Rapports de Human Rights Watch

Attaques contre des rescapés du génocide et des participants aux juridictions gacaca

C’est dans un climat d’inquiétude croissante de la population face au harcèlement et aux agressions de rescapés du génocide de 1994 que Human Rights Watch a publié, en janvier 2007, un rapport décrivant le meurtre d’un rescapé dans la Région est ainsi que les meurtres commis ultérieurement en guise de représailles sur les personnes de huit habitants de la communauté où le rescapé avait été tué. Autre cas décrit dans le rapport, celui du meurtre d’un juge d’une juridiction gacaca, un tribunal populaire instauré pour juger les crimes de génocide, suivi le lendemain de la mort de trois suspects détenus sur présomption d’implication dans le meurtre du juge et abattus par des policiers. Citant ces 13 meurtres ainsi que les préoccupations exprimées par les rescapés et les autorités, Human Rights Watch a mis en garde contre le fait que les tensions ethniques continuaient à perturber certaines parties du Rwanda.1

A la mi-2006, le gouvernement a créé un bureau de protection des témoins qui avait enregistré 26 plaintes à la fin de l’année.2 Il n’existe aucune loi générale relative à la protection des témoins, bien que la loi sur les juridictions gacaca prévoie jusqu’à un an d’emprisonnement pour les personnes qui font du tort aux témoins et aux juges engagés dans le processus gacaca.3  L’adoption d’une loi visant à protéger les témoins, réclamée récemment par une commission du sénat rwandais,4 permettrait à la police et aux autorités judiciaires de garantir plus facilement la sécurité des témoins, contribuant ainsi à la légitimité des procédures judiciaires.

A la fin décembre 2006, les participants au dialogue national, réunion annuelle de Rwandais de premier plan, ont discuté en profondeur de la question de la prévention et de la répression des menaces, actes de harcèlement et attaques à l’encontre de rescapés et de participants aux juridictions gacaca. Depuis lors, les autorités, y compris le Président Paul Kagame, les commandants militaires et les administrateurs locaux, ont dit à la population que de nouvelles mesures énergiques avaient été adoptées afin de dissuader et de sanctionner de tels comportements.5

Soutenant que les personnes résidant dans le voisinage seraient nécessairement au courant de tout plan visant à attaquer un rescapé, les autorités ont répété avec insistance que tous les Rwandais seraient tenus responsables de la sécurité de leurs voisins. Dans la plupart des communautés, les fonctionnaires locaux ont mis sur pied des patrouilles de nuit ou ont accru le nombre de patrouilles existantes, en particulier à proximité du domicile des personnes considérées à risque.6 Les habitants du quartier sont responsables d’effectuer les patrouilles, une obligation communautaire non rémunérée. Dans certaines zones, les autorités ont également renforcé la surveillance des personnes considérées susceptibles d’attaquer des rescapés. Par ailleurs, elles ont averti qu’il y aurait des sanctions à l’encontre de tout individu qui inquiéterait des rescapés ; les sanctions n’ont pas été précisées, bien qu’au mois d’avril, le Ministre des Finances, James Musoni, ait déclaré qu’il « n’y aurait pas de pitié » pour ceux pris en train d’inquiéter des rescapés.7

Des rescapés, en particulier des représentants de l’association Ibuka, ont continué d’exprimer leur inquiétude à propos de la sécurité des rescapés et les autorités n’ont cessé d’émettre des avertissements au cours des six premiers mois de 2007. Lors d’une rencontre qui s’est tenue à la fin mai, un représentant d’Ibuka a annoncé que six rescapés avaient été tués en avril, mois qui connaît souvent des violences en raison de son association avec le génocide de 1994, mais il n’a pas mentionné d’autres décès pour cette année. A la même réunion, le secrétaire exécutif de l’organisation de défense des droits humains LIPRODHOR (Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l’homme) a fait part de trois meurtres qui semblent être liés aux tensions ethniques.8 Des comptes rendus de presse ont parlé de la mort de deux rescapés, dont un décès probablement lié à des litiges fonciers plus qu’au génocide à proprement parler, et de l’agression d’un enfant, qui aurait été blessé parce que son père était témoin dans les procès gacaca.9 En 2006, des organisations de rescapés ont cité des chiffres allant de 12 à 20 meurtres de rescapés.10 Mises bout à bout, toutes ces informations donnent donc à penser que les chiffres pour 2007 n’ont pas augmenté et pourraient en fait avoir diminué quelque peu. Tharcisse Karugarama, ministre de la justice, et Domitille Mukantaganzwa, secrétaire exécutive du Service National des Juridictions Gacaca, estimaient tous deux que les agressions à l’encontre de rescapés avaient diminué au cours du premier trimestre 2007.11




1 Human Rights Watch, Meurtres à l’Est du Rwanda, no. 1, janvier 2007, http://www.hrw.org/french/backgrounder/2007/rwanda0107/.

2 Ibid, p. 11.

3 Loi Organique no.16/2004 du 19/6/2004 portant organisation, compétence et fonctionnement des Juridictions Gacaca, article 30.

4 Sénat rwandais, Rwanda: Genocide Ideology and Strategies for its Eradication (Kigali, non daté, publié en avril 2007), p. 169.

5 Paul Ntambara, « Kagame warns local leaders over survivors and witnesses’ security », The New Times, 15 avril 2007 http://www.newtimes.co.rw/index.php?option=com_content&task=view&id=1208&Itemid=1 (consulté le 15 avril 2007); John Bayingana, « Ibingira assures survivors of security », The New Times, 12 avril 2007, http://www.newtimes.co.rw/index.php?option=com_content&task=view&id=1164

&Itemid=1 (consulté le 12 avril 2007).

6 Ministre de la Justice Tharcisse Karugarama, Nouvelles (en kinyarwanda), Radio Rwanda, 24 janvier 2007, 19 heures.

7 John Bayingana, « 75 percent of population have reconciled — James Musoni », The New Times, 12 avril 2007, http://www.newtimes.co.rw/index.php?option=com_content&task=view&id=1167&Itemid=1 (consulté le 12 avril 2007).

8 Commentaires de Dieudonné Kayitare d’Ibuka et de Jean-Baptiste Ntibagororwa, secrétaire exécutif de la LIPRODHOR, lors d’une Journée locale d’information parrainée par la LDGL (Ligue des Droits de la personne dans la région des Grands Lacs) sur « L’état des lieux de la criminalité au Rwanda et le rôle des instances rwandaises chargées du maintien de la sécurité dans son éradication, » 25 mai 2007, Hôtel Alpha Palace, Kigali. 

9 Daniel Sabiiti, « 65 Year Old Survivor Murdered », The New Times, 20 juin 2007 http://www.newtimes.co.rw/index.php?option=com_content&task=view&id=757&Itemid=54 (consulté le 20 juin 2007); Anonyme, « Genocide suspects hack child », The New Times, 31 janvier 2007 http://www.newtimes.co.rw/index.php?option=com_content&task=view&id=702&Itemid=1 (consulté le 31 janvier 2007); Stevenson Mugisha, « Seven arrested over survivor’s murder », The New Times, 18 février 2007 sur http://newtimes.co.rw/index.php?option=com_content&task=view&id=172&Itemid=1 (consulté  le 18 février 2007) ; Daniel; Sabiiti, « Genocide survivors, witnesses under security threats », The New Times, 20 janvier 2007 http://www.newtimes.co.rw/index.php?option=com_content&task=view&id=460&Itemid=39 (consulté le 21 janvier 2007).

10 Bureau du Département d’Etat américain pour la démocratie, les droits humains et le travail, « Country Reports on Human Rights Practices – 2005: Rwanda », 8 mars 2006, http://www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2005/61587.htm (consulté le 19 décembre 2006).     

11 Entretien de Human Rights Watch avec la Secrétaire exécutive du Service National des Juridictions Gacaca, Domitille Mukantaganzwa, Kigali, 13 mars 2007; Gasheegu Muramila, « Genocide ideology is now minimal—Karugarama », The New Times, 17 avril 2007, http://www.newtimes.co.rw/index.php?option=com_content&task=view&id=1218

&Itemid=1 (consulté le 17 avril 2007).