Africa - West

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    XIII. ABUS COMMIS PAR LES PATROUILLES D'AUTODÉFENSE

Les autorités impliquées dans le nouveau programme d'autodéfense prétendent qu'il a amélioré la sécurité à Bujumbura. En fait, des raids armés par les rebelles ou militaires se poursuivent, dans l'ensemble avec la même intensité. Ceci est également vrai pour les crimes tels que vols et viols.

Dans certains cas, les participants armés du programme d'autodéfense ont eux-mêmes perpétré des abus contre les gens qu'ils étaient supposés protéger. Un observateur bien informé pense que certains participants du programme d'autodéfense ont aussi pris part aux activités d'une bande criminelle qui a réalisé plusieurs vols à main armée, dans la zone de Kinama.105 Plusieurs témoins dans la zone de Kinama se sont plaints que les membres des patrouilles harcelaient les résidents locaux, parfois sous prétexte qu'ils n'avaient pas respecté le couvre-feu de 23 heures.106 Il a ainsi raconté :

Les patrouilles se déplacent et battent les gens de nuit même avant le début du couvre-feu. Ils demandent de l'argent. Ils vous prennent, ils vous donnent des coups et ils vous prennent tout l'argent que vous avez. Si vous n'en avez pas, ils vous battent encore plus. Ou ils viennent chez vous et font la même chose.

Il conclut ainsi : "Parce que ces hommes ont des fusils, on ne peut absolument pas travailler avec eux, négocier avec eux."107

Dans la soirée du 27 septembre, une patrouille de défense civile est tombée sur trois adolescents, à l'extérieur d'une maison de Kinama. Deux étaient des écoliers apparemment en train de réviser leurs leçons. La patrouille leur a donné l'ordre de rentrer à l'intérieur, affirmant qu'ils ne respectaient pas le couvre-feu. Les trois adolescents ne se sont pas exécutés immédiatement et ont peut-être raillé la patrouille, composée en large partie de jeunes garçons comme eux. L'un des membres de la patrouille, lui-même apparemment âgé de quinze ou seize ans, a tiré sur les trois garçons, les blessant tous à la jambe. Il a été emprisonné dans le site de détention local mais plusieurs jours plus tard, l'incident n'avait fait l'objet d'aucune enquête. Le 29 septembre, le responsable des patrouilles a déclaré que le jeune détenu avait été emprisonné brièvement pour "mauvaise conduite" mais qu'il serait prochainement relâché.108

Commentant l'incident, un témoin a déclaré que la patrouille était venue du quartier de Ngozi dans son quartier de Muramvya, comme ils le faisaient fréquemment mais qu'il ne savait pas s'ils avaient officiellement été assignés à travailler dans cette zone. "Ils n'ont pas de lois, de règles ou de régulations," a-t-il raconté, "donc il est impossible de savoir où ils ont le droit de patrouiller. Apparemment, ils prennent leurs propres décisions et font tout comme ils veulent."109

Un habitant d'une autre partie de la zone de Kinama s'est plaint des hommes qui patrouillent son quartier, disant qu'ils "demandent de l'argent des propriétaires et battent les gens qui ne payent pas."110 Un membre au moins du programme d'autodéfense de la zone de Kanyosha se serait rendu coupable de comportements similaires.111

L'un des habitants de la partie nord de la ville, fréquemment en proie à des troubles, a déclaré que les habitants avaient espéré que la sécurité s'améliorerait avec l'établissement du programme d'autodéfense. "Mais," a-t-il continué, "donner des fusils aux gens n'a pas amené la paix... tout ce que cela a fait pour le moment, c'est d'augmenter la pauvreté des gens et parfois même de produire des meurtres."112 Un autre a remarqué que certains participants du programme d'autodéfense ont porté atteinte aux habitants de façon encore plus importante que ne l'a fait l'armée. Il a expliqué : "C'est parce qu'ils sont pauvres et qu'ils n'ont rien. Alors ils agressent les gens pour s'en sortir."113

Juste un mois après que les membres nouvellement formés du programme d'autodéfense eurent commencé à travailler à Kinama, l'un d'entre eux fut accusé d'avoir tué par balle un jeune homme de vingt-cinq ans surnommé Toto. Ce cas illustre à la fois la latitude donnée aux membres du programme d'autodéfense et l'étendue du soutien que leur accordent les responsables administratifs et la police nationale. La victime et son ami rentraient chez eux, dans la nuit du 17 août, lorsqu'ils furent tous les deux arrêtés par une patrouille de six hommes armés, apparemment dirigée par quelqu'un du nom de Kirombo. Les membres de la patrouille ont emmené les deux hommes dans une église partiellement construite sur la Sixième Avenue, dans le quartier de Muyinga et ont commencé à les battre en leur demandant de l'argent. Après avoir battu Toto pendant dix minutes avec des bâtons et des fils électriques, celui-ci s'est enfui de l'église, poursuivi par trois membres de la patrouille. Sur la Septième Avenue, l'un des membres de la patrouille a tiré sur Toto, apparemment dans le dos et l'a tué.

Les membres de la patrouille ont attaché les mains du second homme dans son dos et l'ont conduit au lieu de détention du bureau de la zone. En chemin, ils sont passés devant le corps de Toto et les membres de la patrouille se sont moqués du deuxième homme en disant qu'il serait tué à son tour. Ils l'ont brièvement retenu dans le lieu de détention puis l'ont fait sortir et l'ont conduit au poste de gendarmerie tout proche. Quatre policiers et membres de la patrouille ont usé de leurs poings et de bâtons pour le battre, alors qu'il avait toujours les bras fermement liés dans le dos. Ils ont aussi lacéré ses bras et l'une de ses jambes avec une baïonnette. Ils lui ont constamment demandé de l'argent mais il n'en avait pas. Après le passage à tabac, il a été emprisonné pendant plus de deux jours jusqu'à ce que l'un des membres de sa famille assure sa libération en payant un pot de vin de 2 000 francs burundais. Quatre jours plus tard, le chef de zone l'a fait emprisonner de nouveau mais il a été libéré le lendemain.114

Alors que le jour se levait le 18 août, de nombreux habitants du coin virent le corps de Toto, toujours sur la Septième Avenue, gardé par des membres d'une patrouille. L'un de ces habitants fut arrêté un peu plus tard, ce même jour, pour avoir rapporté cette scène lors d'un entretien à la radio. Le 20 août, douze membres d'une patrouille d'autodéfense en possession d'armes à feu l'enlevèrent chez lui et le conduisirent au poste de gendarmerie, proche du lieu de détention. L'officier alors de service le battit et l'accusa d'avoir révélé des secrets militaires dans son entretien radiophonique. Plusieurs membres de patrouille également présents l'ont également battu. Plus tard ce matin là, le chef de zone interrogea également le témoin sur son entretien à la radio puis ordonna aux six membres de la patrouille alors présents de le battre. Ils le firent à l'aide de bâtons et de fils électriques, causant dans son dos des plaies longues de cinq centimètres. Il fut gardé dans le lieu de détention jusqu'au 24 août, date à laquelle on le relâcha sur ordre du chef de zone, peut-être parce que la même radio qui avait précédemment diffusé l'entretien avait annoncé l'arrestation qui s'en était suivie.115

105 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 27 août 2001.

106 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 28 et 29 septembre 2001.

107 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 24 août 2001.

108 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 28 et 29 septembre 2001.

109 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 29 septembre 2001.

110 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 28 août 2001.

111 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 12 juillet 2001.

112 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 24 août 2001.

113 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 30 août 2001.

114 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 24 et 30 août 2001.

115 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 24 et 30 août 2001.

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