le 25 octobre 2016
M. Jean-Marc Ayrault
Ministre des Affaires étrangères et du Développement international
37, quai d’Orsay
75007 Paris
Monsieur le Ministre,
Au nom de Human Rights Watch, nous vous écrivons à l'occasion de votre prochaine visite officielle en Chine. La voix de la France en faveur des droits humains résonne depuis longtemps dans le monde entier. Cependant, s’agissant de leur situation en Chine, la France s’est faite notablement discrète. Nous sommes convaincus que votre déplacement est une occasion importante de vous prononcer publiquement sur le respect des droits humains, qui continuent de se détériorer sous le gouvernement actuel.
Sous la présidence de Xi Jinping, qui restera au pouvoir jusqu'en 2022 et peut-être au-delà, la situation est désastreuse pour les droits fondamentaux, notamment pour la liberté d'expression, de réunion, d'association et de religion. En juillet 2015, plus de 300 avocats et militants des droits humains ont été arrêtés dans le cadre d’une rafle à travers tout le pays – et une vingtaine d’entre eux demeurent en détention. Les autorités chinoises continuent d'adopter des lois extrêmement restrictives dans des domaines allant de la cyber-sécurité au traitement des organisations de la société civile, et refusent de prendre en considération les revendications des minorités ethniques et des communautés religieuses. Les disparitions forcées en Chine d’opposants en provenance de Hong Kong et d'autres pays ont fait la une des médias du monde entier, et soulèvent des préoccupations quant au déploiement à l'étranger d’agents chinois de maintien de l’ordre.
La France s’est à ce jour peu engagée publiquement pour condamner cette détérioration de la situation des droits humains en Chine. Reconnaissant les efforts entrepris au niveau international par la France au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, nous avons été surpris et déçus de constater qu’elle n'a pas pris part à la déclaration conjointe sans précédent adoptée par cette instance en mars 2016. Dans votre lettre à Human Rights Watch en date du 25 août 2016, relative aux restrictions imposées par le gouvernement chinois dans le cadre du Sommet du G20 à Hangzhou en septembre 2016, vous écrivez que la France « attache une importance particulière » à la participation de la société civile aux travaux sur les grands dossiers internationaux. Pourtant, la France n'a pas évoqué ces restrictions lors de la réunion du G20. Bien que la France soutienne le dialogue noué entre l’UE et la Chine autour de la question des droits humains, les recherches menées par Human Rights Watch depuis trois décennies sur la Chine démontre clairement l’intérêt très limité de tels dialogues de haut niveau sans l’intervention publique de responsables gouvernementaux.
En l’absence de réformes significatives en Chine, visant notamment à la mise en place d'un système judiciaire indépendant et non partisan, au respect des libertés des médias et d'association et à la lutte contre l’impunité pour les forces de sécurité responsables de violations des droits humains, les relations bilatérales entre les gouvernements étrangers et la Chine se heurteront à des limites, alors que le rôle de la Chine dans l’arène politique mondiale ne cesse de croître. Bien que les changements en Chine dépendront à terme de ce que son peuple réclame, la pression extérieure reste déterminante.
C’est pourquoi, Monsieur le Ministre, nous vous appelons à :
- Appeler publiquement la Chine à mettre fin à la répression contre les défenseurs des humains, notamment les dizaines d’avocats et de défenseurs détenus depuis juillet 2015, et à libérer les personnes injustement détenues, comme le lauréat du prix Nobel de la paix 2010, Liu Xiaobo, et celui du prix Martin Ennals 2016, Ilham Tohti.
- Exprimer publiquement les préoccupations du gouvernement français quant à la nouvelle loi relative à l’encadrement des ONG étrangères en Chine, qui entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2017. Ce texte donne à la police un pouvoir de restrictions sans précédent à l’égard des activités de groupes étrangers dans le pays et limite la capacité des organisations nationales à obtenir un financement étranger et à coopérer avec des organisations étrangères.
- Exhorter le gouvernement chinois à prendre des mesures en vue d'abolir la peine capitale, à laquelle la France s’oppose de longue date. Si de nouvelles mesures, en particulier celle prévoyant le réexamen par des juges de haut rang de tous les cas pour lesquels la peine de mort a été prononcée, ont permis de limiter son application, 46 crimes restent punis de la peine de mort, y compris des infractions non violentes.
- Demander aux autorités chinoises des explications sur les arguments juridiques sous-jacents à l'enlèvement, à l'étranger, de ressortissants étrangers, y compris de citoyens de l'Union européenne, et à leur transfert en Chine où ils ont été victimes de disparitions forcées.
- Soulever auprès de hauts responsables de l'Union européenne et de responsables gouvernementaux à Pékin la question de l'engagement de l'UE en faveur de la promotion et de la protection des droits humains en Chine.
Quand la France exprime ses préoccupations au sujet des droits humains auprès de hauts responsables chinois, il est essentiel que l'ensemble de la population chinoise en soit informée. Nous vous demandons instamment de saisir cette occasion cruciale d’œuvrer en faveur d’un changement durable en Chine.
En espérant que ces demandes recueilleront toute votre attention, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de notre haute considération.
Bénédicte Jeannerod
Directrice France
Human Rights Watch
Sophie Richardson
Directrice de recherches sur la Chine
Human Rights Watch