(New York) - L'armée guinéenne a tué et blessé des douzaines de civils sierra léonais lors d'attaques non ciblées, lancées sur des régions contrôlées par les rebelles, au nord de la Sierra Leone.
Apparemment, l'armée guinéenne a attaqué aux environs des postes des forces rebelles sierra léonaises qui avaient lancé des attaques de l'autre côté de la frontière, causant des flux massifs de réfugiés se dirigeant des camps de l'intérieur de la Guinée vers la Sierra Leone. Des témoins ont déclaré que les attaques des hélicoptères et de l'artillerie n'avaient causé que peu de dégâts aux forces rebelles. Elles ont, en revanche, tué au moins 41 civils, dont 11 enfants, depuis septembre 2000.
Human Rights Watch a appelé le gouvernement guinéen à suspendre toute attaque non ciblée et à s'assurer que ses forces respectent le droit international humanitaire. L'organisation de défense des droits humains a également appelé le gouvernement de Sierra Leone à exiger que ses ressortissants civils soient protégés. Le gouvernement de Sierra Leone n'a pas encore condamné les attaques contre les citoyens de son propre pays.
« Au lieu d'attaquer les rebelles, l'armée guinéenne a attaqué les victimes des rebelles », a déclaré Peter Takirambudde, directeur exécutif de la Division Afrique de Human Rights Watch. « Les civils ont porté le poids de dix années de guerre civile en Sierra Leone et malheureusement, le gouvernement guinéen est actuellement en train d'aggraver encore leur situation. »
Human Rights Watch a rencontré des témoins et des victimes de douze attaques, toutes dans des régions sous contrôle des rebelles du Front Révolutionnaire Uni (RUF). Les attaques, qui ont eu lieu dans les districts de Kambia, Bombali et Koinadugu, ont aussi causé d'importantes destructions matérielles et ont entraîné le déplacement de milliers de civils. Ces attaques, cinq par hélicoptères de combat et sept avec utilisation de l'artillerie, se sont produites dans et autour des villes de Rokupr, Yeliboya, Makasa, Kakuna, Sabuya, Mambolo, Rokel et Kamakwie. Lors des incidents les plus récents, le 15 février, quatre civils appartenant tous à la même famille élargie ont été tués lorsqu'un obus s'est écrasé dans le village de Sabuya, dans le district de Kambia, au nord. Le même jour, des obus ont tué une petite fille de trois ans, dans le village de Rokel, toujours dans le district de Kambia. Les attaques les plus graves ont impliqué l'utilisation d'hélicoptères de combat. Ce fut le cas lors de l'attaque du 30 novembre 2000 sur la ville de Rokupur, qui a tué treize civils et lors de l'attaque du 26 janvier contre la ville de Kamakwie qui en a tué douze.
Si nombre de victimes et de témoins interrogés par Human Rights Watch ont confirmé la présence de rebelles du RUF dans la région au moment des attaques, aucune des attaques pour lesquelles des informations ont été recueillies ne semble avoir visé précisément des bases du RUF ou des lieux de concentration des forces du RUF. Les roquettes et obus ont, au contraire, frappé des quartiers d'habitation, des marchés, des restaurants et des quais à bateaux. Les témoins et les victimes interrogés par Human Rights Watch n'ont pu confirmer qu'un seul décès chez les rebelles du RUF au cours des douze attaques pour lesquelles des informations ont été recueillies.
Le gouvernement guinéen prétend que les rebelles du RUF et les forces de sécurité libériennes lancent des attaques contre son territoire depuis septembre 2000. Les attaques ont entraîné la mort de centaines de civils guinéens et le déplacement massif de dizaines de milliers de réfugiés sierra léonais et libériens.
Human Rights Watch a également fermement condamné les attaques du RUF contre les civils guinéens et les camps de réfugiés. De plus, l'organisation a affirmé que le RUF avait tenté d'empêcher des civils de l'île de Yeliboya de prendre la fuite, après une attaque lancée par un hélicoptère de combat.
Les Conventions de Genève interdisent les attaques sans discrimination et exigent des forces armées qu'elles prennent des précautions pour limiter les dangers des attaques sur les populations civiles. Sont particulièrement interdites les attaques « par bombardement, quels que soient les méthodes ou moyens utilisés, qui traitent comme un objectif militaire unique un certain nombre d'objectifs militaires nettement espacés et distincts situés dans une cité, une ville [ou] un village. » Sont également interdites les attaques « dont on peut attendre qu'elles causent incidemment des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes civiles [et] des dommages aux biens de caractère civil, qui seraient excessifs par rapport à l'avantage militaire concret et direct attendu. »
Témoignages
1. Hassan, vingt-neuf ans, propriétaire d'un bateau, décrit l'attaque lancée par un hélicoptère de combat sur la ville de Rokupr, le 30 novembre et qui a fait au moins treize morts et onze blessés :
Vers 10 heures du matin environ, trois hélicoptères se sont rapprochés de la ville et se sont dispersés en trois directions différentes. Puis, l'un d'entre eux s'est dirigé directement sur le quai où des centaines de commerçants et de négociants étaient occupés par leurs affaires. C'est alors que nous avons réalisé, hélas trop tard, que l'hélicoptère fonçait sur nous. Ce fut la panique et le désordre généralisé. J'ai entendu trois explosions assourdissantes et puis, l'hélicoptère a tiré un gros coup. Après quelques minutes, je suis sorti de ma cachette et j'ai vu ce qui s'était produit.
J'ai vu quatre personnes mortes sur le coup et des blessés étendus partout, certains gémissaient, d'autres étaient juste complètement désorientés. Une bombe a atteint un bâtiment en construction et un homme qui avait essayé de s'y cacher a été complètement pulvérisé. Il y avait des rebelles mêlés aux civils mais la plupart n'étaient pas armés. J'ai entendu dire qu'un rebelle avait été blessé dans l'attaque. Un bateau est parti avec les blessés mais quand il est enfin arrivé à Lunghi, sept étaient déjà morts.
2. Sorrie, un étudiant de vingt-cinq ans a vu les corps de douze personnes tuées quand le 26 janvier, la ville de Kamakwie a été attaquée par deux hélicoptères de combat guinéens. Il a confirmé la présence d'un nombre significatif de rebelles du RUF mais a déclaré que leur quartier général n'avait pas été touché et qu'aucun d'entre eux n'avait été blessé dans l'attaque.
J'étais assis sous la véranda quand on a entendu ce qu'on a d'abord pris pour une pétarade de voiture. Puis on a compris que c'était l'hélico et juste à ce moment là, on en a vu deux qui venaient de l'ouest et se dirigeaient vers la ville. J'ai couru et je me suis caché sous le lit et alors, j'ai entendu trois fortes explosions. Tout a tremblé. Je ne pensais qu'à m'en sortir. Quant tout a été terminé, j'ai fait un tour en ville pour voir ce qui s'était passé. Le premier était tombé tout droit sur une maison, dans la section 2. Il a tué deux femmes et en a blessé trois autres. Le second a échoué tout près du buisson sacré, un endroit à l'arrière de la ville où on fait nos rituels. Je suis resté là alors que les autres sortaient dix corps. Ils étaient en plusieurs morceaux et beaucoup avaient brûlé quand le buisson a pris feu. Deux autres bombes sont tombées sans exploser près des ruisseaux de Kamasury et Kamayasi. Un rebelle a voulu tirer sur ces bombes mais un autre lui a crié après et lui a arraché son arme. Le quartier général du RUF se trouve dans un immeuble de deux étages dans le quartier 3, à environ 150 mètres du plus proche impact de bombe.
3. Fatmata, quarante ans, mère de cinq enfants a décrit comment elle avait été touchée au cou par un éclat d'obus et comment le foulard qu'elle portait sur la tête avait ensuite pris feu, lors de l'attaque menée par deux hélicoptères de combat sur l'île de Yeliboya, le 20 janvier. Il y eut quatre civils tués et au moins onze autres sérieusement blessés lors de cette attaque.
La première fois que les hélicoptères de combat sont venus, j'ai couru dans ma maison pour me cacher mais mon mari s'est précipité à l'intérieur et nous a dit, à moi et à mes deux enfants, de sortir et de nous tenir dans l'eau, près des bateaux. Il a dit que c'était plus sûr là-bas. J'ai attrapé les enfants et l'ai suivi jusqu'au quai. Alors que mon mari cherchait un bateau comme un fou pour qu'on puisse s'enfuir, on les a vus s'approcher à nouveau. J'ai eu si peur que je me suis mise à courir avec mes enfants. Juste avant d'atteindre la brousse pour nous cacher, j'ai senti quelque chose de chaud me percer le cou puis le feu s'est répandu sur moi. Le foulard que je portais sur la tête s'était enflammé et le feu s'étendait à mon bras et ma main. Mes deux enfants avaient aussi été blessés par des fragments d'obus et j'ai vu les corps de deux enfants tués dans l'attaque. L'un avait environ huit ans et l'autre, environ un an. Ils avaient été brûlés vifs quand la maison de mes voisins a pris feu.
4. Mani, quarante-cinq ans, une autre victime de l'attaque de Yeliboya a décrit les destructions causées par les roquettes lancées par les hélicoptères de combat.
Dans l'après midi, juste après les prières, j'ai vu deux hélicos en provenance de Guinée. Ils ont atteint le quai, tourné, perdu un peu d'altitude et ont semblé rester suspendus un peu dans les airs. Puis, il y a eu de la poussière et des explosions et la ville a commencé à s'enflammer. Après la première bombe, on a couru vers la brousse mais j'ai alors décidé d'essayer de sauver quelques biens de ma maison qui avait aussi pris feu. Je suis retourné en courant vers ma maison mais la fumée était trop épaisse et j'ai dû ressortir. Comme j'essayais de repartir en courant vers la brousse, il y a eu une autre explosion. C'est là que j'ai réalisé que j'avais été touché. Je saignais beaucoup. Nous sommes cinq dans ma famille à avoir été blessés en même temps et ma petite-nièce a été tuée. Les quelques dix rebelles qui habitaient à Yeliboya vivaient dans la maison de Pa H et dans quelques autres maisons, près du quai. Il y a eu plus de cinquante maisons détruites par le feu ce jour là mais aucune de celles utilisées par le RUF ne fut endommagée.
5. Une négociante de vingt-cinq ans a été blessée dans le dos par des éclats d'obus alors qu'elle tentait de protéger ses enfants lors de l'attaque lancée par un hélicoptère de combat sur le village de Makasa, le 30 décembre 2000 :
Vers une heure de l'après midi environ, on a entendu le bruit d'un bombardement, au loin, dans Kambia. Puis environ 30 minutes plus tard et d'un seul coup, j'ai entendu le bruit de l'hélico qui se rapprochait de notre village. J'ai sauté de la véranda et me suis précipitée pour rassembler mes enfants et partir en courant nous cacher en brousse. J'ai attrapé les deux plus petits mais celui de six ans s'est échappé et est parti en courant. Quand on a atteint la brousse, je me suis jetée au sol et me suis couchée sur mes enfants pour les protéger. Puis le premier obus est tombé. J'ai essayé de me lever mais j'avais l'impression qu'on me poussait au sol. Je me suis retournée et j'ai vu du sang partout. J'ai eu très peur parce que j'ai pensé que c'était le sang de mes enfants. Cinq membres de ma famille ont été blessés ce jour là mais au moins, mes enfants n'ont rien eu.
6. Kadi, une négociante de quarante ans, a décrit une attaque d'artillerie sur le village de Rokel, le 15 février qui tua un enfant et blessa trois adultes.
J'étais chez moi, en train de cuisiner quand tout à coup, j'ai entendu un long sifflement, puis chhhhhhhhhhh, puis une énorme explosion. Puis, il y a eu deux autres explosions. Les bombes sont tombées l'une après l'autre. La première est tombée sur une petite rizière, à l'arrière du village, la seconde dans le village et la troisième, près de ma maison, à environ 25 mètres de la seconde bombe. J'ai vu les éclats écraser la tête d'un enfant de trois ans et blesser une mamy aux cheveux gris. Si les rebelles du RUF passent par notre village, ils n'y vivent pas vraiment. Bon nombre d'entre eux vivent à environ 4 miles d'ici, dans une ville appelée Mambolo.