Le fait que le Qatar ait accueilli la Coupe du monde masculine 2022 de la FIFA s’est accompagné d’abus généralisés à l’égard des travailleurs migrants, avec notamment des milliers de décès inexpliqués, des vols de salaires généralisés et des frais de recrutement exorbitants. Ni les autorités qatariennes ni la FIFA n’ont indemnisé les ouvriers victimes d’abus sans qui cette compétition n’aurait pas pu se tenir. Par ailleurs, les travailleurs migrants ont subi de nouvelles formes d’exploitation après la fin de la Coupe et risquent même que le gouvernement ne fasse marche arrière sur les réformes existantes. Les lois qatariennes discriminent les femmes à cause des politiques abusives de tutelle masculine, ainsi que les personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres (LGBT). Les autorités restreignent la liberté d’expression et ont renforcé leurs capacités de surveillance. Après son mandat 2022-2024, le Qatar a été réélu pour être membre du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies pour le mandat 2025-2027. En tant que membre, le Qatar est censé « observe[r] les normes les plus strictes en matière de promotion et de protection des droits de l’homme ».
Droits des travailleurs migrants
Les travailleurs migrants, qui constituent plus de 91 % de la population du Qatar, sont administrés par le système abusif de kafala (parrainage) qui donne aux employeurs un contrôle disproportionné sur leurs employés. À l’approche de la Coupe du monde, le Qatar a introduit d’importantes réformes du code du travail qui donnent aux travailleurs migrants le droit de changer d’emploi ou de quitter le pays sans autorisation de leur employeur, lancé des mesures de protection des salaires, telles que le Système de protection du salaire et le Fonds de soutien et d’assurance des travailleurs (Wage Protection System and Workers’ Support and Insurance Fund), et fixé un salaire minimum plus élevé pour tous les travailleurs. Pourtant, les bénéfices de ces initiatives ont été limités en raison de leur introduction tardive, de leur portée restreinte et de leur faible application.
Les éléments abusifs du système de kafala sont demeurés intacts. Les travailleurs ne peuvent toujours pas changer facilement d’emploi, puisqu’en pratique on leur demande de se procurer une lettre signée par leur employeur initial et approuvant leur démission. Même quand leur employeur néglige de les payer, les travailleurs ne peuvent pas changer d’emploi. De plus, le Qatar risque de faire marche arrière sur certaines des réformes, comme le montre l’exemple de la proposition de 2024 du Conseil de la Shura, un organe consultatif, en vue d’adopter des mesures qui exigeraient des travailleurs migrants d’obtenir l’autorisation de leur employeur avant de pouvoir quitter le pays. En 2020, le Qatar avait étendu aux travailleurs domestiques la réforme qui supprimait l’obligation d’obtenir une autorisation de sortie du pays.
Le salaire minimum qatarien, introduit en 2021, est fixé à 1 000 QAR (274 USD) par mois. Non seulement ce montant ne tient absolument pas compte du coût élevé de la vie au Qatar, mais il n’a pas été revalorisé depuis son introduction en 2021. Human Rights Watch a démontré par ailleurs que les abus généralisés touchant au versement des salaires sont toujours présents. Dans de nombreux cas, les travailleurs migrants ont recours à des manifestations et grèves pour protester contre les retards de paiement des salaires, en dépit du risque d’être arrêtés et expulsés.
Le fait de quitter un employeur sans permission, qualifié de « fuite », est toujours pénalisé. Les confiscations de passeport, les honoraires de recrutement élevés et les pratiques de recrutement mensongères demeurent largement impunis. Bien que la Coupe du monde 2022 ait permis d’attirer l’attention sur les décès de travailleurs migrants au Qatar, le pays a failli à son obligation de prévenir, enquêter sur, ou indemniser la mort de milliers d’ouvriers.
Le nouveau gouvernement britannique a annoncé la reprise des négociations d’un accord de libre-échange avec le Conseil de coopération du Golfe (CCG), en dépit des préoccupations sur le manque de transparence, de contrôle et d’intégration de protections et d’engagements concrets en matière de droits humains dans ces accords, en particulier concernant les travailleurs migrants.
Droits des femmes et des filles
Au Qatar, les femmes sont soumises aux lois sur la tutelle masculine, qui les discriminent et portent atteinte à leur droit de prendre des décisions autonomes en matière de mariage, de divorce et concernant leurs enfants.
Le Code du statut personnel qatarien prévoit que les femmes ne peuvent se marier que si un tuteur de sexe masculin approuve le mariage, alors que les hommes n’ont besoin d’aucune permission et ont le droit de prendre jusqu’à quatre épouses à la fois. Une femme a par ailleurs l’obligation légale d’obéir à son mari, d’entretenir le domicile et ce qu’il contient et de donner le sein à ses enfants, sauf empêchement. Une épouse peut perdre son droit à l’assistance financière du mari si elle refuse d’avoir des relations sexuelles avec lui « sans motif légitime » ou si elle travaille en dehors du foyer conjugal sans son autorisation.
Les femmes n’ont pas le droit de divorcer unilatéralement au même titre que les hommes. Elles doivent demander le divorce au tribunal pour des motifs restreints, par exemple si le mari est impuissant, l’a abandonnée ou lui a fait du mal, ou encore s’il refuse de l’assister financièrement.
Les dispositions en matière d’héritage prévoient que les sœurs reçoivent la moitié de la part de leurs frères.
De plus, les femmes au Qatar font face à des restrictions de déplacement qui les empêchent de circuler librement dans leur propre pays et de voyager à l’étranger sans la permission de leur tuteur masculin. Par exemple, les étudiantes qatariennes ont l’obligation de prouver la permission d’un tuteur masculin si elles veulent pouvoir participer à des sorties, rester ou quitter l’enceinte du campus universitaire. Les règlementations du ministère de l’Intérieur exigent que les femmes qatariennes non mariées de moins de 25 ans fournissent l’autorisation de leur tuteur masculin pour pouvoir se rendre à l’étranger, alors que les hommes qatariens peuvent voyager sans permission à partir de l’âge de 18 ans. De plus, les tuteurs masculins peuvent demander que soit émise une interdiction de voyager pour les femmes de leur famille ou leurs épouses.
Orientation sexuelle et identité de genre
Le code pénal du Qatar criminalise les relations sexuelles extraconjugales. Les personnes reconnues coupables de zina (relations sexuelles hors mariage) peuvent être condamnées jusqu’à sept ans d’emprisonnement. De plus, en cas de zina, les personnes musulmanes peuvent être condamnées à des coups de fouet (pour les célibataires) ou à la peine de mort (pour les personnes mariées). Ces lois ont un impact disproportionné sur les femmes, puisque la grossesse peut servir à prouver les relations sexuelles hors mariage et que les femmes qui dénoncent un viol peuvent se retrouver elles-mêmes poursuivies pour relations sexuelles consenties.
Le code pénal qatarien criminalise les relations sexuelles consensuelles hors mariage, y compris les relations homosexuelles, de peines allant jusqu’à sept ans de prison. La Loi sur la protection de la communauté autorise une détention provisoire sans inculpation ni procès, et ce jusqu’à six mois, s’il « existe des raisons fondées de penser que l’accusé a pu commettre un crime », notamment « violer la moralité publique ». Les autorités qatariennes censurent par ailleurs les reportages de médias traditionnels portant sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre.
Les autorités qatariennes ont arrêté en février un ressortissant britanno-mexicain ayant vécu au Qatar pendant sept ans, Manuel Guerrero Aviña, qui venait d’accepter de rencontrer quelqu’un sur l’application de rencontres Grindr. Alors qu’il était ciblé à cause de son orientation sexuelle et de sa séropositivité au VIH, il a été inculpé de faits liés aux stupéfiants. Après avoir fait appel sans succès, il a quitté le Qatar en août.
Liberté d’expression
Le code pénal qatarien pénalise le fait de critiquer l’émir, d’insulter le drapeau du Qatar, de dénigrer la religion, y compris par blasphème, et d’inciter à « renverser le régime ». La loi qatarienne sur la cybercriminalité punit les activités en ligne qui selon les autorités diffusent des « fausses nouvelles », « violent les valeurs ou principes sociaux » ou « insultent ou diffament autrui ».
En 2024, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire s’est penché sur le cas d’Abdullah Ibhais, l’ancien directeur chargé des médias et de la communication du Comité suprême pour l’organisation et l’héritage de la Coupe du monde, qui purge actuellement une peine de prison pour corruption, mais assure qu’il a été victime de poursuites malveillantes en représailles de critiques qu’il avait exprimées sur la façon de gérer une grève des travailleurs migrants au Qatar en août 2019. Le Groupe de travail a conclu que sa détention n’avait aucun fondement légal et que de multiples violations de son droit à un procès équitable avaient été commises, notamment le fait de refuser de se pencher sur ses allégations d’aveux forcés et de lui refuser toute assistance juridique.
Apatrides
La décision du Qatar de retirer arbitrairement la nationalité à des familles du clan Ghufran depuis 1996 a rendu certains de leurs membres apatrides et les a privés des droits humains fondamentaux que sont le droit au travail, aux soins médicaux, à l’éducation, le droit de se marier et de fonder une famille, le droit à la propriété et la liberté de mouvement.
Politiques et actions en matière de changement climatique
Le Qatar est le 14ème plus gros producteur mondial de pétrole, possède la 3ème plus grande réserve de gaz naturel de la planète et fait partie des plus importants émetteurs de gaz à effet de serre par habitant au monde. Au lieu de prendre des mesures concrètes pour s’éloigner de la production et de l’utilisation des carburants fossiles, le Qatar est en train d’accroître sa production de gaz naturel liquéfié destinée à l’exportation.
Les travailleurs migrants sont toujours exposés au risque de chaleur extrême, en dépit de l’introduction de nouvelles protections contre la canicule, notamment l’interdiction du travail lorsque l’indice de température au thermomètre-globe mouillé (WBGT) excède 32,1 degrés Celsius. Bien que ces protections soient plus avancées au Qatar que dans d’autres États du CCG, ce qu’elles proposent est très insuffisant, car le seuil de 32,1 °C de WBGT est fixé trop haut pour protéger efficacement les travailleurs et car les défaillances d’application de la règle persistent. Du fait que les autorités qatariennes ne protègent pas les travailleurs immigrés de l’exposition à la chaleur extrême, accentuée par le changement climatique, et des maladies qui en résultent, y compris les défaillances d’organes, le fardeau des soins retombe sur les systèmes de santé déjà sous pression des pays d’origine de ces travailleurs.
Apport de soins médicaux à des Palestiniens blessés réfugiés de Gaza
Les autorités qatariennes ont invité une équipe de recherche de Human Rights Watch à Doha, en juin 2024, et ont facilité leur accès illimité aux hôpitaux soignant des Palestiniens qui ont été blessés à Gaza, ainsi qu’à un complexe résidentiel où séjournaient des membres de la famille des patients.