Africa - West

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    XII. "AUTODÉFENSE SOLIDAIRE" OU COMMENT DÉPASSER LES DIVISIONS ETHNIQUES ?

Après que les FNL eurent pris puis tenu brièvement certaines parties de Bujumbura en février 2001, le gouvernement décida de réorganiser "l'autodéfense civile" sur une nouvelle base. Les autorités ont reconnu que les habitants hutu des zones urbaines avaient peur que "les Tutsi soient entraînés à les tuer", selon un officier qui a travaillé à la nouvelle version du programme. Ils ont voulu changer cette perception. Ils ont aussi cherché à écarter une résurgence de l'activisme militant tutsi. En mars, il était dit que des milices comme la PA-Amasekanya organisaient des formations au maniement des armes pour les Tutsi, peut-être avec l'aide de certains soldats.82 "Des groupes s'organisaient en milices, dans les quartiers," a déclaré une personnalité officielle de haut rang. "Les autorités devaient prendre le contrôle de la situation afin d'écarter la possibilité d'un conflit sur une base ethnique."83

Les autorités ont appelé le programme lancé en avril 2001, "autodéfense solidaire", reprenant une appellation utilisée sans grands effets quatre ans plus tôt et supposée souligner la nature multiethnique du nouvel effort. Les sessions de formation ont commencé sans grande publicité, permettant ainsi de maintenir des doutes quant aux objectifs du programme. Mais la formation s'est achevée le 16 juin 2001 par une cérémonie publique et la distribution de certificats à 1000 diplômés en présence des Ministres de la Défense et de l'Intérieur, démontrant ainsi que les autorités nationales assumaient désormais la responsabilité du programme d'autodéfense. Selon les récits de la presse, elles ont affirmé que "l'autodéfense" serait dorénavant une part permanente de la défense nationale et serait étendue au reste du Burundi. Elles ont également déclaré que les participants devaient s'attendrent à servir pour une durée indéterminée.84

Selon les autorités, les participants restent des civils soumis au système de cours de justice civiles comme ils l'étaient dans l'ancienne version du programme. Bien que désormais reconnu comme une initiative du gouvernement en voie d'extension à l'ensemble du pays, le programme d'autodéfense ne dispose toujours pas d'un ensemble de régulations pour organiser son fonctionnement.85

Un officier de haut rang a insisté pour dire que contrairement au précédent programme, le nouvel effort accordait beaucoup plus d'attention à l'éducation "civique" et par conséquent, moins aux sujets "techniques" - à savoir comment effectivement apprendre à manipuler des armes à feu. L'objectif était, a-t-il dit, de convaincre chacun "que les gens doivent faire front pour défendre leurs quartiers."86 D'autres personnes, y compris certaines formées dans le programme, ont confirmé cette information.87 Un autre officier, écrivant à propos du programme a déclaré qu'il avait pour but de diminuer "l'attrait d'un génocide tribal."88

Dans ses opérations, la nouvelle version de "l'autodéfense civile" différait peu de l'ancienne. Les diplômés issus du programme patrouillaient dans les quartiers de nuit et parfois, assuraient aussi la surveillance des lieux publics comme les marchés. Ceux qui étaient armés récupéraient leurs armes dans des postes militaires, au début de leur temps de travail et les rapportaient, à la fin de leur service. Dans les régions relativement dangereuses, ils patrouillaient avec des soldats. Ailleurs, ils étaient censés travailler sous la supervision d'un habitant qui avait été soldat ou si une telle personne n'était pas disponible, sous la supervision au moins d'une personnalité officielle du gouvernement ou d'un employé du gouvernement. Officiellement, tous étaient volontaires, même si certains ont affirmé avoir rejoint les patrouilles suite à des pressions et pour éviter amendes ou emprisonnement.89 Dans un cas, un jeune homme qui ne voulait pas se joindre au programme fut averti par d'autres membres du programme qu'il risquait à l'avenir de ne pas bénéficier de protection, si besoin était, compte tenu de son refus de participer.90 Les participants ne recevaient pas de salaires, même si dans certaines régions, des responsables administratifs collectaient de l'argent auprès des habitants afin de payer les dépenses de quiconque nécessiterait des soins médicaux.91 Selon un jeune de seize ans recruté par le programme, les participants étaient supposés avoir entre quinze et vingt-cinq ans.92 Selon un autre, des garçons de treize ans ont participé à la formation mais n'ont pas reçu ensuite de tâches spécifiques à accomplir.93 Les participants ne portaient pas d'uniforme, sauf parfois un vêtement militaire reçu d'un soldat et n'arboraient pas de signes distinctifs.94

Sous le vernis de la "solidarité", de sérieuses tensions ethniques et inégalités persistent au sein du programme d'autodéfense. Ceci résulte en partie du fait que le programme est organisé dans les limites des unités de résidence qui sont devenues largement mono ethniques, après sept années de conflit entre Hutu et Tutsi. Même si certaines sessions de formation ont apparemment rassemblé des groupes provenant de plusieurs quartiers, ceci ne fut pas toujours le cas. Et une fois qu'ils opéraient dans un voisinage donné, Hutu et Tutsi ont rarement rempli leurs fonctions en même temps.95 Une personne a émis la critique suivante sur le programme : "Si la volonté du gouvernement est réellement d'assurer la sécurité de tous, alors le programme doit dépasser les frontières de quartier."96

De plus, certaines personnalités officielles manifestaient en permanence de la méfiance envers les Hutu appelés à servir dans les unités. L'un d'eux a expliqué qu'au fur et à mesure que des recrues recevaient la formation du nouveau programme, elles remplaçaient ceux qui étaient auparavant responsables localement de la sécurité. Il a déclaré que le but final était de faire progresser tous ceux actuellement membres des patrouilles vers des fonctions d'assistance armée active aux militaires. Mais ceci ne se ferait pas sans préparation correcte de ces membres. Certaines personnes dans le quartier, a-t-il déclaré, "étaient proches de Bujumbura-rural", signifiant ainsi qu'ils étaient hutu, avec des sympathies probables pour les rebelles qu'on savait basés dans les zones rurales à la périphérie de la ville. "Cela va prendre du temps", a-t-il ajouté "avant que des armes puissent être confiées à tous."97 Dans certaines régions, les autorités ont préféré distribuer des armes seulement à ceux qui possédaient des biens dans le quartier.98 Selon un observateur, "Ceci permet de s'assurer qu'ils ne se précipiteront pas en brousse avec les armes parce qu'ils ont des terres et des maisons à protéger."99

Ces variations locales ont alimenté la méfiance avec laquelle certains Hutu voient le programme "d'autodéfense". Bien que les autorités nationales aient assumé la responsabilité du programme "d'autodéfense solidaire", elles n'ont donné que des directives limitées quant à sa mise en _uvre. En juin 2001, un officier de haut rang déclarait que les commandants militaires locaux et les responsables administratifs déterminaient l'étendue et la nature du programme dans leurs juridictions. Cette position faisait écho à des déclarations d'autorités militaires datant déjà de 1997.100 Selon cet officier, ces variations étaient le résultat de "différences d'énergie, d'intelligence, de dynamisme et d'engagement" chez ceux en charge de chaque localité.101 Des Hutu, qu'ils soient participants au programme ou observateurs, ont remarqué des différences quant au type et à la disponibilité des armes dans diverses localités. Des unités d'autodéfense dans certains quartiers majoritairement hutu étaient armées de carabines qui ne tirent qu'une balle à la fois alors que des groupes largement ou exclusivement tutsi avaient reçu de l'armée des kalachnikovs plus meurtrières ou d'autres armes automatiques. De plus, les participants hutu patrouillaient avec des armes reçues des postes de contrôle militaire auxquels ils les restituaient ensuite alors que certains participants tutsi utilisaient leurs propres armes qu'ils gardaient chez eux. Compte tenu de la très forte polarisation ethnique au Burundi, de telles différences ont conduit des Hutu à la conclusion que les autorités fournissaient une protection accrue aux régions tutsi afin de leur donner un avantage si un conflit venait à opposer Hutu et Tutsi.102

Les programmes "d'autodéfense solidaire" ont aussi débuté dans des centres urbains autres que la capitale, notamment à Cankuzo dans l'est et à Bubanza dans le nord.103 Un témoin a déclaré à propos de Bubanza que "les armes étaient distribuées dans des coins où se trouve une population hutu jugée 'digne de confiance'."104

82 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 12 juin 2001.

83 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 15 juin 2001.

84 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 15 juin et 7 juillet 2001 ; Le Renouveau No. 5661, "Lancement d'un "système" d'autodéfense civile solidaire", Serge Gahungu, 27-28 juin 2001, p. 5.

85 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 15 juin et 12 juillet 2001.

86 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 15 juin 2001.

87 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 12 juin, 12 juillet et 30 août 2001.

88 Lettre vue par les enquêteurs de Human Rights Watch, 27 septembre 2001.

89 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 12 juin, 11 et 13 juillet, 24 et 28 août 2001.

90 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 5 juillet 2001.

91 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 12 juillet 2001.

92 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 28 août 2001.

93 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 24 août 2001.

94 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 12 juillet, 24 et 28 août 2001.

95 Entretiens conduits par Human Rights Watch, 12 et 13 juillet, 30 août 2001.

96 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 13 juillet 2001.

97 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 12 juillet 2001.

98 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 12 juin et 24 août 2001.

99 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 24 août 2001.

100 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura,15 juin et 24 août 2001 ; Human Rights Watch, Les civils pris pour cible, p. 116.

101 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 15 juin 2001.

102 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 12 juillet, 4 et 30 août 2001.

103 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 18 juillet 2001.

104 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 17 mai 2001.

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