En 2022, en raison de la longue crise politique, sécuritaire et humanitaire qui frappe Haïti, toutes les branches du gouvernement sont restées inopérantes, aggravant ainsi l’impunité déjà généralisée en ce qui concerne les atteintes aux droits humains.
Des bandes armées ont resserré leur emprise sur des zones stratégiques en y intensifiant la violence. Le terminal pétrolier de Port-au-Prince est notamment touché, ce qui a empêché la distribution de carburant. Cette situation a eu des conséquences désastreuses pour le monde des affaires, les écoles et les hôpitaux. Elle a engendré des pénuries de produits de première nécessité, comme l’eau, et des problèmes d’accès aux télécommunications.
Plus de 42 pour cent de la population haïtienne dépend de l’aide humanitaire et jusqu’à 40 pour cent du pays fait face à une insécurité alimentaire sévère, selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (l’OCHA).
Malgré ces conditions déplorables, les États-Unis et d’autres pays ont rapatrié près de 41 000 ressortissants haïtiens, par avion et par bateau, entre janvier 2021 et septembre 2022. Selon les données disponibles, entre février et octobre 2022, La République dominicaine a quant à elle expulsé vers Haïti près de 59 000 personnes, dont certaines étaient nées en République dominicaine, mais étaient considérées comme haïtiennes par les autorités.
À partir de la fin du mois d’août, des milliers d’Haïtiens sont descendus dans la rue partout dans le pays afin de manifester contre le gouvernement, l’augmentation de la violence des bandes armées, la famine généralisée, le manque de services publics de base, l’inflation galopante et l’augmentation du prix des carburants, provoquée par la suppression des subventions décidée par le Premier ministre Ariel Henry.
En date du 27 novembre, une épidémie de choléra avait causé la mort d’au moins 223 personnes.
Crise constitutionnelle
Depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021, le Premier ministre Ariel Henry dirige le gouvernement sans mandat constitutionnel, dans la mesure où il n’a pas reçu l’approbation du Parlement.
Le Parlement a cessé de fonctionner en janvier 2020, lorsque l’ancien président Moïse a refusé d’organiser des élections législatives. Le Premier ministre gouverne par décrets.
En août 2021, un groupe de dirigeants intersectoriels connu sous le nom de Commission pour la recherche d’une solution haïtienne à la crise, rejoint par des centaines de groupes de la société civile et de partis politiques - actuellement connus sous le nom de Montana Group - a produit et signé le « Montana Accord », qui a défini un processus vers l'établissement d'un nouveau gouvernement de transition qui organiserait des élections libres et équitables.
Le 31 janvier 2022, le groupe Montana a élu l’ancien gouverneur de la Banque centrale haïtienne Fritz Jean comme président par intérim. Ni la communauté internationale ni le gouvernement Henry n’ont accepté de le reconnaitre.
En juillet, le Premier ministre Henry a déclaré que des élections auraient lieu, mais il n’a nommé aucun membre au Conseil électoral provisoire, l’organe chargé de les organiser, qui n’est pas en fonction actuellement. En octobre, les négociations en vue d’un gouvernement de transition étaient toujours en cours.
Un appareil judiciaire défaillant
Le système judiciaire haïtien fonctionne à peine. Comme seuls trois des 12 juges de la Cour de cassation continuent de travailler, le quorum n’est pas atteint pour que cet organe puisse traiter des affaires et rendre des décisions. En l’absence de président élu et d’un Sénat opérationnel, la nomination de nouveaux juges est bloquée.
Au cours de la première moitié de 2022, le Conseil de ministres, composé des membres du gouvernement, a nommé 113 juges de juridictions inférieures, renforçant ainsi les capacités du système judiciaire. Mais en juin, une bande armée a pris le contrôle du Palais de justice de Port-au-Prince, le principal complexe judiciaire du pays. Il semble qu’elle ait volé ou détruit des éléments de preuves impossibles à récupérer, car les tribunaux haïtiens n’ont pas de versions numériques des dossiers.
Au mois d’octobre, quatre personnes se trouvaient en détention depuis plus d’un an, sans inculpation officielle, en lien avec l’assassinat en août 2020 de Monferrier Dorval, bâtonnier de l’ordre des avocats de Port-au-Prince. En octobre, l’affaire n’avait été confiée à aucun juge, après la démission du juge précédent en février.
Selon le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), une organisation non gouvernementale, seuls 200 procès pénaux se sont tenus entre octobre 2021 et septembre 2022. Et d’après le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH), dans certaines juridictions, aucune audience concernant des affaires pénales n’a eu lieu depuis trois ans.
En septembre, les prisons haïtiennes comptaient pratiquement trois fois plus de détenus que leur capacité maximale. Une grande partie de ces prisonniers, qui sont plus de 11 700 et dont 84 pour cent sont en attente de leur procès, vivent dans des conditions inhumaines. L'Office de la protection du citoyen (OPC), des organes des Nations Unies ainsi que des organisations haïtiennes de défense des droits humains ont fait état de cas de torture de la part de gardiens de prison, de viols entre détenus, et d’un nombre très élevé de morts liées à la malnutrition.
L'entrée en vigueur du nouveau Code de procédure pénale et du nouveau Code pénal, qui prévoit des alternatives à la détention provisoire, a été reportée de juin 2022 à juin 2024, afin de permettre à une commission gouvernementale de l’organiser.
Début novembre, le Premier ministre Henry a nommé un nouveau président de la Cour de cassation haïtienne.
Enquête sur l’assassinat du président Moïse
Le président Moïse a été assassiné le 7 juillet 2021. Selon le RNDDH, en réaction, les forces de sécurité ont tué trois personnes et en ont arrêté 47 autres en Haïti, dont d’anciens membres de l’armée colombienne. L’un des détenus est mort, quatre ont été libérés et, en octobre, 42 se trouvaient toujours en prison. Aucun n’a été officiellement inculpé.
Quatre fonctionnaires des services judiciaires qui menaient la procédure initiale concernant cette affaire ont déclaré avoir été menacés. Trois juges d’instruction se sont ensuite déportés du dossier, pour des raisons personnelles liées à de problèmes de sécurité. L’un d’entre eux doit répondre à des accusations de corruption. Un quatrième a renoncé en avril, se plaignant de ne pas avoir accès au dossier. En mai, l’affaire a été confiée à un cinquième juge.
En septembre 2021, le procureur Bedford Claude a demandé à un juge d’approuver l’inculpation du Premier ministre Ariel Henry, en raison d’un contact téléphonique que celui-ci aurait eu avec le principal suspect quelques heures avant l’assassinat du président Moïse. Le Premier ministre Henry a démenti et a démis Bedford Claude de ses fonctions. En octobre 2022, la demande d’inculpation déposée par Bedford Claude à l’encontre du Premier ministre Henry était toujours en suspens.
En 2022, les suspects colombiens incarcérés se sont à nouveau plaints de n’avoir été convoqués à aucune audience, de ne pas avoir eu accès à une assistance juridique et d’être détenus dans des conditions inhumaines. Certains ont également affirmé avoir été torturés par la police.
L’enquête menée aux États-Unis sur cette affaire a progressé. Un ancien informateur de la DEA, qui avait été condamné pour trafic de drogue, un ancien militaire colombien ainsi qu’un ancien sénateur haïtien ont été inculpés début 2022 pour différents chefs d’accusation, dont la conspiration en vue de commettre un meurtre.
Violence des gangs
Selon l’ONG Fondasyon Je Klere (FJKL), la violence s’est intensifiée, particulièrement dans l’aire métropolitaine de Port-au-Prince, les 92 gangs présents dans cette zone se battant pour le contrôle du territoire. Plusieurs responsables ont confié à Human Rights Watch que les gangs étaient liés à des politiciens et à des membres de la police.
Sur l’ensemble du territoire haïtien, le BINUH (le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti) a compté 1 349 homicides et 877 kidnappings entre janvier et août 2022.
L’Institut pour la justice et la démocratie en Haïti (IJDH), le RNDDH et le FJKL ont recensé 20 tueries à Port-au-Prince depuis 2018, qui ont fait au moins 1 000 victimes. Aucune inculpation n’a suivi ces meurtres.
Les gangs auraient recours aux violences sexuelles pour terroriser et contrôler les quartiers. Entre janvier et mars 2022, le BINUH a enregistré une moyenne de 98 cas de violences sexuelles par mois, dans les zones de Port-au-Prince sous l’emprise de gangs. Leur nombre réel est probablement beaucoup plus élevé, dans la mesure où les violences sexuelles restent généralement peu signalées.
D’après le BINUH, en octobre 2022, cette vague de brutalité avait provoqué le déplacement de 96 000 personnes au sein de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince.
Défenseurs des droits humains et journalistes
Des organisations de la société civile ont relevé bon nombre de cas d’attaques, de menaces et d’intimidations à l’encontre de défenseurs des droits humains, de journalistes et de juges entre janvier et octobre 2022.
En janvier, deux journalistes qui enquêtaient sur le meurtre d’un inspecteur de police ont été tués par des gangs. Un troisième a survécu, mais a quitté le pays après avoir reçu des menaces de mort. En février, un journaliste a été tué par balles alors qu’il couvrait une manifestation. En septembre, des gangs ont assassiné deux journalistes qui réalisaient un reportage sur leur violence. Les enquêtes concernant ces meurtres ainsi que celui de deux autres journalistes en juin 2021 n’ont pas progressé.
Selon le RNDDH, une figure politique de premier plan ainsi que d’autres acteurs ont organisé des rencontres en mars, en présence notamment d’un chef de gang, afin de préparer l’assassinat de son directeur. L’organisation a expliqué qu’une personne présente lors de ces rencontres avait révélé ces plans.
En 2019, Charlot Jeudy, président de Kouraj, une organisation de défense des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenre (LGBT), a été retrouvé mort à son domicile. Aucun progrès n’a été constaté dans l’enquête.
Abus commis par les forces de sécurité
La police a répondu aux manifestations anti-gouvernement par un usage excessif de la force. Un journaliste a été tué et deux autres blessés, lorsque la police a apparemment tiré à balles réelles sur des manifestants en février. Selon le RNDDH, plusieurs manifestants ont été blessés suite au mauvais usage supposé de gaz lacrymogènes par la police.
Le Service d’inspection de la police a mené des enquêtes concernant 50 cas présumés d’atteintes aux droits humains par des membres des forces de police entre janvier et octobre, a déclaré le BINUH.
Droits à la santé, à l’eau et à une alimentation suffisante
Plus de la moitié de la population haïtienne fait face à une insécurité alimentaire endémique, et 22 pour cent des enfants souffrent de malnutrition chronique.
Le prix des aliments était plus élevé de 23 pour cent en juin 2022 en comparaison avec juin 2021, aggravant encore la crise alimentaire dans le pays. Les inondations catastrophiques et l’érosion des sols provoquées par la déforestation et la dégradation des bassins versants ont également mis à mal la production agricole dans certaines régions.
L’insécurité et les fonds insuffisants ont empêché l’acheminement de l’aide dans des zones touchées par le tremblement de terre dévastateur de 2021, qui a affecté quelque 800 000 habitants. Le nombre de personnes ayant besoin d’une aide humanitaire, dont l’accès à un abri, à des services de santé, à l’éducation ou à d’autres services essentiels, est passé de 4,4 millions en 2021 à 4,9 millions en 2022.
Plus d’un tiers de la population n’a pas accès à de l’eau propre et deux tiers ne bénéficient que d’un accès limité, voire nul, à des services d’assainissement. En octobre, à peine un pour cent de la population avait été totalement vacciné contre le Covid-19.
Le premier cas de choléra a été confirmé début octobre et l’épidémie s’est rapidement propagée. En date du 27 novembre, le ministère haïtien de la Santé avait recensé plus de 11 800 cas suspects (dont près de la moitié d’enfants de moins de 14 ans) et au moins 223 décès. Le nombre réel de cas est probablement beaucoup plus élevé, en raison du faible nombre de signalements, ont averti des organes des Nations Unies.
Droit à l’éducation
Près de la moitié des Haïtiens de 15 ans et plus sont illettrés. La qualité de l’éducation publique est de manière générale très mauvaise et 85 % des écoles sont privées, avec des frais d’inscription si élevés que la plupart des enfants issus de familles à faibles revenus ne peuvent y accéder.
Le séisme de 2021 a détruit ou gravement endommagé 1 250 écoles. La plupart d’entre elles ne peuvent pas être reconstruites en raison de l’insécurité et du manque de fonds. L’UNICEF estime que plus de 250 000 enfants n’ont pas accès à des bâtiments scolaires adaptés.
La violence des gangs et l’épidémie de choléra pourraient bien empêcher la scolarisation de plus de 2,4 millions d’enfants, a mis en garde l’UNICEF.
Droits de femmes et des filles
Les violences sexistes sont monnaie courante. Elles ont été exacerbées par le tremblement de terre de 2021 et l’aggravation de la violence des gangs.
En 2020, la Commission d’éthique de la Fédération internationale de football association (FIFA) a exclu à vie le président de la Fédération haïtienne de football (FHF), Yves Jean-Bart, après avoir découvert des preuves d’abus sexuels systématiques envers des joueuses. La FIFA a ensuite exclu à vie un autre responsable de la FHF et en a suspendu quatre de plus, en lien avec ces abus. D’autres responsables impliqués sont néanmoins restés en poste. En juillet 2022, l’ancien ministre des Sports Evans Lescouflair a été arrêté à Puerto Rico et envoyé en Haïti, en relation avec des plaintes pour abus sexuel de mineurs, déposées par les victimes.
Dans le nouveau Code pénal, qui doit entrer en vigueur en 2024, le harcèlement sexuel et les violences sexistes sont répertoriés comme des délits passibles de sanctions.
L’avortement est actuellement totalement interdit en Haïti. Le nouveau code le rendra légal en toutes circonstances jusqu’à 12 semaines de grossesse, et pendant toute la grossesse en cas de viol ou d’inceste, ou si la santé mentale ou physique de la femme est en danger.
Droits des personnes handicapées
Malgré la ratification de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, le cadre législatif d’Haïti n’a pas été harmonisé et comprend des clauses offensantes et discriminatoires à l’encontre de ces personnes. Elles sont victimes de discrimination en matière d’accès à la santé, à l’éducation et à la justice. Elles sont également exposées à un plus grand risque de violences du fait de la stigmatisation importante à laquelle elles sont confrontées.
Le Code pénal attendu interdit la violence et l’incitation à la violence envers les personnes en situation de handicap.
Orientation sexuelle et identité de genre
Les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) sont particulièrement exposées à la violence. En Haïti, la loi actuelle ne les protège pas. Le Code pénal en attente prévoit des protections liées à l’orientation sexuelle, notamment par des peines plus sévères pour les crimes motivés par l’orientation sexuelle réelle ou supposée de la victime.
Migrations
D’après l’Organisation internationale pour les migrations, entre janvier et septembre 2022, différents pays de la région ont renvoyé plus de 21 000 personnes en Haïti, par avion ou par bateau. Leur nombre s’élevait à 10 152 pour la même période en 2021. Soixante-neuf pour cent des personnes rapatriées en 2022 avaient été expulsées par les États-Unis, qui ont utilisé à mauvais escient une mesure de santé publique appelée Title 42. Parmi celles et ceux qui ont récemment été renvoyés en Haïti se trouvent plus de 4 000 enfants, dont des centaines sont nés au Chili ou au Brésil de parents haïtiens.
Le Groupe d’appui aux rapatriés et réfugiés (GARR) a déclaré que la République dominicaine avait expulsé près de 59 000 personnes vers Haïti par la terre entre février et octobre. Certaines d’entre elles, nées en République dominicaine, étaient néanmoins considérées comme haïtiennes par les autorités.
Les garde-côtes américains ont intercepté 7 137 ressortissants haïtiens en mer entre octobre 2021 et septembre 2022. Ce nombre est de loin le plus élevé des cinq dernières années.
La plupart des personnes expulsées par les États-Unis s’étaient installées en Amérique du Sud il y a plusieurs années, fuyant une situation économique et sécuritaire déjà désastreuse en Haïti. Au cours de leur périple vers le nord, certaines ont été victimes de discrimination et de violence, et ont souffert d’un manque d’accès à des soins de santé, à une nourriture et à des produits d’hygiène adaptés dans des centres de détention américains. Plusieurs personnes renvoyées vers Haïti ont expliqué qu’elles souhaitaient demander l’asile aux États-Unis, mais n’en avaient pas eu la possibilité.
En octobre, il n’y avait toujours pas de programme d’aide à la réinsertion des personnes rapatriées en Haïti ni de mécanisme permettant de vérifier si certaines d’entre elles étaient persécutées ou subissaient d’autres torts à leur retour dans le pays.
Principaux acteurs internationaux
Le Conseil de sécurité des Nations Unies a prolongé le mandat du BINUH jusqu’au 15 juillet 2023.
À la suite du séisme de 2021, les Nations Unies ont lancé un appel de 187 millions de dollars US pour l’aide d’urgence immédiate dans la zone touchée, et ont reçu environ 40 pour cent de cette somme de la part de donateurs. L’organisation a également sollicité 373 millions de dollars US en 2022, pour aider à la réponse humanitaire partout dans le pays. En juin, moins de 30 pour cent du montant avait été collecté.
En octobre, le Conseil de sécurité des Nations Unies a approuvé à l’encontre de chefs de gangs impliqués dans des actes de violence des sanctions comprenant le gel d’avoirs, l’interdiction de voyager et des embargos sur les armes. En novembre, les États-Unis et le Canada ont décidé de sanctionner le président du Sénat haïtien et un ancien sénateur haïtien, accusés d’être impliqués dans une affaire de trafic de drogue.