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Viol

Ainsi que l’exprimait la mère d’une fille violée, « Le viol, c’est devenu comme une épidémie. »28 Pour se protéger, les femmes et les filles racontent avoir développé des techniques de survie, évitant de se retrouver seules, que ce soit chez elles ou sur les routes.29 Une jeune fille a insisté : « Moi, je voudrais la paix. Surtout pour les filles. Pour ne plus devoir toujours vivre cachées. »30 La population incrimine surtout les militaires de l’armée gouvernementale ainsi que les combattants des FDD. Les FNL sont rarement mis en cause, ce qui s’expliquerait par le fait qu’ils exerceraient une discipline plus stricte sur leurs hommes, punissant de mort ceux des leurs qu’ils trouvent coupables de viol.

Le 10 janvier 2004, une jeune fille qui travaillait dans ses champs à Mbare a été violée par deux FDD, qui lui ont déclaré : « Vous croyez que nous n’allions pas arriver, nous allons toutes vous prendre, pas une ne restera fille, vous serez toutes femmes. »31 Le 15 février 2004, sur la sous-colline Rusha de la colline Sagara, commune Rushubi, cinq jeunes filles ont été arrêtées en chemin par des FDD. Trois ont pu s’échapper, les deux autres ont été violées.32

En janvier, un militaire de l’armée gouvernementale de la position de Musumba a violé une fille à Ruyaga.33 Le 10 mars 2004, les militaires de l’armée gouvernementale ont arrêté un groupe de civils qui passaient sur la route Amsar à Ruziba, commune Kanyosha. Les militaires ont attrapé une fille du groupe en menaçant les autres qui protestaient de les tuer s’ils ne vidaient pas les lieux immédiatement.34

Le silence et la honte qui entourent le phénomène rendent les femmes et les filles violées doublement victimes. Celles dont on sait ou simplement dont on pense qu’elles ont été violées, parce qu’elles ont été enlevées, parce qu’elles sont restées absentes de chez elles suffisamment longtemps pour que cela se remarque, ou parce qu’elles sont tombées enceintes, sont rejetées par leur communauté, et même par leur mari et leur propre famille. Une jeune fille célibataire dont on sait qu’elle a été violée éprouvera d’immenses difficultés à trouver, un jour, un mari.

Une jeune veuve et sa belle-sœur de quinze ans de Mubimbi ont été enlevées par quatre combattants FDD en armes un petit matin de juin 2003, alors qu’elles venaient juste d’arriver aux champs pour cultiver. La jeune femme a raconté que les rebelles les avaient forcées à marcher jusqu’à une de leurs positions située dans la forêt de la Kibira. Toutes deux ont été violées cinq nuits d’affilée, du lundi jusqu’au samedi, par plusieurs hommes. « Ils nous disaient toujours : fais comme on te dit, ne discute pas », raconte-t-elle. « Ils sont venus l’un après l’autre. Il y avait une pause et puis un autre venait. Je ne peux même pas compter. Ca durait longtemps, longtemps. Je ne peux même pas savoir si c’est le même ou bien un autre qui venait. » Le mardi, la jeune fille de quinze ans a osé se plaindre auprès du commandant qui les visitait. Il a alors muté sur une autre position deux des quatre combattants qui les avaient enlevées, mais d’autres ont continué à violer les deux jeunes femmes. Le vendredi soir, deux combattants vinrent chercher la jeune fille de quinze ans et la jeune femme, laissé seule, a entendu un coup de feu peu après. Le lendemain matin, le commandant est venu lui conseiller de fuir aussi vite que possible mais elle a refusé de partir sans sa belle-sœur. Il lui a alors montré le cadavre de celle-ci. La jeune femme n’a eu d’autre recours, dans sa fuite, que de se présenter chez sa belle-mère, la seule parenté qui lui restait. En expliquant son histoire, sa voix tout à coup se brise et elle se cache le visage entre les mains : « Je suis restée cinq mois chez elle. On n’a pas parlé. Même si tout le monde sait que si une femme ou une fille est prise, c’est pour ça [pour être violée.] Un jour, je n’ai pas pu manger de la viande et elle m’a dit que j’étais enceinte. J’ai nié. Mais c’était visible et elle m’a chassée de chez elle. » Elle conclut, en secouant la tête : « Nous sommes refoulées, injuriées, maltraitées. Il faut punir pour décourager tout ça. »35

Les viols sont rarement poursuivis, encore moins punis. Dans certains cas, les victimes ne sont pas en mesure d’identifier les violeurs, voire même ne peuvent même pas identifier à quel camp ils appartiennent. Cette confusion est parfaitement illustrée par le cas du viol de deux jeunes filles de 15 et 17 ans, enlevées à leur domicile de Kirombwe, à Bujumbura rural, dans la nuit du 21 au 22 février 2004, par trois hommes armés, portant chacun une tenue militaire camouflage complète et des chaussures militaires. Ils se sont présentés comme étant des membres des FNL. Les victimes et leurs familles sont toutefois convaincues que les agresseurs étaient des FDD qui venaient d’arriver dans la région et essayaient de discréditer leurs opposants. A Kirombwe, se trouvait aussi, à l’époque, une position de l’armée gouvernementale.36 L’impossibilité d’identifier clairement les auteurs, ni même le corps armé auquel ils appartiennent, a été invoquée par le gouverneur de Bujumbura rural qui a estimé, pour ce cas précis, ne pas avoir les éléments suffisants pour agir ni auprès de l’armée gouvernementale ni auprès des FDD.37 Cette attitude pénalise doublement les victimes et les familles qui ont le courage de braver la crainte d’éventuelles représailles et d’interpeller les autorités administratives. Le père d’une des jeunes victimes a avoué son impuissance : « Je suis venu ici parce qu’on  a fait trop de mal à mon enfant. L’auteur principal, c’est celui qui a envoyé ces hommes là-bas. On ne peut même pas savoir qui ils sont. »38

Même lorsqu’il est possible d’identifier les auteurs, les autorités se sont rarement investies. Dans le cas susmentionné du viol commis à Ruyaga, la gendarmerie a investigué le cas mais six semaines plus tard, n’avait toujours pas transmis le dossier à l’auditorat militaire à Bujumbura.39 A Gitaza, commune Muhuta, les FDD qui avaient attrapé trois filles, en pleine journée, pour les emmener sur leur position, ont été à ce point hués par la foule que le commandant FDD a dû intervenu pour les libérer. Aucune punition des auteurs n’a été rapportée.40 Dans un cas exceptionnel à Nyarukere, Rushubi, commune Isale, un combattant FDD, surpris, alors qu’il tentait de violer une fille, par les cris de la mère de cette dernière, a été arrêté par le commandant FDD et battu en public.41

Jeune et jolie mais désormais le regard éteint et méfiant, une jeune fille violée murmure : “C’est important de les punir [les auteurs] car ils m’ont fait du mal et ils ne me connaissaient même pas.”42



[28] Entretien de Human Rights Watch, Kayanza, 9 mars 2004.

[29] Entretiens de Human Rights Watch, Bujumbura, 2 et 4 mars 2004, Mutambu, 12 mars 204 et Mutumba, 17 mars 2004.

[30] Entretien de Human Rights Watch, Bujumbura, 18 mars 2004.

[31]Entretien de Human Rights Watch, Bujumbura, 5 mars 204.

[32] Entretien de Human Rights Watch, Rushubi, 19 mars 2004.

[33] Entretien de Human Rights Watch, Ruyaga, 26 février 2004.

[34] Entretien de Human Rights Watch, Bujumbura, 18 mars 2004.

[35] Entretien de Human Rights Watch, Bujumbura, 13 mars 2004.

[36] Des allégations de viols ont circulé largement dans la région, à charge des FDD. Pendant deux ou trois jours, des chercheurs de Human Rights Watch et d’autres ONGs ont été prévenus que les FDD avaient violé systématiquement au moins 20 femmes, en ce compris une vieille femme et des bébés, à Kirombwe. Les chercheurs de Human Rights Watch n’ont trouvé que les cas décrits dans le rapport. Entretiens de Human Rights Watch, Ruyaga, 26 février 2004.

[37] Entretien de Human Rights Watch avec M. Ignace Ntawembarira, Gouverneur de Bujumbura rural, 22 mars 2004.

[38] Entretien de Human Rights Watch, Bujumbura, 5 mars 2004.

[39] Entretien de Human Rights Watch, Ruyaga, 26 février 2004.

[40] Entretien de Human Rights Watch, Bujumbura, 18 mars 2004.

[41] Entretien de Human Rights Watch, Rushubi, 19 mars 2004.

[42] Entretien de Human Rights Watch, Bujumbura, 5 mars 2004.


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