Rapports de Human Rights Watch

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Abus Commis Par Les Forces Du Gouvernement Depuis L’Etablissement Du Nouveau Gouvernement

Depuis l’installation du nouveau gouvernement, le comportement des forces militaires et des forces de police à l’égard des civils s’est amélioré dans les zones du pays où le CNDD-FDD exerce un contrôle politique mais il en est autrement dans les régions où le FNL est actif ou dans les endroits où le Frodebu continue d’exercer une force politique.

Dans la province de Ruyigi où le CNDD-FDD a remporté une large victoire, des habitants du coin ont raconté aux chercheurs de Human Rights Watch que les meurtres de civils avaient diminué mais que les soldats et la police commettaient toujours des abus tels que viols et attaques à main armée.21 Ils ont fait remarquer, cependant, que les responsables militaires prenaient ces abus plus au sérieux que par le passé. Dans un cas, ils ont rapidement localisé et arrêté deux des trois hommes armés qui avaient en septembre cambriolé le bureau d’un projet gouvernement de micro finance dans la commune de Nyabitsinda. Les deux hommes, des soldats FDN, attendent actuellement d’être jugés dans la prison de Gitega.22

Dans un autre cas en octobre, un père de famille qui avait découvert un officier de police en train de violer sa fille de quatre ans a reçu l’aide du Bureau de la police judiciaire pour que sa fille puisse bénéficier de soins médicaux. Le coupable a été emprisonné bien qu’il ait rapidement réussi à s’échapper, apparemment avec l’aide d’un garde.23 La police a ensuite emprisonné ce garde. Le Commandant de la brigade, furieux de cette évasion, a affirmé aux chercheurs de Human Rights Watch qu’il avait sollicité l’aide de tous les responsables de la région pour appréhender cet homme.24

Dans la province de Bubanza et dans d’autres régions où certains habitants soutiennent le FNL, les autorités sont moins rapides à répondre aux plaintes pour abus commis par des soldats ou des policiers. Dans la commune de Gihanga, province de Bubanza, une femme a été emmenée de force de sa maison dans la nuit du 13 septembre et violé par un officier de police en uniforme qui avait plaqué au sol son mari avec son arme.25 Grâce à la ceinture de l’homme abandonnée sur place et parce qu’elle connaissait son nom et son numéro de matricule, cette femme a pu porter plainte auprès de la police judiciaire locale. Le coupable n’a cependant pas été arrêté et a été aperçu dans le quartier. Les responsables ont déclaré au mari qu’il devait « faire la paix et se réconcilier. » 26

Dans la commune de Nyabiraba, Bujumbura-rural, le 7 octobre, des soldats ivres ont tué par balle deux civils sans raison apparente. Un témoin qui a vu les deux soldats quitter un bar et remonter la colline pour rejoindre leur poste a déclaré aux chercheurs de Human Rights Watch :

Tout à coup, j’ai entendu beaucoup de coups de fusils. Les rebelles ne viennent jamais ici parce que c’est beaucoup trop près des positions militaires. Mais quand j’ai vu les soldats, j’ai compris qu’ils étaient ivres. Les tirs ne venaient que d’une seule direction. Ils devaient tirer en l’air en remontant la colline.27

Les familles des deux victimes ont écrit des lettres pour se plaindre aux autorités judiciaires mais sans résultat à ce jour. Un responsable administratif local a ainsi commenté cette affaire :

Les droits humains ne sont pas respectés ici. Certains des problèmes liés à la guerre ont pris fin et la situation était meilleure pendant un moment mais maintenant, les choses empirent de nouveau. Il y a eu beaucoup de morts récemment… Les gens se plaignent beaucoup des soldats mais les soldats ne comprennent pas qu’ils ne peuvent pas maltraiter la population. Les gens se plaignent aux autorités judiciaires mais les affaires traînent et rien ne se passe. Je ne pense pas qu’un seul cas impliquant ici des soldats a fait l’objet d’une enquête.28

Abus commis par des soldats du gouvernement contre des collaborateurs présumés du FNL

Dans certaines zones de Bujumbura et de Bujumbura-rural, le FNL force fréquemment les gens du coin à leur fournir des vivres, de l’argent ou d’autres biens.29 Les soldats du gouvernement considèrent généralement toute personne apportant un tel soutien comme étant un collaborateur du FNL, sans se préoccuper de savoir si la contribution est volontaire ou forcée. Ils présument souvent que ceux qui ont apporté un tel soutien cachent également des combattants du FNL ou leur fournissent une autre forme d’aide.

Le 1er octobre, les forces FDN qui patrouillaient à partir de plusieurs postes de la commune de Kanyosha dont Kanyosha, Nyamaboko et Kibazo, ont pris un homme soupçonné d’être un combattant FNL. Sur la base apparemment des informations qu’il avait fournies, les soldats sont entrés de force dans une maison. Certains ont pris le père de famille, l’ont maintenu en détention de nuit dans la brigade de Kaynosha et l’ont violemment battu.30 D’autres soldats ont pris Célestin Nimuboma, vingt-trois ans, à l’extérieur de la maison. Dans la maison, les soldats ont abattu un mur, affirmant qu’ils recherchaient une cache pour des combattants ou des armes. Comme ils ne trouvaient rien, l’un des soldats a empoigné une vieille femme, l’a jetée au sol et lui a dit en criant : « Où sont les FNL ? Tu es vieille donc tu sais bien qu’il vaut mieux ne pas nous mentir ! »31 Il l’a ensuite menacée en appuyant sa baïonnette contre sa gorge.32 Après avoir dévalisé la famille de tout l’argent qui se trouvait dans la maison, les soldats sont repartis pour poursuivre leur patrouille. Les membres de la famille ont ensuite découvert le corp de Nimuboma qui avait travaillé comme messager pour le bureau du procureur, à l’extérieur de la maison. Selon un témoin :

Il avait reçu beaucoup de coups et était plein de sang. Je pense que ses bras et ses jambes étaient cassés et il avait reçu une balle parce que l’arrière de sa tête avait disparu.33

Le même jour, des soldats du FDN ont encerclé le domicile de Venant Sindiwenumwe, maçon et père de sept enfants. Selon des gens du voisinage, les soldats ont frappé Sindiwenumwe et son fils de quinze ans, Yves Havyarimana qui venait de débuter une nouvelle année scolaire. Ils les ont forcés à descendre jusqu’au bord d’une rivière toute proche. Là, ils ont tiré de dos dans la tête du père et du fils.34 Ils ont également exécuté Stanislas Butoyi, un pêcheur de trente ans qui se trouvait de passage dans le quartier.

Les soldats appartenant aux groupes apparemment impliqués dans ces meurtres ont été transférés vers d’autres postes dans les trois semaines qui ont suivi ces crimes, compliquant le dépôt de plaintes à leur encontre.35.

Lors d’un autre incident, le 4 octobre, des soldats FDN ont arrêté un jeune étudiant, Jean-Marie-Vianney Nkezuobagira, à Kanyosha alors qu’il rentrait de Bujumbura où il avait acheté des fournitures pour la nouvelle année scolaire.36 Nkezuobagira était récemment rentré au Burundi après plusieurs années passées dans les camps de réfugiés de Tanzanie où il avait fréquenté l’école de Kasuru. Lorsque les soldats ont réalisé qu’il n’était pas natif de Kanyosha, ils l’ont accusé d’être membre du FNL.37 Ils l’ont emmené vers une position militaire toute proche où ils l’ont forcé à endosser une partie d’un ancien uniforme militaire, apparemment pour le faire passer pour un combattant FNL. Après avoir dépassé la maison où il logeait pour la fouiller, ils l’ont fait marcher jusqu’à la rivière et lui ont tiré deux balles dans la tête. Un témoin a raconté à Human Rights Watch :

J’ai rencontré l’étudiant lorsqu’il est venu ici chercher un endroit où aller à l’école quelques jours seulement après son retour au Burundi. J’ai vu ses papiers de son ancienne école en Tanzanie et il avait de bonnes notes. Quand j’ai entendu qu’il avait été tué, je suis descendu pour aider à enterrer son corps. Il avait reçu deux balles sur le front et avait été violemment battu. J’ai eu du mal à le reconnaître. C’est dire comme il avait été frappé.38

Des soldats FDN postés à Gitaza ont également torturé des personnes accusées de collaborer avec le FNL. Des soldats ont appréhendé un jeune habitant de la commune de Muhuta, Bujumbura-rural après la déclaration d’un informateur affirmant qu’il était partisan du FNL. Le jeune homme a affirmé aux chercheurs de Human Rights Watch :

Le combattant FNL ne connaissait même pas mon nom et je ne l’avais jamais vu avant. Mais les soldats m’ont emmené vers leur position à Gitaza et on commencé à me battre très fort avec leurs mains et des bâtons. Ils ont mis un morceau de bois dans ma bouche pour que je ne puisse pas pleurer ni crier. J’ai été battu par vingt hommes environ jusqu’à ce que je perde connaissance. Quand je me suis réveillé, ils m’ont mis dans un fossé, dans le sol pendant un moment. Plus tard, ils m’ont ressorti et un a sorti un bras et un autre a sorti mon autre bras. Ils ont commencé à me brûler avec une barre de métal chaude sur mes bras et mon dos.39

(Un chercheur de Human Rights Watch a examiné et photographié les marques de brûlure sur le corps du jeune homme.)

Pendant ces actes de torture, les soldats ont tenté de soutirer des informations au jeune homme concernant les lieux de cache des combattants FNL mais il n’avait aucune information à fournir. Des soldats l’ont emmené vers une autre position militaire, connue sous le nom de camp chinois et ils étaient sur le point de se livrer à une nouvelle séance de tortures lorsqu’un colonel est intervenu en disant : « Il n’y a plus de place sur ton corps pour te frapper.40 » Il a finalement été libéré lorsque des membres de sa famille ont payé des pots-de-vin aux militaires.

Abus commis par des agents de la Documentation nationale

Des agents de l’agence nationale de renseignements, connue sous le nom de Documentation nationale (D.N.) ont détenu pendant des semaines plus de cinquante personnes de la section Kinama de Bujumbura, sans chef d’inculpation et ont torturé certaines d’entre elles au cours des mois de septembre et octobre de cette année.41 Le 12 octobre, un défenseur burundais des droits humains a rendu visite au directeur de l’un des centres de détention de l’agence de renseignements et a vu des instruments de torture sur son bureau tels qu’électrodes, barre de métal et bâtons.42

Aucune raison officielle n’a été fournie concernant la détention de ces personnes. Parmi elle se trouvaient trois responsables de zone et une quatrième personne mariée à une autre personnalité officielle, tous étant des candidats Frodebu élus lors des consultations locales de fin septembre.43 Kinama, une section de Bujumbura où le Frodebu a remporté deux-tiers des voix lors des élections communales qui se sont tenues un peu plus tôt dans l’année, a également été le théâtre d’attaques contre la police, apparemment commises par les combattants FNL pas plus tard qu’en août dernier.44 Cet endroit serait également une zone où les partisans du Frodebu coopèrent occasionnellement avec le FNL.

Selon le code de procédure pénale burundais, une personne peut être détenue pour une période maximale d’une semaine sauf prorogation indispensable de deux semaines par la police judiciaire. Elle doit ensuite être soit inculpée soit relâchée.45 Beaucoup parmi les personnes arrêtées fin septembre ou début octobre par les agents de la D.N. ont été détenus dans des sites de la D.N. puis transférés le 14 octobre dans les locaux de la Police de sécurité intérieure (P.S.I.) situés à Kigobe, Bujumbura. Au moment de la rédaction de ce rapport, la responsabilité de la détention de ces personnes n’est pas clairement établie.

Un habitant de Kinama, partisan du Frodebu arrêté à quatre reprises depuis le début de la période électorale, en juin, a été détenu le 13 octobre et libéré le lendemain. Il a affirmé au chercheur de Human Rights Watch que ceux qui étaient venus l’arrêter ne disposaient jamais de mandat d’arrêt, qu’il n’était jamais formellement interrogé en détention et qu’à sa libération, aucune preuve de sa libération ne lui était remise. Il a relaté plusieurs passages à tabac par les agents des services de renseignements. Il a affirmé :

Ils m’ont dit de m’allonger et ils ont commencé à me frapper et à me fouetter avec un cable électrique épais sur le dos et les jambes. Je pense qu’ils m’ont aussi brisé le poignet mais je n’ai pas les moyens de me payer une radio pour m’en assurer.46

Il a montré au chercheur de Human Rights Watch les importants hématomes et les coupures qui vont du milieu de son dos vers ses cuisses. Le 21 octobre, un jour après avoir parlé à Human Rights Watch, il a été détenu pour la cinquième fois, apparemment pour avoir parlé à la presse de ses détentions antérieures. Au moment de la rédaction de ce rapport, il est toujours détenu par la D.N.

La D.N., sous commandement direct du président, est actuellement dirigée par le Général Adolphe Nshimirimana, un ancien combattant CNDD-FDD. Selon des habitants de Kinama, la D.N. utilise des membres du parti CNDD-FDD et d’anciens combattants FDD pour identifier et localiser les personnes à détenir.47 Certains habitants de Kinama et des quartiers avoisinants pensent que certaines des arrestations et certains des abus commis sont censés punir les personnes qui soutiennent le Frodebu.48 Ils affirment que des combattants FDD démobilisés ont été vus dans le quartier, en possession de pistolets qu’ils utilisent pour intimider d’autres personnes et de téléphones qu’ils utilisent pour rendre compte de leurs activités au service de renseignements.49 Des témoins ont rapporté que le Général Nshimirimana s’est rendu à Kinama pour procéder à des arrestations, accompagné d’agents de la D.N. en civil. Dans un cas, des membres de la famille ont tenté d’empêcher qu’une personne soit emmenée et des hommes armés accompagnant le Général Nshimirimana ont tiré en l’air pour les disperser.50

Plusieurs jeunes hommes ont fui Kinama pour trouver à se loger ailleurs après avoir entendu que leurs noms se trouvaient sur la liste de l’agence de renseignements. Un jeune homme a affirmé à Human Rights Watch qu’après avoir quitté Kinama, des membres de sa famille lui avaient affirmé que le Général Nshimirimana s’était rendu chez lui avec deux gardes du corps. Il a affirmé :

Avant les élections déjà, la relation entre les partisans du CNDD-FDD et ceux du Frodebu n’était pas bonne mais maintenant avec les anciens combattants CNDD-FDD qui ont des téléphones et des armes, tout est différent.51

Un autre homme ayant fui Kinama a fait le commentaire suivant :

La Documentation nationale devrait changer ses méthodes et utiliser la police nationale pour procéder aux arrestations et pas les anciens combattants FDD. Cela crée des problèmes de vengeance personnelle.52



[21] Entretien conduit par Human Rights Watch, province de Ruyigi, 6 octobre 2005.

[22] Entretiens conduits par Human Rights Watch, province de Ruyigi, 6 octobre 2005 et prison de Gitega, province de Gitega, 8 octobre 2005.

[23] Entretien conduit par Human Rights Watch, province de Ruyigi, 8 octobre 2005.

[24] Entretien conduit par Human Rights Watch avec le Commandant de la brigade de Ruyigi, province de Ruyigi, 8 octobre 2005.

[25] Entretien conduit par Human Rights Watch, province de Bubanza, 3 octobre 2005.

[26] Entretien conduit par Human Rights Watch, province de Bubanza, 3 octobre 2005.

[27] Entretien conduit par Human Rights Watch, province de Bubanza, 18 octobre 2005.

[28] Entretien conduit par Human Rights Watch, commune de Nyabiraba, province de Bujumbura-rural, 18 octobre 2005.

[29] Entretien conduit par Human Rights Watch, commune de Kanyosha, province de Bujumbura-rural, 17 octobre 2005. Voir également Human Rights Watch, « Victimes au quotidien : les civils dans la guerre au Burundi », décembre 2003, Vol. 15, No. 20 (A) et Human Rights Watch,  « Vider les collines : camps de regroupement au Burundi », juillet 2000, Vol. 12, No. 4 (A), page 27.

[30] Entretien conduit par Human Rights Watch, commune de Kanyosha, province de Bujumbura-rural, 17 octobre 2005.

[31] Ibid.

[32] Ibid

[33] Ibid.

[34] Entretiens conduits par Human Rights Watch, commune de Kanyosha, province de Bujumbura-rural, 14 et 17 octobre 2005.

[35] Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 31 octobre 2005.

[36] Entretiens conduits par Human Rights Watch, commune de Kanyosha, province de Bujumbura-rural, 14 et 18 octobre 2005.

[37] Entretien conduit par Human Rights Watch, commune de Kanyosha, province de Bujumbura-rural, 14 octobre 2005.

[38] Entretien conduit par Human Rights Watch, commune de Kanyosha, Bujumbura-rural, 18 octobre 2005.

[39] Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 18 octobre 2005.

[40] Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 18 octobre 2005.

[41] Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 20 octobre 2005 et Iteka, « La torture est une triste réalité dans les cachots de la documentation nationale, » 18 octobre 2005.

[42] Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 20 octobre 2005.

[43] Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 19 et 20 octobre 2005.

[44] Agence Burundaise de Presse, « Fouille systématique des habitations dans la zone Kinama de la mairie de Bujumbura, » 3 août 2005.

[45] Loi No 1/015 du 20 juillet 1999 portant réforme du code de procédure pénale, Article 60.

[46] Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 20 octobre 2005.

[47] Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 18-20 octobre 2005.

[48] Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 18 et 19 octobre 2005.

[49] Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 18-20 octobre 2005.

[50] Ibid.

[51] Entretien conduit par Human Rights Watch, Bujumbura, 19 octobre 2005.

[52] Ibid.


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