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Maroc : Le tribunal ajourne une fois de plus le procès de trois Sahraouis emprisonnés

Ce nouvel ajournement soulève des doutes sur la solidité des accusations pesant sur ces militants incarcérés depuis plus d'un an

(New York, le 6 novembre 2010) - Le Maroc devrait mettre fin aux ajournements du procès de trois militants sahraouis, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Si le tribunal est incapable de poursuivre cette procédure, il devrait cesser de maintenir ces trois militants en détention provisoire ou abandonner les accusations portées contre eux et leurs quatre co-accusés, a ajouté Human Rights Watch.

Le 5 novembre 2010, un tribunal de Casablanca a ajourné leur procès de six semaines supplémentaires après qu'un fort contingent de spectateurs pro-marocains à l'intérieur et à l'extérieur de la salle d'audience ont scandé des slogans et agressé des militants sahraouis ainsi que des journalistes espagnols.

« Le gouvernement marocain a déjà puni ces hommes en les maintenant pendant un an en détention provisoire et en reportant l'audience qui leur est due par le biais de délais douteux », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Ceci ne fait que renforcer l'impression que le Maroc n'est pas pressé de rendre justice à ces partisans de l'autodétermination pour le Sahara occidental. »

Brahim Dahane, Ali Salem Tamek et Ahmed Naciri sont incarcérés depuis 13 mois. Leur procès, pour des accusations d'avoir « porté atteinte à la sécurité intérieure [du Maroc] », a commencé le 15 octobre, mais le tribunal l'a immédiatement reporté car les autorités avaient omis de les transporter depuis la prison jusqu'à la salle d'audience. Le tribunal a reporté le procès à nouveau aujourd'hui après que les perturbations du public ont stoppé la procédure avant même qu'elle ait commencé. Les quatre autres accusés dans l'affaire, Degja Lachgar, Yahdih Etarrouzi, Rachid Sghaier et Saleh Lebaihi, font l'objet des mêmes accusations mais sont en liberté provisoire.

La police a arrêté les six hommes et une femme le 8 octobre 2009, dès leur retour des camps de réfugiés sahraouis à Tindouf, en Algérie, où ils s'étaient rendus en visite. Contrairement aux précédentes visites familiales discrètes aux camps de réfugiés effectuées par des Sahraouis venus du territoire disputé du Sahara occidental sous contrôle du Maroc, cette délégation y a ouvertement rencontré les responsables du Polisario, le mouvement indépendantiste sahraoui qui dirige un gouvernement en exil et administre les camps. Quatre des sept personnes ont été mises en liberté provisoire, l'une en janvier et trois autres en mai, mais les trois autres personnes sont restées en détention pendant qu'un juge d'instruction du tribunal militaire examinait les accusations selon lesquelles elles avaient « porté atteinte à la sécurité extérieure de l'État ». Le juge a finalement renvoyé l'affaire devant un tribunal civil pour que les accusés puissent bénéficier d'un procès portant sur des accusations moins lourdes.

Brahim Alansari, observateur de Human Rights Watch au procès d'aujourd'hui au tribunal de première instance situé à Aïn Sbaâ, a indiqué qu'avant que la session ne démarre, des hommes et des femmes portant des robes noires d'avocats formaient un groupe large et imposant à l'entrée de la salle d'audience, puis ils ont occupé les premiers rangs à l'intérieur. Ils ont scandé des slogans en faveur de la revendication du Maroc sur le Sahara occidental ; certains arboraient des drapeaux marocains et une photo du roi Mohammed VI.

Vers 14 heures, lorsque le juge présidant l'audience, Hassan Jaber, est entré, les spectateurs se sont levés et la salle est devenue silencieuse. Quand le juge a appelé les accusés dans la salle, ils sont entrés en scandant des slogans sahraouis en faveur de l'autodétermination. Ceci a incité certains partisans à lever les mains en faisant le signe de la victoire « V », tandis que d'autres spectateurs ont commencé à scander des slogans pro-marocains.

Les cris et la tension se sont aggravés, sans aucune intervention apparente des forces de sécurité pour rétablir l'ordre. Après une vingtaine de minutes, a expliqué Brahim Alansari, le juge a quitté la salle d'audience. Certains des spectateurs ont alors frappé à coups de poing et de pied des militants sahraouis connus assistant au procès, notamment Larbi Messaoud du Collectif des défenseurs des droits de l'homme sahraouis (CODESA), ainsi que deux journalistes espagnols, Eduardo Marin de la chaine de radio Cadena SER et Antonio Carreño de la chaine de télévision TVE.

Plus tard dans la journée, le tribunal a annoncé le report du procès au 17 décembre.

Un avocat marocain, Abdelaziz Nouaydi, qui a également assisté au procès, a expliqué à Human Rights Watch qu'à la suite des altercations, certains des spectateurs sahraouis ont refusé de quitter le tribunal, disant qu'ils craignaient pour leur sécurité. Cet avocat ainsi que d'autres personnes ont négocié leur départ, mais quand ils ont finalement quitté le tribunal aux environs de 18 heures ils ont été encerclés et ont reçu des coups de poing de personnes qui attendaient à proximité. Abdelaziz Nouaydi a indiqué qu'il avait vu des policiers en uniforme escorter au moins quelques-uns des Sahraouis en lieu sûr. Abdelaziz Nouaydi est membre du comité consultatif de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch.

« Les autorités marocaines ont le devoir de garantir les règles de bienséance dans la salle d'audience afin d'assurer un procès équitable », a déclaré Sarah Leah Whitson. « Elles devraient mettre un terme à ces perturbations et reprendre le procès, au lieu de se servir de ces interruptions comme prétexte pour reporter la justice. »

Nul ne sait si les autorités ont arrêté ou émis des citations à comparaître contre les individus qui ont perturbé la séance d'aujourd'hui et ont agressé des personnes.

Interrogés à la suite de leur mise en liberté provisoire le 18 mai, les accusés Yahdih Etarrouzi et Saleh Sghaier ont déclaré que le dossier de l'affaire ne fournissait aucune preuve pour justifier l'accusation, mais consistait plutôt en compte-rendus de la presse écrite et radiodiffusés relatifs à la réception des hommes par les autorités du Front Polisario. Les militants ont déclaré dans un communiqué de presse le 18 mars que leur visite à Tindouf avait été motivée « par des raisons humanitaires et strictement de droits humains. »

« Les autorités marocaines semblent chercher des prétextes pour retarder le jour où ils devront présenter leurs preuves contre ces accusés dans un tribunal ouvert », a commenté Sarah Leah Whitson. « Cette affaire a depuis longtemps atteint le point où la justice différée est devenue un déni de justice. »

Les accusés préconisent tous l'autodétermination pour le Sahara occidental, un vaste territoire contesté que le Maroc continue d'administrer de facto après en avoir pris le contrôle en 1975, après le retrait de l'Espagne, la puissance coloniale. Le Front Polisario est favorable à un vote populaire sur l'autodétermination, notamment l'option de l'indépendance totale, alors que le Maroc propose une mesure d'autonomie pour la région mais rejette l'option de l'indépendance. Le Maroc et le Polisario, soutenu par l'Algérie, se sont engagés dans des négociations sporadiques et jusqu'à présent infructueuses.

Le Maroc considère la défense pacifique de l'indépendance, ou même d'un référendum où l'indépendance est une option, comme une attaque de son « intégrité territoriale », punissable par la loi. Ali Tamek, Brahim Dahane, Yahdih Etarrouzi, Saleh Sghaier et Ahmed Naciri ont tous été précédemment emprisonnés par le Maroc - ainsi que des centaines d'autres Sahraouis - pour des activités indépendantistes. Brahim Dahane et Degja Lachgar ont tous deux par le passé été victimes de disparition forcée.

Après que les sept personnes ont été arrêtées le 8 octobre 2009, à l'aéroport Mohammed V de Casablanca, elles ont passé huit jours au siège de la police judiciaire à Casablanca, où quatre d'entre elles ont eu les yeux bandés et ont été menottées dans des cellules individuelles, selon Saleh Sghaier et Yahdih Etarrouzi.

Le 28 janvier, les autorités marocaines ont mis Degja Lachgar en liberté provisoire, la seule femme du groupe, après des indications de son mauvais état de santé. Le 18 mars, les six autres détenus ont entamé une grève de la faim qui a duré 41 jours pour protester contre leur maintien en détention sans procès. Le 18 mai, les autorités ont mis en liberté provisoire Yahdih Etarrouzi et Rachid Lebaihi, tous les deux d'El-Ayoun, ainsi que Saleh Sghaier, de Dakhla.

Ali Tamek, Brahim Dahane et Ahmed Naciri sont toujours à la prison de Salé. Tous les trois sont membres actifs d'organisations sahraouies de défense des droits humains. Ali Tamek, d'El Ayoun, est vice-président du CODESA. Brahim Dahane, d'El-Ayoun, est président de l'Association sahraouie des victimes de violations graves des droits humains (ASVDH). Ahmed Naciri est vice-président du Comité pour la défense des droits humains basé à Smara. Les autorités marocaines ont refusé d'accorder une reconnaissance juridique au CODESA et à l'ASVDH.

Le 6 novembre 2009, dans un discours marquant l'anniversaire de la Marche Verte  - commémorant l'annexion par le Maroc du Sahara occidental en 1975 - le roi Mohammed VI a évoqué une ligne de conduite plus dure contre les Sahraouis favorables à l'indépendance : « En toute responsabilité, Nous affirmons qu'il n'y a plus de place pour l'ambigüité et la duplicité », a-t-il déclaré. « Le citoyen, ou il est Marocain ou il ne l'est pas... Ou on est patriote ou on est traitre. »

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