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Yémen : Des dizaines d’employés de l'ONU et de la société civile détenus par les Houthis

Les Houthis devraient libérer les détenus, et mettre fin aux arrestations arbitraires et aux disparitions forcées

Arrivée du véhicule transportant l'Envoyé spécial des Nations Unies pour le Yémen, Hans Grundberg, pour une réunion avec des responsables locaux à Taïz, au Yémen, le 12 février 2024.  © 2024 Ahmad Al-Basha/AFP via Getty Images
  • Depuis la fin du mois de mai, les Houthis ont arrêté arbitrairement des dizaines de membres de la société civile et du personnel de l’ONU sans procédure régulière et les détiennent au secret, ce qui équivaut à une disparition forcée.
  • Ces détentions font suite à la décision du gouvernement yéménite d’exiger le transfert des sièges des principales banques hors du territoire contrôlé par les Houthis. Dans le passé, les Houthis ont utilisé des détenus comme moyen de pression dans le cadre de négociations.
  • Les Houthis devraient immédiatement libérer toutes les personnes détenues arbitrairement. La communauté internationale devrait faire pression sur les Houthis pour qu’ils libèrent les détenus et cessent leur répression plus large contre la société civile.

(Amman, le 26 juin 2024) – Depuis le 31 mai, les forces de sécurité houthies au Yémen ont arrêté et fait disparaître de force des dizaines de personnes, dont au moins 13 membres du personnel des Nations Unies et de nombreux employés d’organisations non gouvernementales travaillant dans les territoires contrôlés par les Houthis, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Ces arrestations arbitraires semblent être basées sur l’emploi actuel ou passé des personnes détenues.

Les Houthis, dont le mouvement est également connu sous le nom d’Ansar Allah (« Partisans de Dieu »), ont procédé à ces arrestations arbitraires alors même que des conditions de faim et de soif continuent de sévir dans tout le Yémen, y compris dans les zones qu’ils contrôlent, selon les recherches menées par Human Rights Watch ; ces arrestations ont aussi eu lieu lors d’une récente épidémie de choléra que les Houthis ont dissimulée pendant plusieurs mois,.

« Les Houthis utilisent les détentions arbitraires et les disparitions forcées comme un outil de pression politique, alors même que les personnes vivant sur leurs territoires ne peuvent pas subvenir à leurs besoins les plus élémentaires », a déclaré Niku Jafarnia, chercheuse sur le Yémen et Bahreïn à Human Rights Watch. « Les Houthis devraient immédiatement libérer toutes ces personnes, dont beaucoup ont passé leur carrière à travailler pour améliorer les conditions dans leur pays. »

Human Rights Watch a mené des entretiens avec 20 personnes disposant d’informations sur ces arrestations, ainsi qu’avec quatre analystes yéménites. Leurs identités ne sont pas révélées pour des raisons de sécurité, en raison du risque de représailles. Human Rights Watch a également examiné des documents, des vidéos, des messages sur les médias sociaux, des articles parus dans les médias, des enregistrements vocaux et d’autres documents relatifs aux détentions.

Les forces houthies n’ont pas présenté de mandat de perquisition ou d’arrêt lors de ces opérations ; par la suite, les autorités ont refusé de dire aux familles où les personnes arrêtées sont détenues, ce qui signifie que ces actes s’apparentent à des disparitions forcées. Les autorités houthies détiennent ces personnes au secret, sans leur permettre de consulter un avocat ou d’avoir accès à leurs familles. Le 19 juin, Human Rights Watch a transmis au Bureau des droits humains des Houthis un courrier comprenant des questions au sujet des arrestations, et exprimant son inquiétude concernant l’absence apparente de garanties concernant les procédures régulières. À ce jour, aucune réponse a ce courrier n’a été reçue.

D’après les informations dont dispose Human Rights Watch, aucune accusation n’a été portée contre les personnes détenues. Dans de nombreux autres cas dans le passé, les autorités houthies ont porté contre des personnes détenues des accusations douteuses, liées par exemple à l’espionnage.

Le 10 juin et au cours des jours suivants, les autorités houthies ont diffusé plusieurs vidéos et messages de réseaux sociaux sur la chaîne de télévision Al-Masirah (affiliée aux Houthis), et sur des plateformes de médias sociaux liées à cette chaîne. Ces vidéos montrent 10 hommes yéménites qui ont été détenus entre 2021 et 2023, dont au secret dans la plupart des cas.

Les vidéos montrent les hommes avouant qu’ils espionnaient pour les États-Unis et Israël, mais il existe un risque élevé que ces aveux aient été obtenus sous la contrainte. Human Rights Watch a déjà documenté le recours à la torture par les Houthis pour extorquer des aveux. La diffusion de ces vidéos porte atteinte au droit à un procès équitable, et manque de crédibilité.

Les Houthis n’ont pas précisé si les dernières arrestations avaient un lien avec ces vidéos et avec leurs récentes déclarations concernant la découverte d’un « réseau d’espionnage » ; toutefois, des sources consultées par Human Rights Watch, dont des analystes, ont dit craindre que les Houthis ne tentent de faire passer les personnes récemment arrêtées pour des espions.

Les analystes yéménites consultés par Human Rights Watch ont également suggéré que les arrestations avaient des motivations politiques. Le 30 mai, la Banque centrale du Yémen a annoncé la cessation de transactions avec six banques situées sur les territoires contrôlés par les Houthis et ayant refusé de transférer leur siège à Aden, ville contrôlée par le gouvernement et par le Conseil de transition du Sud (STC). Cette décision pourrait avoir un impact économique négatif important sur les territoires contrôlés par les Houthis. Selon les analystes, ces arrestations pourraient donc être une tentative de faire pression sur le gouvernement yéménite pour qu’il revienne sur sa décision.

Les disparitions forcées, lors desquelles les autorités arrêtent une personne et procèdent ensuite à    la « dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve », constituent des crimes graves au regard du droit international ; elles sont interdites en toutes circonstances par le droit international des droits humains, et par le droit international humanitaire.

Toutes les personnes récemment arrêtées sont yéménites. Les Houthis ont demandé à leurs familles de ne pas parler publiquement de la détention de leurs proches, affirmant dans de nombreux cas que les détenus seraient libérés dès que les Houthis auraient terminé leurs interrogatoires, en cas d’absence de preuve compromettante.

« [Les Houthis] savent qu’il n’y aura pas d’escalade [internationale] suite à l’arrestation des Yéménites, mais s’ils arrêtent des personnes étrangères, il y aura une énorme escalade de la part de la communauté internationale », a déclaré une source.

Le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, ainsi que le Haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, et d’autres hauts responsables de l’ONU, ont appelé à la libération immédiate de tous les employés de l’ONU et des organisations non gouvernementales qui sont actuellement détenus.

Cependant, certaines sources ont déclaré à Human Rights Watch que les agences ou organisations de l’ONU où travaillaient les détenus n’avaient pas fait d’efforts pour contacter leurs proches, y compris ceux vivant à l’extérieur du Yémen et qui auraient donc pu être contactés en toute sécurité. « Ils ne peuvent pas continuer à travailler comme si de rien n’était », a déclaré une source. « Les personnes enlevées et dont on a montré des “aveux” hier » n’ont pas fait l’objet d’une demande massive de libération, les agences de l’ONU n’ont pratiquement rien dit », a-t-il dit, faisant allusion aux personnes vues dans les vidéos.

Un analyste politique a déclaré que « la faible réaction internationale […] prouve que du point de vue [des Houthis], ils ont eu raison de procéder ainsi ».

Les Nations Unies, les groupes indépendants travaillant au Yémen et les gouvernements concernés devraient prendre toutes les mesures possibles pour obtenir la libération des personnes détenues, a déclaré Human Rights Watch. Oman, qui a joué un rôle de médiateur dans les négociations entre les Houthis et les autres parties belligérantes au Yémen, devrait collaborer avec d’autres pays de manière collective, pour s’assurer que les Houthis libèrent les détenus.

« La communauté internationale devrait faire tout ce qui est en son pouvoir pour s’assurer que ces personnes soient immédiatement libérées », a conclu Niku Jafarnia. « Plusieurs d’entre elles ont apporté une précieuse contribution au travail des organisations de la société civile yéménite, des agences de l’ONU et des organisations non gouvernementales internationales. »

Suite en anglais, comprenant des informations plus détaillées.

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