Depuis le coup d’État du 1er février 2021, l’armée du Myanmar a mené une répression brutale dans tout le pays contre des millions d’opposants à son régime. Les forces de sécurité de la junte ont perpétré des massacres, des arrestations arbitraires, des actes de torture, des violences sexuelles et d’autres abus qui constituent des crimes contre l’humanité. La liberté d’expression et de réunion est soumise à de sévères restrictions.
L’expansion des opérations militaires a donné lieu à de nombreux crimes de guerre contre les populations des minorités ethniques dans les États de Kachin, Karen, Karenni et Shan. Les militaires ont également commis des abus, notamment en recourant à la tactique de la « terre brûlée », incendiant des villages dans les régions de Magway et Sagaing. L’armée du Myanmar défie depuis longtemps les appels internationaux à l’établissement des responsabilités, notamment pour les atrocités commises contre les Rohingyas et d’autres minorités ethniques. L’inaptitude et la mauvaise gestion de l’économie du pays par la junte depuis le coup d’État ont aggravé les souffrances de la population et ancré un climat de peur et d’insécurité.
Actes de torture, exécutions politiques, décès en garde à vue
Depuis le coup d’État, les autorités de la junte ont arrêté arbitrairement plus de 16 000 partisans de la démocratie. De nombreux anciens détenus ont affirmé avoir été torturés ou avoir subi d’autres mauvais traitements, tels que des violences sexuelles, pendant leur détention. Un journaliste a raconté après sa libération que des gardiens l’avaient violé et passé à tabac en détention.
L’armée et la police du Myanmar sont responsables de nombreux décès en détention. Human Rights Watch a documenté en détail la mort de six activistes détenus, qui ont été apparemment torturés ou privés de soins médicaux adéquats. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), depuis le coup d’État, au moins 273 personnes sont mortes en détention dans des postes de police, des centres d’interrogatoire militaires et des prisons. La junte a organisé des procès à huis clos manifestement inéquitables pour imposer des peines lourdes et souvent excessives. En novembre 2022, les forces de sécurité de la junte avaient tué au moins 2 400 personnes, selon l’association non gouvernementale Assistance Association for Political Prisoners.
La junte a porté de multiples accusations contre Aung San Suu Kyi, leader du parti évincé de la Ligue nationale pour la démocratie, notamment pour corruption, crime d’incitation et violation de la loi sur les secrets officiels. En septembre, trois de ses ministres destitués – Soe Win, Sett Aung et Kyaw Win – et le conseiller économique australien Sean Turnell ont été reconnus coupables en vertu de la loi sur les secrets officiels et condamnés chacun à trois ans d’emprisonnement. Au début du même mois, Aung San Suu Kyi et l’ancien président Win Myint ont été condamnés chacun à trois ans d’emprisonnement accompagnés de travaux forcés pour fraude électorale. Elle a été condamnée à sept ans de prison supplémentaires en décembre, ce qui porte sa peine totale à 33 ans.
En novembre, la junte a annoncé la libération de près de 6 000 prisonniers dans le cadre de l’amnistie de la fête nationale. Parmi eux figuraient plusieurs personnes détenues arbitrairement, notamment le professeur australien Sean Turnell, l’ancienne ambassadrice du Royaume-Uni au Myanmar Vicky Bowman et son mari Htein Linn, le cinéaste japonais Toru Kubota et le botaniste américain Kyaw Htay Oo.
En juillet, la junte a exécuté quatre hommes – les premières exécutions dans le pays depuis plus de 30 ans. Il s’agissait de l’ancien député de l’opposition Phyo Zeya Thaw, de l’éminent activiste Kyaw Min Yu, connu sous le nom de « Ko Jimmy », de Hla Myo Aung et d’Aung Thura Zaw, tous condamnés à l’issue de procès à huis clos qui étaient loin de respecter les normes internationales.
Crimes de guerre et autres atrocités
Le recours indiscriminé à l’artillerie et aux frappes aériennes par l’armée a provoqué la mort de nombreux civils et en a blessé d’autres, provoqué d’importants dégâts dans des villages, y compris dans des écoles, et contraint des milliers de personnes à fuir. Des blocages de données et de réseaux Internet mobiles sont en cours dans de nombreuses régions du pays où l’opposition à la junte a donné lieu à des affrontements entre l’armée et des groupes prodémocratie armés.
Le 16 septembre, des hélicoptères militaires ont tiré des roquettes et se sont servis de mitrailleuses avant une attaque d’infanterie perpétrée contre une école à Let Yet Kone, dans la région de Sagaing, faisant au moins 13 morts, dont sept enfants. Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a « vigoureusement » condamné l’attaque, déclarant : « Les attaques commises contre les écoles et les hôpitaux en violation du droit international humanitaire constituent également l’une des six violations graves contre les enfants en temps de conflit armé fermement condamnées par le Conseil de sécurité. »
Le même jour, une autre frappe aérienne à Moebye, dans l’État de Shan, contre un camp de personnes déplacées, a fait quatre morts, dont deux enfants.
Le 23 octobre, l’armée a effectué une frappe aérienne contre un concert organisé par l’Organisation pour l’indépendance de Kachin (KIO) à Hpakant, dans l’État de Kachin, pour commémorer son soixante-deuxième anniversaire, en violation manifeste des lois de la guerre. L’attaque a fait au moins 80 morts et une centaine de blessés. Les forces de la junte ont ensuite bloqué l’accès aux soins médicaux pour les blessés.
Le HCDH a indiqué que les opérations militaires ont détruit jusqu’à 30 000 infrastructures civiles, notamment des écoles situées dans les régions de Magway et de Sagaing, ainsi que dans les États de Kachin, Shan, Karen et Karenni. Le HCDH a déclaré que, depuis le coup d’État, au moins 382 enfants ont été tués ; 266 autres décès ont été signalés à la suite de raids et d’arrestations dans des villages, et 111 autres cas signalés où les victimes ont été brûlées vives ou après des exécutions extrajudiciaires, dans le but manifeste de détruire les preuves des crimes commis.
En juillet, Amnesty International a indiqué que l’utilisation, par l’armée, de mines terrestres interdites dans l’État de Karenni constituait des crimes de guerre. L’organisation de défense des droits humains Fortify Rights a également indiqué que les attaques contre les civils dans l’État de Karenni constituaient des crimes de guerre.
En juillet, un cessez-le-feu fragile entre l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan et l’armée du Myanmar a pris fin, entraînant des mois de nouveaux combats, et provoquant la mort de civils et des déplacements massifs le long de la frontière entre les États de Rakhine et de Chin, avec des informations faisant état de bombardements tombant sur le Bangladesh.
Populations déplacées et aide
Les conflits au Myanmar ont entraîné le déplacement de près d’un million de personnes depuis le coup d’État, tandis que 70 000 autres ont fui vers les pays voisins. La junte a empêché l’aide humanitaire, qui faisait cruellement défaut, d’atteindre des millions de personnes déplacées et d’autres en danger, dans le cadre de sa stratégie des « quatre coupes », conçue de longue date pour isoler et terroriser les populations civiles. Dans les zones de conflit armé, notamment dans le sud-est et le nord-ouest du pays, l’obstruction de l’aide par la junte viole le droit humanitaire international.
Les forces de sécurité ont imposé de nouvelles restrictions aux déplacements des travailleurs humanitaires, bloqué les voies d’accès et les convois d’aide, détruit les articles non militaires, attaqué les travailleurs humanitaires et interrompu les services de télécommunications. Les militaires ont également pris pour cible des établissements et des personnels soignants, en violation du droit international. Les forces militaires ont saisi des livraisons de nourriture et de fournitures médicales en route vers les sites de déplacement et arrêté des personnes soupçonnées de soutenir les efforts d’aide.
En septembre, à la suite de l’intensification des combats entre l’armée d’Arakan et les militaires, les autorités de la junte ont interdit aux organisations non gouvernementales internationales et des Nations Unies l’accès à six communes de l’État de Rakhine et bloqué tous les bateaux et transports publics contrôlés par la junte qui desservent ces communes.
Le processus d’autorisation de voyage requis pour le personnel humanitaire est devenu encore plus erratique et contraignant. Les travailleurs humanitaires locaux en première ligne opèrent dans un climat de vive insécurité, risquant régulièrement d’être harcelés et détenus aux points de contrôle, ainsi que d’être victimes de mines terrestres et de bombardements dans les zones civiles et les sites de déplacement.
En mai, le Centre de coordination de l’aide humanitaire de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) et le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) ont rencontré des responsables de la junte au sujet du Cadre d’arrangement pour la fourniture de l’aide humanitaire de l’ASEAN, soulevant des craintes que les opérations d’aide menées par cette organisation sous-régionale et l’ONU soient encore plus encadrées par les autorités militaires, sans la participation des groupes locaux ou de l’opposition.
La perturbation des chaînes d’approvisionnement, la hausse des prix et la rareté des produits, ainsi que la perte d’accès aux moyens de subsistance agricoles ont aggravé les pénuries alimentaires à travers tout le pays. Le kyat, la devise du Myanmar, a été confronté à une extrême volatilité depuis le coup d’État, contribuant à des crises alimentaires pour les populations déplacées et touchées par le conflit, ainsi que dans les zones urbaines et périurbaines. Selon l’ONU, environ 11 millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë. La junte a imposé en septembre de nouvelles réglementations bancaires exigeant que les bénéficiaires de l’aide présentent une carte d’identité pour recevoir une aide en espèces.
Persécution des Rohingyas
Environ 600 000 Rohingyas sont condamnés à vivre dans l’État de Rakhine, où ils sont victimes d’abus systématiques qui constituent les crimes contre l’humanité d’apartheid, de persécution et de privation de liberté.
La junte a imposé de nouvelles restrictions de mouvement et des blocages de l’aide dans les camps et les villages rohingyas, notamment en interdisant en septembre les opérations de l’ONU et des organisations non gouvernementales internationales, avec pour effet d’accroître les pénuries d’eau et de vivres, les maladies et la malnutrition. En avril, à l’approche de la mousson, l’ONU a fait état de nouvelles restrictions imposées par la junte aux projets d’infrastructure dans les camps, contraignant 28 000 Rohingyas à rester dans des habitats inadaptés nécessitant des réparations urgentes, dont beaucoup « mettent en danger la vie des résidents ».
La fréquence des arrestations de Rohingyas pour « déplacement non autorisé » a augmenté. Au moment de la rédaction du présent rapport, les forces de sécurité avaient arrêté plus de 1 300 Rohingyas, dont des centaines d’enfants, généralement en route pour la Malaisie. Beaucoup ont été condamnés à la peine maximale de cinq ans d’emprisonnement.
Environ 135 000 musulmans rohingyas et kamans sont en détention arbitraire pour une durée indéterminée dans des camps de détention depuis 10 ans. La junte a poursuivi son processus problématique de « fermeture des camps », qui consiste à remplacer les habitations temporaires par d’autres structures permanentes construites sur les sites existants ou à proximité, ce qui renforce la ségrégation et prive les Rohingyas du droit de retourner dans leurs foyers d’avant 2012. En août, les autorités de la junte se sont rendues dans des camps à Sittwe pour recueillir des données démographiques et mesurer des parcelles de terrain.
Les autorités de la junte ont continué à déployer le processus de la carte nationale de vérification dans le cadre de son exercice de « contrôle de la citoyenneté » Pan Khin, contraignant les Rohingyas à accepter des pièces d’identité qui font d’eux des étrangers dans leur propre pays.
En raison de la rupture du cessez-le-feu informel entre l’armée du Myanmar et l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan et de la lutte croissante pour le contrôle politique, les civils rohingyas et rakhines risquent d’être blessés, arrêtés et déplacés.
Michelle Bachelet, alors Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a annoncé en août, au retour d’une visite dans les camps de réfugiés rohingyas au Bangladesh, que « la situation actuelle de l’autre côté de la frontière signifie que les conditions ne sont pas réunies pour les retours ».
Rétrécissement de l’espace civique et défis juridiques
Sous la direction du général Min Aung Hlaing, la junte n’a cessé de rétrécir l’espace civique et de prendre pour cible les activistes en les persécutant et en les arrêtant. Le 20 septembre, la junte a prévenu que l’engagement sur les réseaux sociaux, comme le fait de « liker » ou de « partager » les contenus postés par des opposants, pouvait entraîner une peine de prison pouvant aller jusqu’à 10 ans.
Les avocats sont de plus en plus harcelés par les autorités de la junte lorsqu’ils défendent des affaires politiques et pénales. Les procès à huis clos et l’absence de procédure régulière ne sont que quelques-uns des défis auxquels ils sont confrontés. La junte a cherché à légitimer son pouvoir en modifiant arbitrairement les lois, en nommant des juges proches d’elle et en arrêtant les avocats qui défendent les opposants.
Une loi promulguée en mars a officiellement placé la police sous le contrôle des forces armées, obligeant les policiers à se conformer à tous les ordres militaires, y compris à prendre part aux opérations militaires.
Orientation sexuelle et identité de genre
Le code pénal du Myanmar punit les « rapports charnels contre nature » d’une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans de prison et d’une amende. Sous la junte militaire, les lesbiennes, les gays, les bisexuels et les transsexuels (LGBT) ont été particulièrement exposés aux violences sexuelles en détention.
Depuis le coup d’État, des femmes ont également signalé des violences sexuelles et d’autres formes de harcèlement et d’humiliation sexistes de la part de policiers et de militaires.
Principaux acteurs internationaux
En février, la Cour internationale de justice a entendu les quatre exceptions préliminaires d’incompétence du Myanmar à l’action intentée par la Gambie en vertu de la Convention internationale sur le génocide concernant le génocide présumé des Rohingyas par le Myanmar. En juillet, la Cour a rejeté les exceptions, permettant à l’affaire de se poursuivre sur le fond. Le Myanmar a jusqu’à avril 2023 pour déposer son recours. Le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Canada et l’Allemagne ont annoncé leur intention de soutenir l’affaire par des interventions officielles.
En mars, les États-Unis ont officiellement établi que les atrocités commises par l’armée du Myanmar à l’encontre des Rohingyas constituent un génocide et des crimes contre l’humanité. À la Cour pénale internationale (CPI), le procureur a poursuivi l’enquête ouverte par son bureau sur les allégations de crimes contre l’humanité, sur la base que ces crimes ont été finalisés au Bangladesh, État partie au Statut de Rome de la CPI, après les atrocités de 2017 contre les Rohingyas.
Le Mécanisme d’enquête indépendant pour le Myanmar (IIMM), soutenu par l’ONU et chargé de constituer des dossiers en vue de poursuites pénales à l’encontre des auteurs de crimes graves, a indiqué en juillet avoir recueilli et analysé des éléments qui « renforcent l’évaluation du Mécanisme [...] selon laquelle des crimes contre l’humanité continuent d’être commis systématiquement au Myanmar ».
Les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et l’Union européenne ont imposé de nouvelles sanctions à des personnes et entités liées à la junte. En février, l’Union européenne a imposé des sanctions à des entreprises contrôlées par la junte, dont la Myanmar Oil and Gas Enterprise (MOGE), la seule entité gouvernementale à subir de telles mesures jusqu’à présent. En avril, la Chambre des représentants des États-Unis a adopté la loi BURMA, qui charge le président Joe Biden de sanctionner les personnes portant atteinte à la stabilité et à la démocratie au Myanmar. Ce texte doit maintenant être adopté par le Sénat.
En juillet, la société française TotalEnergies s’est retirée du Myanmar, où elle exploitait le plus important champ pétrolier et gazier depuis les années 1990. Ce départ a permis aux partenaires restants – MOGE, l’entreprise américaine Chevron et la thaïlandaise PTTEP – d’accroître leur participation au projet, PTTEP devenant l’opérateur. D’autres entreprises, dont Chevron, Woodside, Mitsubishi, Petronas et ENEOS, ont annoncé leur intention de se retirer au moins partiellement de leurs activités au Myanmar.
Telenor, la société de télécommunications basée en Norvège, a quitté le pays en mars. L’autre grande société de télécommunications étrangère, Ooredoo, basée au Qatar, a annoncé la vente de ses activités au Myanmar en septembre.
Le Parlement européen a adopté deux résolutions condamnant les abus commis par la junte et demandant à l’Union européenne de prendre des mesures plus strictes. La résolution de mars reconnaît le gouvernement d’unité nationale (NUG), le Comité représentant le Pyidaungsu Hluttaw (CRPH) et le Conseil consultatif d’unité nationale (NUCC) de l’opposition « comme les seuls représentants légitimes des souhaits démocratiques du peuple du Myanmar ».
Le Myanmar a continué de défier le « consensus en cinq points » de l’ASEAN. Le bloc sous-régional a continué à exclure les représentants de la junte des réunions de haut niveau, se disant « profondément déçu par les progrès limités et le manque d’engagement des autorités de Nay Pyi Taw », lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères qui s’est tenue au mois d’août.
En septembre, Min Aung Hlaing s’est entretenu avec le président russe Vladimir Poutine à Moscou. Depuis le coup d’État, la Russie est devenue le plus proche allié de la junte et son principal fournisseur d’armes.
En décembre, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté une résolution rédigée par le Royaume-Uni dénonçant les violations des droits humains commises par l'armée du Myanmar depuis le coup d'État. Il s'agit de la première résolution du Conseil de sécurité sur le Myanmar depuis l'indépendance du pays en 1948. Tous les membres du Conseil de sécurité ont voté pour la résolution, à l'exception de la Chine, de l'Inde et de la Russie, qui se sont abstenues.
Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté une résolution sur le Myanmar présentée par l’UE en mars et une autre concernant les Rohingyas présentée par l’Organisation de la coopération islamique (OCI) en juillet. La Troisième Commission de l'Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution sur le Myanmar en novembre.