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République centrafricaine : Une étape vers la fin de l’impunité pour les auteurs de crimes graves

La Cour pénale spéciale a arrêté un ancien chef de milice

Des individus se tiennent à côté d'un magasin tenu par un musulman qui a été pillé par des combattants anti-balaka à Guen, en République centrafricaine, le 15 avril 2014. © 2014 Jerome Delay/AP Photo

(Bangui) – La Cour pénale spéciale (CPS) de la République centrafricaine a annoncé avoir arrêté, le 16 juin 2024, un ancien chef de milice anti-balaka, Edmond Beïna, pour des crimes commis en 2014, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Cette arrestation constitue un pas important pour assurer que justice soit rendue aux victimes de crimes graves commis dans le pays.

La Cour a confirmé l’arrestation le 21 juin. Elle a inculpé Beïna de crimes contre l’humanité et crimes de guerre présumés commis à Guen, Gadzi et Djomo, dans la province de Mambéré-Kadéï, dans le sud-ouest du pays, en février et mars 2014. Des groupes anti-balaka sous le commandement de Beïna et d’un autre chef de milice, Matruin Kombo, avaient attaqué des civils, tuant au moins 72 hommes et garçons musulmans, dont certains n’avaient pas plus de 9 ans, lors d’attaques perpétrées les 1 et 5 février 2014. La Cour a arrêté Kombo en novembre 2022. Outre Kombo et Beïna, trois autres co-accusés sont actuellement détenus par la Cour pour des crimes liés aux mêmes événements.

« Jusqu’à présent, personne n’a été amené à rendre des comptes pour les crimes atroces commis à Guen et l’impunité continue de prévaloir en République centrafricaine », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l'Afrique centrale à Human Rights Watch. « La Cour pénale spéciale a la possibilité de changer cette trame narrative et de rendre enfin une certaine justice aux victimes et à leurs familles, qui l’attendent depuis très longtemps. »

La CPS a été créée pour enquêter sur les crimes graves internationaux commis en République centrafricaine depuis 2003 et juger leurs auteurs présumés. Elle est basée à Bangui, la capitale, et est dotée de juges, de procureurs et d’administrateurs internationaux et centrafricains. Elle a commencé à travailler en 2018.

Les milices anti-balaka se sont constituées à travers le pays pour combattre la Séléka, une coalition à dominante musulmane qui a pris le contrôle de Bangui le 24 mars 2013. Les anti-balaka ont rapidement entrepris de cibler les civils musulmans, en particulier dans l’ouest du pays, les associant à la Séléka ou aux sympathisants de la coalition.

Les blessures d'une victime des attaques du 1 février 2014 des anti-balaka sur Guen. © 2014 Lewis Mudge/Human Rights Watch

En mars 2014, un chercheur de Human Rights Watch a passé plusieurs jours dans le pays, s’entretenant avec des survivants des attaques de Guen et Djomo. Les victimes, toutes musulmanes et pour la plupart des femmes âgées et des enfants, avaient cherché refuge dans une enceinte paroissiale catholique, où elles ont été attaquées.

Le père d’Oumarou Bouba, un garçon de 10 ans, a déclaré : 

« J’ai emmené mon fils quand les anti-balaka ont attaqué. Alors que nous courions, il a été atteint par les tirs des anti-balaka. Il a reçu une balle dans la jambe droite et il est tombé, mais ils l’ont achevé à coups de machette. Je n’ai pas eu d’autre choix que de continuer de courir. J’avais aussi été touché. Plus tard, je suis allé voir son corps, il avait été frappé à la tête et au cou. »

Le 5 février, après avoir pillé les quartiers musulmans de Guen, les anti-balaka ont attaqué une propriété où des centaines de musulmans s’étaient réfugiés. Lors de cette attaque, les anti-balaka ont séparé environ 45 hommes en deux groupes, les ont emmenés hors de la propriété, les ont forcés à s’allonger sur le sol et les ont exécutés.

Des témoins ont affirmé que le 6 mars, les anti-balaka commandés par Beïna et Kombo sont allés dans la paroisse à la recherche de l’imam local de Djomo, Abdoulaye Liman, qui s’y était réfugié, et l’ont tué.

Le massacre de Guen a démontré le mépris total des anti-balaka pour la loi, la nécessité urgente à l’époque que les militaires chargés du maintien de la paix agissent rapidement pour protéger les civils, ainsi que l’importance qu’il y a maintenant – 10 ans plus tard – à faire appliquer la règle de droit et à rendre justice, a déclaré Human Rights Watch.

L'arrestation de Beïna survient alors que la CPS a accompli des progrès sur certains dossiers importants. En octobre 2022, la Cour a condamné trois membres du groupe rebelle 3R pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en mai 2019 dans le nord-ouest du pays. Ce verdict a été confirmé en appel en juillet 2023.

Le deuxième procès de la Cour a débuté en décembre 2023 et est toujours en cours. Il se rapporte à des crimes présumés commis en 2020 dans la ville de Ndele par des factions du Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC), un groupe armé. Un autre procès pour des crimes prétendument commis par ce groupe à Ndele en 2020 a débuté en juin 2024. En septembre 2023, la CPS a également annoncé l’inculpation d’Abdoulaye Hissène, un chef du FPRC, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité présumés commis en 2017; il reste en détention provisoire.

En même temps, la CPS continue de se heurter à des difficultés, notamment en ce qui concerne l’arrestation de certains suspects. En mai, la Cour a émis un mandat d’arrêt à l’encontre de l’ancien président François Bozizé, qui est accusé de crimes contre l’humanité présumés commis entre février 2009 et le 23 mars 2013 par la Garde présidentielle et d’autres services de sécurité dans un centre de formation militaire situé au nord de Bangui. Bozizé, qui était rentréen République centrafricaine en 2019 alors que le pays était déchiré par des conflits, puis était réapparu ultérieurement comme l’un des principaux dirigeants d’une coalition rebelle, est actuellement de nouveau en fuite, caché en Guinée-Bissau.

L’actuel ministre de l’Élevage et de la santé animale, Hassan Bouba, a été arrêté le 19 novembre 2022 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Il a été remis en liberté et escorté chez lui par des gendarmes centrafricains au mépris des décisions de justice, le 26 novembre 2022, et ne s’est pas présenté devant la Cour.

Bien que la situation sécuritaire dans le pays se soit améliorée lors de ces dix dernières années, l’impunité dont bénéficient les personnes responsables de crimes graves continue d’alimenter des cycles récurrents de violence et les groupes armés continuent de commettre des atrocités, laissant derrière eux un triste bilan de morts, de déplacements et de misère.

La CPS joue un rôle important dans les efforts pour assurer que justice soit rendue pour les attaques contre les civils au cours de la dernière décennie, comme celles commises à Guen ou contre des camps pour personnes déplacées à l’intérieur des frontières du pays. Le gouvernement et les partenaires internationaux de la Cour devraient redoubler d’efforts pour soutenir la Cour et faire en sorte qu’elle puisse s’acquitter effectivement de son mandat crucial, notamment en lui assurant des ressources adéquates et en veillant à la prompte exécution des mandats d’arrêt actuellement en attente, a déclaré Human Rights Watch.

« Si elle est soutenue de manière adéquate, la Cour pénale spéciale a le potentiel d’apporter enfin justice aux victimes des crimes les plus graves », a affirmé Lewis Mudge. « L’arrestation et l’inculpation de Beïna montrent que justice sera rendue, même si cela prend du temps, et constituent un avertissement clair pour ceux qui continuent de commettre des atrocités en République centrafricaine. »

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