Les autorités algériennes ont intensifié leur répression des libertés d’expression, de la presse, d’association, de réunion et de circulation, dans le cadre de leurs efforts persistants pour écraser toute contestation organisée.
Elles ont dissous d’importantes organisations de la société civile, suspendu des partis politiques d’opposition et des médias indépendants et continué de recourir à une législation restrictive pour poursuivre en justice des défenseurs des droits humains, des militants, des journalistes et des avocats, notamment sur la base de chefs d’accusation douteux de terrorisme et de réception de fonds dans le but de porter atteinte à la sécurité de l’État, poussant certains d’entre eux à partir en exil.
Entre mars et avril, les autorités ont également adopté une nouvelle législation qui renforce le contrôle des autorités sur les médias et une nouvelle loi sur les syndicats qui pourrait limiter davantage la capacité des travailleurs à s’organiser librement.
Répression politique
Les autorités recourent à des chefs d’accusation manifestement politiques pour emprisonner des détracteurs. La condamnation par le tribunal de Constantine le 29 août du journaliste Mustapha Bendjama et du chercheur Raouf Farrah, à deux ans de prison pour avoir «reçu des fonds afin de commettre des actes portant atteinte à la sûreté de l’État », aux termes de l’article 95 bis du Code pénal, et d’avoir « publié des informations classées secrètes sur des réseaux électroniques », aux termes de l’article 38 de l’ordonnance 09-21 sur la protection des données en est un exemple typique.
Le 26 octobre, une cour d’appel a réduit leurs peines de prison à 20 mois, dont 12 mois de sursis. Les deux hommes étaient détenus depuis février en même temps que plusieurs autres personnes, apparemment en représailles après le départ illégal d’Algérie d’une militante, Amira Bouraoui, à qui les autorités avaient interdit de quitter le pays depuis août 2021. Farrah a été libéré en octobre.
Le 7 novembre, un tribunal de Constantine a condamné Bendjama à six mois de prison dans une seconde affaire pour avoir prétendument aidé Bouraoui à quitter l’Algérie. Bendjama, qui est rédacteur-en-chef d’un journal régional, Le Provincial, avait auparavant subi un harcèlement policier et judiciaire pour son travail et son engagement au sein du mouvement de protestation Hirak. Le 16 juillet, il a été condamné en appel à une amende pour diffamation et « atteinte à l’intérêt national », en rapport avec un article dénonçant la mise en application des restrictions dues à la pandémie de Covid, et cela après une condamnation initiale à un an de prison.
Le 4 juillet, la Cour d’appel d’Alger a confirmé la condamnation de Slimane Bouhafs à trois ans de prison et à une amende pour « offense à l’islam » et pour des accusations relatives au terrorisme. En août 2021, Bouhafs, qui est un militant amazigh (berbère) et un chrétien converti et qui était reconnu par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) comme réfugié vivant en Tunisie, a été enlevé à son domicile et ramené de force en Algérie, où il est réapparu en détention.
Le 2 mars, un tribunal d’Alger a condamné Zakaria Hannache, un défenseur des droits humains et réfugié vivant en Tunisie depuis 2022, à trois ans de prison par contumace, en rapport avec son activisme pacifique. Hannache faisait un suivi de près des arrestations et procès intentés contre des militants et manifestants pacifiques depuis le début du mouvement de contestation du Hirak en 2019.
Les autorités ont également imposé de plus en plus souvent des interdictions de voyager arbitraires à des militants et à des personnes perçues comme critiques des autorités en raison de leurs activités associatives ou de leurs opinions, parfois sans le moindre fondement juridique ou limitation de la durée de l’interdiction. Au moins une douzaine de militants, dont Bendjama et Bouraoui, avaient fait l’objet d’interdictions de voyager.
Liberté d’association et de réunion
Le 7 mars, le Parlement a adopté une nouvelle loi sur les syndicats qui interdit aux membres de syndicats de se livrer à des activités politiques et aux syndicats d’avoir des liens avec des partis politiques. Cette loi assortit également le droit de faire grève à la condition de « ne pas porter atteinte aux principes de continuité du service public, de protection de la population et de sécurité des biens », des notions vagues que les autorités peuvent interpréter pour restreindre arbitrairement les grèves.
Le 23 février, le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative d’Algérie, a confirmé la décision d’octobre 2021 du Tribunal administratif d’Alger de dissoudre le Rassemblement Action Jeunesse (RAJ), au motif que cette association vieille de 30 ans, qui avait soutenu le Hirak, avait violé la loi sur les associations. En septembre, trois membres du RAJ, dont son président, Abdelouahab Fersaoui, risquaient toujours un procès pour leur activisme.
Le 29 juin 2022, le Tribunal administratif d’Alger a dissous la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), la plus ancienne organisation indépendante de défense des droits humains d’Algérie, pour s’être livrée à des « activités suspectes » non conformes à ses statuts, telles que collaborer avec des ONG internationales, s’intéresser aux questions migratoires ou dénoncer la répression des manifestations par les autorités. La LADDH a affirmé n’avoir appris qu’en janvier 2023 l’existence d’une affaire en justice et d’un ordre de dissolution à son encontre. En septembre, six de ses membres faisaient l’objet de poursuites judiciaires, dont trois pour des chefs d’accusation douteux liés au terrorisme : Kaddour Chouicha, Saïd Boudour et Djamila Loukil.
En février, le Conseil d’État a également suspendu pour une durée indéterminée les activités du Mouvement démocratique et social (MDS), un parti d’opposition de gauche, et a fermé son siège à Alger, prétendument pour non-respect de la Loi 12-04 sur les partis politiques.
Le cadre juridique algérien régissant les associations enfreint le droit à la liberté d’association. Il confère aux autorités une large discrétion pour refuser la reconnaissance légale à des associations non gouvernementales et impose à ces organisations d’obtenir un récépissé d’enregistrement avant de pouvoir fonctionner légalement. La loi 12-06 interdit également aux associations de recevoir des fonds de l’étranger, de coopérer avec ou de chercher à devenir membres d’organisations étrangères sans l’accord des autorités, et habilite le gouvernement à suspendre les associations qui s’ingèrent dans les « affaires intérieures de l’État » ou violent la « souveraineté nationale ».
Les autorités utilisent également la Loi 12-04 sur les partis politiques pour museler l’opposition. Cette législation oblige à obtenir une autorisation pour créer un parti, permet aux autorités une supervision intrusive et habilite les autorités à suspendre des partis avant même toute décision judiciaire.
Liberté des médias
Le 18 juin, la Cour d’appel d’Alger a alourdi la peine prononcée contre le journaliste Ihsane El Kadi, de cinq ans à sept ans de prison pour avoir prétendument « reçu des fonds pour commettre des actes susceptibles de porter atteinte à la sécurité de l’État ». El Kadi a été arrêté le 24 décembre 2022, après avoir publié un article faisant état de la réticence de l’armée à voir le président Abdelmadjid Tebboune être reconduit pour un second mandat à la tête du pays. Un tribunal d’Alger qui l’avait initialement condamné le 2 avril a également ordonné la dissolution de sa société médiatique, qui comprend les deux organes Radio M et Maghreb Émergent.
Le 13 avril, l’Algérie a adopté une nouvelle loi répressive sur l’information, qui interdit les financements étrangers et aux personnes dotées d’une double nationalité d’être propriétaires d’organes de presse ou de parts dans de entreprises de médias. Cette loi s’appuie également sur des termes vagues pour règlementer les activités médiatiques, tels que le respect de « la souveraineté et de l’unité nationales », et sur d’autres dispositions qui pourraient entraver l’accès des journalistes à l’information et leur droit d’informer.
Droits des migrants
En 2023, les autorités algériennes ont continué d’expulser collectivement et arbitrairement vers le Niger de migrants de multiples nationalités, dont des enfants, souvent sans étude de cas individuel ni respect des procédures régulières. Entre janvier et août 2023, l’Algérie a expulsé plus de 20 000 migrants à sa frontière avec le Niger, selon l’ONG Alarme Phone Sahara, basée au Niger.
Des migrants ont continué en 2023 de rapporter des cas de violences, de vols de leurs biens, de détentions arbitraires, de mauvais traitements en détention et d’autres sévices subis aux mains des autorités algériennes lors de leur arrestation, détention et expulsion aux frontières terrestres.
Alors que l’Algérie avait refoulé environ 27 000 migrants à sa frontière sud entre 2015 et 2018, ce sont plus de 36 000 migrants qui ont été expulsés par les autorités algériennes lors de la seule année 2022, selon Médecins sans frontières (MSF), et 27 208 en 2021.
Droits des femmes
Le Code de la famille algérien contient des dispositions discriminatoires à l’égard des femmes et restreint leurs droits. Il permet aux hommes de divorcer de leur épouse unilatéralement sans explication, mais exige des femmes qu’elles s’adressent aux tribunaux pour obtenir un divorce pour des raisons particulières. Le code confie aussi automatiquement aux pères, et non aux mères, la garde de leurs enfants « mineurs » (de moins de 19 ans). Des instructions du ministère de l’Intérieur imposent aux pères, en tant que tuteurs légaux, de fournir une autorisation écrite à leurs enfants « mineurs » quand ils font une demande de passeport.
Les lois algériennes contiennent des failles qui permettent d’annuler des condamnations, ou de réduire des peines, si les victimes pardonnent aux auteurs des abus qu’elles ont subis. L’article 326 du Code pénal, relique de l’époque coloniale, permet à une personne qui enlève une mineure d’échapper aux poursuites judiciaires s’il épouse sa victime.
Orientation sexuelle et identité de genre
Les rapports sexuels entre personnes du même sexe demeurent passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à deux ans de prison, en vertu de l’article 338 du Code pénal. L’article 333 alourdit cette peine jusqu’à trois ans de prison et une amende en cas d’outrage public à la pudeur ayant consisté en « un acte contre nature avec un individu du même sexe », que ce soit entre hommes ou entre femmes.