Background Briefing

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Démobilisation, recrutement et utilisation d’enfants à des fins militaires

Aux termes des différents accords de cessez-le-feu et de partage du pouvoir signés entre le gouvernement et les différents groupes d’opposition armés, les troupes gouvernementales sont censées être casernées et les combattants rebelles, cantonnés dans plusieurs sites, avant qu’intervienne l’opération de démobilisation et de réintégration dans la vie civile de certains d’entre eux. L’ensemble de ces hommes formerait la nouvelle force intégrée qui pourrait compter entre 80.000 et 100.000 hommes avant que n’intervienne une démobilisation progressive de 14.000 hommes par an pendant cinq ans, en commençant immédiatement par les enfants, les plus âgés, les invalides et volontaires. A ce jour, la question reste posée de savoir qui supporterait le coût de l’entretien d’une telle armée. La Commission Mixte de Cessez-le-feu (CMC),76 composée de représentants de toutes les parties armées et présidée par le Général Samba, nommé par le Secrétaire Général des Nations Unies, a une tâche importante dans la direction de la planification du processus de démobilisation, sous la supervision du Comité de Suivi de l’Accord d’Arusha, de composition mixte nationale et internationale.77 Bien que la CMC se soit plusieurs fois déclarée confiante dans l’avancement du processus, elle n’a toujours pas pu dégager le consensus des parties sur la définition du combattant, pourtant primordiale pour démarrer le processus de démobilisation, pas plus que fournir le nombre exact et les grades des combattants de chaque mouvement armé. En tant que président de la CMC, le Général Samba a le pouvoir d’imposer une décision en cas de désaccord permanent entre les parties, mais n’en a, à ce jour, pas fait usage.78

L’Accord d’Arusha, accord fondateur sur base duquel fonctionnent les institutions actuelles, stipule que ne peuvent pas être acceptés dans la nouvelle force de défense nationale, les membres des forces armées burundaises et les combattants des partis et mouvements politiques reconnus coupables « d'actes de génocide, de violations de la constitution et des droits de l'homme, ainsi que de crimes de guerre. »79 A ce jour, les parties n’ont toujours pas prévu, dans le programme national de démobilisation, un processus de filtrage qui permette de concrétiser cette exigence, particulièrement importante dans un contexte où les crimes commis pendant le conflit, dans lesquels sont impliqués toutes les parties, n’ont jamais fait l’objet de traitement judiciaire.

Chacun des anciens mouvements d’opposition armée cherche à gonfler ses effectifs, ce qui peut s’expliquer par le fait que le nombre de combattants avancé indique non seulement son importance immédiate mais aussi l’influence politique à laquelle il pourra prétendre. La délivrance d’une assistance alimentaire et le montant financier qui sera délivré au combattant démobilisé, dépendent aussi de ces chiffres. L’adhésion massive de nouveaux sympathisants au CNDD-FDD, y compris au niveau de l’assemblée nationale, traduit en partie le succès en nombre et en puissance dont semble bénéficier l’ancien groupe rebelle. Mais lorsque les observateurs de la Mission africaine ont essayé de vérifier le nombre exact des effectifs des différents groupes rebelles, estimant exagérés les chiffres annoncés, leurs supérieurs leur ont demandé d’arrêter leurs démarches.80

Paradoxalement, le processus, qui est censé aboutir à une diminution du nombre des combattants, contribue à l’augmentation de celui-ci puisque tous les mouvements armés intéressés continuent, dans les faits, à recruter et le font en totale violation des engagements de cessez-le-feu préalablement signés.81 Ainsi, un nombre indéfini de citoyens ordinaires ont rejoint les groupes armés, tous s’attendant à être bientôt démobilisés et renvoyés chez eux avec un pécule en poche. Certains ont été assurés de recevoir une somme d’au moins 3000 euros pour leur brève prestation en qualité de combattant. Comme l’un d’entre eux l’a expliqué de façon très pragmatique, « Ce n’est pas tant pour devenir militaire, c’est surtout l’argent qui m’intéresse. ».82

Désirée Gatoto, la directrice du bureau national de démobilisation et de réinsertion des enfants soldats, a dénoncé le fait que « de nombreux groupes armés continuent de recruter des combattants, dont la plupart n’ont pas dix-sept ans. »83 Annonçant que son programme, qui a démarré plus tôt et de façon indépendante, avait procédé à la démobilisation de 964 enfants soldats depuis janvier 2004, elle a identifié les recrutements actuellement opérés par les anciens mouvements rebelles comme « l’obstacle majeur » aux efforts qui visent à éliminer toute forme de service militaire pour les enfants.

Pour ce qui concerne les Gardiens de la Paix, le seul plan de démobilisation qui existe à ce jour vise les plus jeunes, nés avant 1985, et est contenu dans le plan de démobilisation des enfants soldats. Le sort des Gardiens de la Paix adultes n’a à ce jour pas reçu de réponse. Ces jeunes hommes, qu’on compte par milliers, ont été formés au maniement des armes et la plupart en disposent. Bien que le gouvernement ait incorporé quelques-uns d’entre eux dans l’armée régulière, des milliers d’autres n’ont jamais pu espérer aucun salaire ni formation. En conséquence, des centaines d’entre eux ont récemment rejoint les différents groupes armés, dans l’espoir d’un meilleur futur. Ils sont nombreux à exprimer leur amertume à l’encontre d’un gouvernement qui n’a jamais voulu reconnaître ni rémunérer les nombreuses années de service. « “Si le gouvernement ne fait rien pour que nous réintégrions la vie civile avec les honneurs dus après dix ans de travail, certains vont penser à aller se battre ailleurs, c’est sûr”, assure l’un d’entre eux.84 En réalité, leur angoisse est grande d’être simplement désarmés et renvoyés dans des communautés qu’ils ont allègrement maltraitées et violées pendant leur service.85

Le processus de démobilisation suppose que les mouvements rebelles soient rassemblés dans des sites qui ont été publiés par la CMC mais les FDD ont parfois choisi de regrouper des hommes dans des endroits de leur choix, comme à Mubimbi qui abrite approximativement 4.000 hommes, ou dans la province de Ruyigi, à l’Est du pays, où ils ont installé des combattants à Karindo, près de Kinyinya. Les FDD se sont aussi installés dans les zones de Kamenge et Kinama de la ville de Bujumbura ou encore à Gihanga, dans la province Bubanza. Ils ont établi des positions le long de la frontière entre les provinces de Bujumbura rural et de Bururi. Cette dernière province est une zone d’influence pour un autre ancien dirigeant rebelle, Léonard Nyangoma, et les forces des deux leaders Nyangoma et Nkurunziza ont régulièrement été aux prises les unes avec les autres, faisant des victimes parmi les combattants, sans savoir si c’est aussi le cas parmi la population civile. En alliance avec des troupes gouvernementales, les FDD de Nkurunziza ont aussi combattu le Frolina, un autre groupe rebelle minoritaire, au Sud, le long de la frontière burundo-tanzanienne.



[76] Connue en anglais sous l’appellation de Joint Commission of Cease fire (JCC.)

[77] Connue en anglais sous l’appellation de Implementation Monitoring Commission (IMC.)

[78] Entretien de Human Rights Watch avec le Général Samba, Bujumbura, 25 février 2004.

[79] Accord d’Arusha, Protocole III, article 14, e).

[80] Entretiens de Human Rights Watch, Bujumbura, 24 février 2004 et 22 mars 2004.

[81] Entretiens de Human Rights Watch, Bubanza, 25 mars, Bujumbura, 4 mars et 1 avril et Kayanza, 14 avril 2004.

[82] Entretien de Human Rights Watch, Bujumbura, 1 avril 2004.

[83] Integrated Regional Network (IRIN), “Burundi : 964 children demobilized since January, official says”, 29 avril 2004.

[84] Entretien de Human Rights Watch, Rumonge, 6 mars 2004.

[85] Entretiens de Human Rights Watch, Rumonge, 6 et 7 mars 2004.


<<previous  |  index  |  next>>juin 2004