvernement continue de mener des politiques qui visent à contraindre les réfugiés syriens à quitter le pays. En raison de la grave crise économique et de l’inflation galopante, il est extrêmement difficile pour les réfugiés de se procurer des produits de première nécessité ; 90 % des familles syriennes au Liban vivent dans une pauvreté extrême et doivent de plus en plus s’endetter pour survivre.
Bien que le gouvernement libanais continue d’affirmer publiquement son engagement en faveur du principe de non-refoulement, il a procédé à l’expulsion de plus de 6 000 Syriens ces dernières années. Selon le Comité de dialogue libano-palestinien, environ 174 000 réfugiés palestiniens vivent au Liban, où ils continuent de subir certaines restrictions, notamment en ce qui concerne leur droit de travailler et de posséder des biens.
Les réfugiés syriens qui sont rentrés en Syrie depuis le Liban entre 2017 et 2021 ont subi de graves atteintes aux droits humains et des persécutions de la part du gouvernement syrien et des milices qui leur sont affiliées.
Droits de l’enfant
De nombreux enfants libanais et presque tous les enfants réfugiés syriens n’ont pas reçu d’éducation digne de ce nom, le gouvernement ayant fermé les écoles en raison de la pandémie de Covid-19 sans garantir l’accès à l’enseignement à distance. Les enfants handicapés qui, faute de soutien du gouvernement, n’ont pu accéder à l’enseignement à distance sur un pied d’égalité avec les autres, ont été particulièrement touchés.
Les défaillances des autorités en matière de planification ont retardé le début de l’année scolaire 2021-22 au 11 octobre et ont fait craindre que les écoles publiques restent fermées.
Les châtiments corporels infligés aux enfants étaient répandus et autorisés par le code pénal.
Séquelles des conflits et guerres du passé
Malgré une loi de 2018 portant création d’une commission nationale indépendante chargée d’enquêter sur le sort de quelque 17 000 Libanais enlevés ou portés disparus pendant la guerre civile dans le pays, le gouvernement n’a toujours pas alloué de budget pour que cette commission puisse entamer ses travaux.
Le Tribunal spécial pour le Liban, qui a condamné en 2020 un membre du Hezbollah pour son rôle dans l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafik Hariri et de 21 autres personnes en 2005, était menacé de fermeture en raison de difficultés de financement. Bien que les responsables du tribunal aient annoncé en octobre avoir obtenu un financement suffisant