Rapports de Human Rights Watch

Destruction de biens appartenant à des rescapés et punitions collectives

Au cours de l’année écoulée, des rescapés ont rapporté des dizaines de cas de dommages occasionnés à leurs biens par des personnes qui voulaient leur nuire. Par exemple, leurs cultures avaient été déracinées ou leurs animaux de ferme tués. Depuis fin 2006, les autorités ont imposé des punitions collectives, notamment des amendes, du travail obligatoire, et des passages à tabac à l’encontre des habitants des communautés où ces exactions surviennent.

Par exemple, dans l’umudugudu de Gikombe, cellule de Bulimba, secteur de Shangi, district de Nyamasheke, chaque ménage a dû payer 1 550 FRW (2,80$) pour rembourser un rescapé dont la vache était morte dans des circonstances suspectes. Cela représentait un montant considérable dans un pays où la plupart des gens vivent avec moins de 550 FRW (1$) par jour.64 Ceux qui se trouvaient dans l’impossibilité de payer ou qui ne voulaient pas le faire ont été mis au cachot jusqu’à ce que d’autres paient l’amende pour eux.65 Dans le district de Huye, Région sud, le maire a forcé les habitants à aider à reconstruire la maison d’un rescapé qui avait brûlé. Il a expliqué que le travail obligatoire, effectué avant même que la police n’eut terminé son enquête sur le crime, contribuerait à rompre l’impunité et l’indifférence.66

Dans un entretien avec des chercheurs de Human Rights Watch, Domitille Mukantaganzwa, secrétaire exécutive du Service National des Juridictions Gacaca, a mentionné plusieurs autres exemples survenus ailleurs au Rwanda, laissant entendre que l’application de la punition collective était relativement répandue. Madame Mukantaganzwa a parlé sur un ton approbateur des aspects « éducatifs » de cette pratique, de son efficacité en tant que punition, et de son utilité pratique pour restaurer la valeur du bien perdu. Elle a dit qu’elle pensait que le nombre d’attaques à l’encontre de rescapés avait diminué depuis la mise en œuvre de cette politique. 67

Passages à tabac infligés par des policiers dans le secteur de Huye, district de Huye, Région sud

Dans un cas au moins, la punition collective comprenait des passages à tabac infligés aux habitants ainsi que le versement d’une amende visant à restaurer le bien endommagé.

Le 13 février 2007, des cultures ont été déracinées dans les champs appartenant à Josepha Mukarwego, qui vit dans un umudugudu appelé Rwezamenyo. Les habitants du quartier ont vu dans la destruction des cultures un acte de vengeance, probablement lié au témoignage de Mukarwego à la gacaca. Lors du génocide, elle avait perdu ses six enfants, son mari et sa belle-mère. Au moment des faits, Mukarwego était aussi impliquée dans un litige foncier avec sa belle-sœur, également rescapée. On ignore dans quelle mesure ce litige a joué un rôle, s’il en a joué un, dans la destruction des cultures de Mukarwego.68

Les autorités locales et les policiers basés dans le secteur de Huye, dont l’un dénommé Batera, ont convoqué une réunion des habitants sur le lieu où les cultures avaient été détruites. Des membres de la Force de défense locale (LDF) se sont assurés que les habitants assisteraient à la réunion. Après quelques discussions, les participants se sont mis d’accord pour fixer la valeur des cultures détruites à
45 000 FRW et chaque ménage se verrait réclamer 500 FRW.69     

Alors que la réunion était en cours, plusieurs policiers identifiés par les habitants comme étant basés à Ngoma (anciennement la ville de Butare) sont arrivés avec deux membres de la LDF ne résidant pas dans le secteur. Après avoir évalué les dommages faits aux plantations, les policiers ont ordonné aux hommes de se coucher par terre et ont dit aux membres de la LDF qui étaient arrivés avec eux de couper de solides branches d’arbre dans le voisinage. Selon l’une des victimes, un policier a refusé les premières branches ramenées par les membres de la LDF, disant qu’elles n’étaient pas assez solides. Les membres de la LDF ont frappé les hommes sur le dos et le derrière. La plupart ont reçu entre six et 15 coups, mais trois jeunes (Antoine Mutabazenga, 21 ans, Jean-Bosco Gahamanyi, 22 ans, et Alphonse Nsabimana, 24 ans) ont été désignés pour recevoir une correction supplémentaire. On a annoncé à l’habitant élu pour coordonner la sécurité dans l’umudugudu qu’il recevrait 200 coups, qu’il a dû compter à haute voix. Mais, selon certaines personnes présentes à ce moment-là, après 73 coups il s’est écrié : « Je n’en peux plus, c’est tout ce que je peux supporter ». La police lui a alors dit : « Prends toujours ça [ces coups], nous te donnerons les autres plus tard ».70 Les policiers de Ngoma ont également menacé les habitants de subir des mesures plus drastiques si à l’avenir, ils devaient revenir à Sovu pour un cas similaire.

Comme l’ont expliqué les autorités, tous les Rwandais doivent assumer la responsabilité de la sécurité de leurs voisins, mais dans le cas présent, tous les habitants de Sovu n’ont pas été punis. Les deux hommes rescapés du génocide n’ont pas été battus. L’un d’eux ne s’est pas couché par terre et l’autre a quitté la réunion en toute hâte. De même, tous les ménages de l’umudugudu étaient repris sur la liste pour les paiements de l’amende mais selon une source bien informée, les familles de rescapés ne seraient en fait pas obligées de payer l’amende.

Les habitants de Sovu, remplis d’amertume suite aux passages à tabac et à l’humiliation ainsi provoquée, en veulent aux policiers de la ville voisine pour la punition, mais certains ont également fait remarquer que l’incident avait ébranlé leur respect envers les autorités locales.71 Ils considèrent qu’ils ont été punis injustement pour un crime dont beaucoup – voire tous ceux qui ont été punis – étaient innocents.

Ceux qui ont subi la punition risquent de diriger leur colère non seulement sur les autorités, mais aussi sur les rescapés qui étaient à l’origine les victimes des attaques, voyant finalement en eux la cause des amendes à verser, du travail à effectuer et des volées de coups à recevoir. Dans cette éventualité, la politique de punition collective risque en fait d’accroître la vulnérabilité et l’isolement des rescapés. Au moins un haut fonctionnaire du gouvernement a reconnu ce risque. Il a confié à un chercheur de Human Rights Watch : « Nous ne devons pas créer une population de victimes. Ce serait désastreux pour la réconciliation. »72 




64 Portail de la pauvreté rurale, http://www.ruralpovertyportal.org/french/regions/africa/rwa/statistics.htm (consulté le 26 juin 2006).

65 Entretien de Human Rights Watch avec des habitants de la cellule de Burimba, secteur de Shangi, 29 mars 2007.

66 Stevenson Mugisha, « Seven arrested over survivor’s murder », The New Times, 18 février 2007 http://newtimes.co.rw/index.php?option=com_content&task=view&id=172&Itemid=1 (consulté le 18 février 2007).

67 Entretien de Human Rights Watch avec la Secrétaire exécutive du Service national des Juridictions Gacaca, Domitille Mukantaganzwa, Kigali, 13 mars 2007.

68 Entretiens de Human Rights Watch avec des habitants du secteur de Huye, 27 février et 15 mars 2007.

69 45 000 FRW equivalent à environ 80 $US.

70 Entretiens de Human Rights Watch avec des habitants du quartier, cellule de Sovu, 27 février et 15 mars 2007.

71 Entretiens de Human Rights Watch avec des habitants du quartier, cellule de Sovu et ville de Ngoma, 15 mars 2007.

72 Entretien de Human Rights Watch, haut fonctionnaire du gouvernement, Kigali, 13 mai 2007.