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Soudan : Attaques illégales contre des civils et des infrastructures

L’ONU et l’UA devraient agir immédiatement pour protéger les civils au Darfour et dans d’autre régions du pays

Des maisons incendiées au sud-ouest du camp de personnes déplacées d'Abu Shouk, à El-Fasher (Darfour-Nord), au Soudan, en mai 2024. © 2024 Darfur Network for Human Rights

(Nairobi) – Les récentes attaques illégales menées par les parties belligérantes à El-Fasher, au Darfour-Nord, au Soudan, ont tué des centaines de civils et forcé des dizaines de milliers de personnes à fuir, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui ; en outre, des milliers de personnes dans cette ville et aux alentours sont confrontées à la famine. Le Secrétaire général des Nations Unies devrait agir conformément à la résolution 2736 du Conseil de sécurité, et collaborer d’urgence avec l’Union africaine (UA) pour déployer une mission de protection des civils. Les autres gouvernements devraient soutenir l’enquête du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) sur les crimes de guerre présumés et autres atrocités au Darfour.

« Depuis la mi-mai, les parties belligérantes soudanaises ont pilonné des zones peuplées d’El-Fasher sans se soucier apparemment des civils ; les Forces de soutien rapide ont incendié des zones résidentielles et délibérément ciblé des hôpitaux », a déclaré Mohamed Osman, chercheur auprès de la division Afrique à Human Rights Watch. « L’ONU et l’UA devraient agir d’urgence pour protéger les civils. »

Les affrontements à El-Fasher, entre d’une part les Forces armées soudanaises (SAF) et leurs forces alliées, et d’autre part les Forces de soutien rapide (Rapid Support Forces, RSF) et leurs milices alliées, se sont intensifiés à la mi-mai. Entre le 10 mai et le 11 juin, selon Médecins Sans Frontières (MSF), l’Hôpital du Sud (unique grand centre de soins intensifs de la ville) et l’Hôpital saoudien ont dû accueillir 1 418 blessés, dont 226 sont ensuite décédés. De nombreuses autres personnes blessées n’ont pas pu atteindre les hôpitaux.

Le 8 juin, les Forces de soutien rapide ont attaqué l’Hôpital du Sud. Des combattants sont entrés dans l’hôpital en tirant, forçant les patients, leurs proches et le personnel médical à fuir. Un responsable du ministère de la Santé a déclaré que les forces RSF l’ont battu, ainsi que deux autres médecins. Les forces RSF ont également pillé des fournitures et du matériel médical, provoquant la fermeture de l’hôpital.

Des vidéos publiées sur Telegram le 9 juin, puis rediffusées sur X et vérifiées par Human Rights Watch, montrent des combattants des RSF à l’intérieur de l’enceinte de l’hôpital. Une vidéo montre un combattant des RSF, assis dans une ambulance près de l’entrée. Les attaques dirigées contre une installation médicale, qui est une cible civile, constituent un crime de guerre.

L’Hôpital du Sud a été touché au moins quatre fois par des armes explosives entre le 25 mai et le 3 juin ; ces attaques ont tué deux patients, et blessé 14 autres personnes. Médecins Sans Frontières a signalé qu’un obus de mortier a atterri sur l’unité de soins prénatals le 25 mai. L’organisation a indiqué qu’un autre obus a frappé une autre partie de l’hôpital le 26 mai, endommageant aussi une ambulance. Des images satellite enregistrées le lendemain montrent un cratère d’impact correspondant à un tir indirect, comme des mortiers ou de l’artillerie, dans l’enceinte de l’hôpital.

Le 31 mai, des bombardements ont touché le mur sud de l’hôpital ; aucune victime n’a été signalée cette fois-ci. Mais le 3 juin, selon Médecins Sans Frontières, des bombardements et des tirs ont tué un patient et en ont blessé un autre, et ont endommagé le réservoir d’eau de l’hôpital.

Les deux parties belligérantes se sont livrées à de violents combats dans la zone du camp de personnes déplacées d’Abu Shouk, dans le nord-ouest d’El-Fasher. En examinant des vidéos postées sur X, Human Rights Watch a pu vérifier la présence des forces RSF à l’extrémité est du camp d’Abu Shouk dès le 22 mai.

Sites d’incidents documentés par Human Rights Watch à El-Fasher (Darfour-Nord) au Soudan. Parmi les sites attaqués figuraient des hôpitaux et cliniques, des mosquées, une sous-station électrique, un réservoir et des maisons incendiées près du camp d’Abu Shouk. © 2024 OpenStreetMap (carte) /Human Rights Watch (contenu)

Le 8 juin, à la suite de combats dans les environs, au moins un projectile de mortier et deux autres armes explosives ont touché une clinique d’urgence gérée par des bénévoles dans la partie sud d’Abu Shouk, a déclaré un témoin. L’attaque a blessé quatre ou cinq personnes à l’intérieur, dont des travailleurs de la santé bénévoles et l’enfant d’un bénévole. Trois personnes ont déclaré que les projectiles venaient de l’est, où sont basées les RSF. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de confirmer la direction des tirs.

Une vidéo analysée et géolocalisée par Human Rights Watch montre les ailerons de stabilisation d’un projectile de mortier dans le mur de la clinique, ainsi que des dommages à ses murs et à son toit en tôle ondulée.

Des vidéos publiées le 9 juin sur la page Facebook de la salle d’urgence d’Abu Shouk montrent des enfants blessés, dont certains auraient été blessés par des bombardements et des affrontements le 8 juin.

Après de violents affrontements le 22 mai entre les RSF et les forces conjointes, un secouriste local a déclaré que les RSF avaient bombardé le camp et ses environs, et rassemblé et battu des jeunes. Des images satellite du 23 mai montrent à nouveau des maisons incendiées au sud-ouest du camp d’Abu Shouk. Une vidéo vérifiée, postée sur X le 23 mai, montre des maisons de cette zone en proie aux flammes. Une voix dit : « Les forces RSF bombardent aujourd’hui le camp d’Abu Shouk. Au moins 10 obus d’artillerie aujourd’hui. »

L’analyse d’images satellite par Human Rights Watch montre une hausse du nombre de tombes dans au moins six cimetières de la ville du 9 mai au 12 juin, notamment dans le camp d’Abu Shouk et dans la zone au sud-ouest qui a été attaquée le 22 mai.

Emplacement de cimetières (points rouges) dans lesquels une hausse notable du nombre de tombes a pu être décelée par Human Rights Watch via une analyse d’images satellite entre le 9 mai et le 12 juin 2024. © 2024 OpenStreetMap (carte) /Human Rights Watch (contenu)

Des milliers de maisons ont été détruites par le feu, notamment par des incendies criminels, depuis le début des combats en avril, notamment dans la partie est de la ville dans des zones résidentielles avec des habitations traditionnelles. En mai, Human Rights Watch a géolocalisé des vidéos publiées en ligne qui montrent des soldats RSF à proximité de zones résidentielles en feu. Ce type d’incendie criminel a précédemment été observé lors d’attaques menées par les forces RSF et des milices alliées dans l’État du Darfour occidental en 2023. Au 12 juin 2024, 43 villages près d’El-Fasher auraient été touchés par des incendies.

Les deux forces ont utilisé des armes explosives à large rayon d’impact – y compris des mortiers, des roquettes d’artillerie et des munitions larguées par voie aérienne dans le cas de l’armée – dans des zones peuplées à travers le pays. L’utilisation de ces armes peut souvent donner lieu à des attaques indiscriminées, qui violent les lois de la guerre.

Deux vidéos géolocalisées par Human Rights Watch montrent des combattants des forces RSF utilisant un missile guidé antichar portatif 9M133 Kornet. Dans une vidéo, le missile est tiré depuis une colline à l’est d’El-Fasher, en direction de la ville. Dans la seconde vidéo, le missile est tiré depuis une camionnette à l’intérieur de zones résidentielles dans la partie est de la ville.

Une vidéo partagée sur les réseaux sociaux le 16 juin, vérifiée et géolocalisée par Human Rights Watch, montre des roquettes d’artillerie de type Grad frappant des quartiers du centre d’El-Fasher autour du Grand Marché et de la Grande Mosquée. L’analyse d’images satellite et de l’emplacement des ombres montre que les attaques ont eu lieu dans l’après-midi du 3 juin. L’analyse de la vidéo permet de conclure que les roquettes ont été tirées depuis le nord et le nord-est de la ville, où sont basées les positions d’artillerie des forces RSF.

Le 3 juin 2024, des tirs de roquettes d'artillerie ont touché des zones résidentielles près de la Grande Mosquée et du Grand Marché dans le quartier central d'El-Fasher, au Darfour-Nord, au Soudan. En analysant des vidéos, Human Rights Watch a géolocalisé les zones d’impact (croix rouges). © 2024 Planet Labs PBC (image satellite) /Human Rights Watch (contenu)

Le 11 juin, des publications sur les réseaux sociaux ont fait état de bombardements massifs dans le quartier de Tambasi, tuant plusieurs civils, dont huit bénévoles dans un centre de soupe populaire, au sud de la place Baraka. « J’ai vu de la fumée, des gens crier et courir, un autre bombardement a également eu lieu sur cette place Baraka », a déclaré un témoin. « Ces jeunes approvisionnaient en nourriture les sites de rassemblement de déplacés dans cette zone. »

Fin mai, l’ONU a signalé que les combats avaient laissé des quartiers de la ville sans électricité et sans eau, comme cela a déjà eu lieu à Khartoum et ailleurs.

Une vidéo mise en ligne sur X le 26 mai montre un commandant des forces RSF et plusieurs combattants en train de fermer les stations de pompage d’eau d’El-Fasher au réservoir de Golo, à l’est de la ville. Human Rights Watch a vérifié plusieurs photos et une vidéo montrant l’armée en train de reprendre le contrôle de la station quelques jours plus tard, en affirmant avoir redémarré la pompe. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de confirmer si la pompe a pu être effectivement redémarrée, ni dans quelle mesure ce réservoir alimentait en eau la ville.

Human Rights Watch a reçu des informations selon lesquelles des civils fuyant vers Mellit, à 60 kilomètres au nord d’El-Fasher, ont dû traverser une zone contrôlée par les forces RSF et ses alliés. Le 3 juin, au dernier point de contrôle avant la ville de Mellit, ils auraient été arrêtés, fouillés et finalement tués.

Le 11 juin, une responsable de l’agence des Nations Unies pour les réfugiés a signalé que les violences à El-Fasher et dans ses environs avaient conduit au déplacement de150 000 personnes au cours des deux derniers mois. Depuis fin mai, de nombreux civils ont fui vers le sud en direction du camp de personnes déplacées de Zamzam, ou vers Tawila, ville contrôlée par l’Armée de libération du Soudan, un groupe armé darfourien dirigé par Abdul Wahid.

Le 28 mai, le gouverneur du Darfour, Minni Minnawi, chef de l’Armée de libération soudanaise qui soutient l’armée nationale, a déclaré que les habitants d’El-Fasher devraient prendre les armes pour défendre leur « honneur et [leurs] biens ». Les médias ont rapporté une augmentation du nombre de civils qui s’arment et se battent avec les forces conjointes et les groupes d’autodéfense populaire.

Les combats ont aggravé une situation humanitaire déjà catastrophique à El-Fasher, en particulier pour les personnes déjà déplacées. Le 13 juin, les médias ont rapporté qu’une analyse préliminaire du Système intégré de classification de la sécurité alimentaire (Integrated Food Security Phase Classification, IPC) prévoyait que 15 % de la population d’El-Fasher et du camp de Zamzam serait confrontée à des pénuries alimentaires catastrophiques d’ici septembre, et que beaucoup pourraient mourir de faim.

Dans une résolution du 21 mai, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine a déclaré que le Groupe de haut niveau de l’UA sur le Soudan devrait travailler avec le nouvel envoyé spécial de l’UA pour la prévention du génocide sur un plan de protection des civils. Le 13 juin, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté une résolution sur El-Fasher, demandant au Secrétaire général de « formuler des recommandations… en faveur de la protection des civils au Soudan ».

Les deux résolutions sont des pas attendus depuis longtemps dans la bonne direction, et il est désormais temps de définir une vision réalisable pour une mission de protection et de la déployer, a déclaré Human Rights Watch. Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait également agir sur la base des conclusions du Groupe d’experts de l’ONU sur le Darfour, notamment sur les violations par certains pays, dont les Émirats arabes unis, de l’embargo sur les armes imposé par l’ONU.

Le 12 juin, le Procureur de la CPI a appelé à la coopération et à l’information sur les crimes internationaux présumés commis au Darfour, notamment à El-Fasher. Les pays membres de la CPI devraient fournir à la Cour des informations en temps opportun, soutenir les efforts d’arrestation et veiller à ce que la Cour dispose du budget nécessaire pour rendre la justice au Darfour ainsi que dans les autres situations inscrites au rôle de la Cour.

« Les Darfouris réclament une protection depuis des mois », a déclaré Mohammed Osman. « Les dirigeants de l’ONU et de l’UA devraient examiner toutes les options possibles et déployer une mission avant qu’il ne soit trop tard. Les gouvernements étrangers devraient soutenir l’ouverture d’enquêtes internationales sur ces crimes odieux. »

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Médias

France Culture 26/6 (itw Laetitia Bader)

 

 

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