La répression de la liberté d’expression et d’association au Maroc s’est poursuivie, plusieurs journalistes, activistes et leaders de la contestation de premier plan continuant de purger des peines, vraisemblablement en représailles de leurs critiques à l’égard de la monarchie au pouvoir. Les autorités musellent les activistes des droits humains et de l’indépendance du Sahara occidental en les soumettant au harcèlement, à la surveillance et, dans certains cas, à de longues peines d’emprisonnement faisant suite à des procès inéquitables.
Liberté d’expression
La Cour de cassation a confirmé la condamnation à trois ans de prison de Mohamed Ziane, un avocat de 80 ans et ancien ministre des droits humains du Maroc en 1995 et 1996, pour 11 chefs d’accusation, y compris « délits d’outrage … à des fonctionnaires publics », « adultère » et « harcèlement sexuel ». Amnesty International a indiqué qu’au moins six de ces chefs d’accusation constituaient une violation de son droit à la liberté d’expression. Détenu à l’isolement depuis novembre 2022 à la prison d’El Arjat, près de Rabat, il est privé de lecture ou d’écriture depuis environ six mois, selon son avocat.
Les journalistes indépendants Omar Radi, Soulaiman Raissouni et Taoufik Bouachrine continuent de purger des peines de prison à l’issue de procédures judiciaires entachées d’irrégularités, qui ont été engagées au titre de divers chefs d’accusation, dont certains sont liés à des agressions sexuelles et au harcèlement sexuel. Human Rights Watch a documenté de nombreuses tactiques sournoises déployées par les autorités marocaines contre ces trois journalistes, et plus généralement pour écraser la dissidence et les dissidents. Les procès inéquitables et les longues peines d’emprisonnement liées à des accusations pénales de nature sexuelle font partie de ces tactiques, qui forment un « écosystème de répression » incluant des campagnes de harcèlement et de diffamation dans les médias soutenus par l’État, le ciblage des membres de la famille, la surveillance vidéo et numérique et, parfois, l’intimidation et les agressions physiques. En juillet, la Cour de cassation a définitivement confirmé la peine de six ans d’emprisonnement pour Omar Radi et de cinq ans pour Soulaiman Raissouni. Quant à Taoufik Bouachrine, il purge une peine de 15 ans d’emprisonnement, qui a été confirmée par la Cour de cassation en 2021. La grâce royale est leur dernier espoir de libération anticipée.
Le 31 juillet, un Tribunal marocain de première instance a condamné Saïd Boukioud, 48 ans, à cinq ans de prison pour avoir critiqué sur Facebook en 2020 la décision du roi de normaliser les liens avec Israël. Cette condamnation s’appuie sur l’article 267-5 du Code pénal, en vertu duquel les actes considérés comme un acte qui « porte atteinte … au régime monarchique » sont passibles d’une peine de six mois à deux ans d’emprisonnement pouvant être portée à cinq ans si l’acte est commis en ligne.
Human Rights Watch a précédemment documenté les cas de dizaines de journalistes et d’activistes des réseaux sociaux condamnés par des tribunaux marocains pour diffamation, publication de « fausses nouvelles », « insulte » ou « diffamation » à l’égard de responsables locaux, d’organes de l’État ou de chefs d’État étrangers, et « atteinte » à la sécurité de l’État ou à l’institution de la monarchie.
En septembre, la police marocaine a expulsé les journalistes Quentin Müller et Thérèse Di Campo, de la rédaction de Marianne, un magazine d’information français, après les avoir arrêtés dans leur hôtel à Casablanca. Le porte-parole du gouvernement a déclaré qu’ils avaient été expulsés pour avoir travaillé au Maroc en tant que journalistes sans autorisation officielle. Leur expulsion est la dernière d’une série de nombreuses expulsions de journalistes étrangers justifiées par les autorités pour des raisons similaires.
Liberté de réunion
Les autorités ont continué à entraver le travail de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), la plus grande association indépendante de défense des droits humains du pays. Elles refusent depuis l’an dernier d’effectuer des formalités administratives concernant des dizaines d’antennes locales de l’AMDH, qui estime que ce refus les empêche d’ouvrir de nouveaux comptes bancaires ou de louer des locaux. L’AMDH a par ailleurs signalé que d’autres groupes de défense des droits civiques, dont des groupes de jeunes ou de lutte contre les violences envers les femmes, avaient eux aussi vu les autorités refuser de leur accorder un statut légal ou de réaliser certaines démarches administratives.
Droits des femmes et des filles
En septembre, le roi Mohammed VI a officiellement chargé le chef du gouvernement d’entamer la révision du code de la famille de 2004, également connu sous le nom de Moudawana. Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a par ailleurs souligné l’intention du gouvernement de remédier aux inégalités entre les hommes et les femmes présentes dans la loi relative au mariage, au divorce et à la tutelle des enfants.
Le code prévoit actuellement que le représentant légal par défaut d’un enfant est son père, même si une mère a obtenu la garde de son enfant par décision de justice après un divorce. Il dispose également que les femmes et les filles n’héritent que de la moitié de ce que reçoivent les hommes de leur famille. De plus, il fixe à 18 ans l’âge minimum du mariage, tout en autorisant les juges à accorder des « dérogations » aux filles âgées de 15 à 18 ans pour qu’elles puissent se marier à la demande de leur famille.
La loi marocaine ne considère pas explicitement le viol conjugal comme un crime. Les femmes qui dénoncent un viol s’exposent à des poursuites pour avoir eu des relations sexuelles illégales hors mariage. Une loi de 2018 sur la violence à l’égard des femmes criminalise certaines formes de violence domestique ; elle instaure en outre des mesures de prévention et prévoit de nouvelles protections pour les survivantes. Cependant, cette loi crée également des obstacles à l’accès des survivantes à ces protections. De plus, elle n’assigne pas de devoir de diligence à la police, aux procureurs et aux juges d’instruction dans les affaires de violence domestique, et elle ne prévoit pas non plus de financement pour les refuges où sont accueillies les femmes victimes de violence.
Code pénal
Le Code pénal criminalise plusieurs aspects de la vie privée. L’avortement reste criminel en vertu de l’article 453, sauf lorsque la santé de la mère est en danger et dans des cas limités tels que le viol ou l’inceste. Toutefois, l’article dispose que la procédure nécessite le consentement explicite du partenaire et/ou d’un médecin. Dans le cas contraire, une personne qui « s’est intentionnellement fait avorter » peut risquer jusqu’à deux ans de prison, cette peine pouvant être portée à cinq ans pour les personnes qui le pratiquent.
L’article 490 punit les relations sexuelles hors mariage d’une peine d’emprisonnement d’au moins un an. L’article 491 prévoit une peine d’emprisonnement d’un à deux ans en cas d’adultère, celui-ci pouvant faire l’objet d’une poursuite si le ou la conjoint·e de l’une des parties porte plainte ou, dans les cas où le ou la conjoint·e se trouve à l’étranger, si un procureur engage une procédure pénale contre la personne soupçonnée d’adultère et son ou sa complice.
L’article 489 du Code pénal criminalise les relations entre personnes de même sexe, passibles d’une peine de six mois à trois ans de prison. Au fil des ans, le Maroc a utilisé cette disposition pour poursuivre et emprisonner certains hommes, même lorsqu’il n’y avait aucune preuve qu’ils s’étaient livrés à des actes sexuels entre personnes du même sexe.
Sahara occidental
Steffan de Mistura, l’envoyé personnel du Secrétaire général des Nations Unies pour le Sahara occidental, s’est rendu dans la région en septembre pour la première fois depuis sa nomination, en 2021. Par ailleurs, le Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a déclaré son souhait d’entreprendre des missions constructives dans la région presque huit ans après la dernière visite du HCR.
La majeure partie du Sahara occidental est sous contrôle marocain depuis que l’Espagne, ancien administrateur colonial du territoire, s’est retirée en 1975. En 1991, le Maroc et le Front Polisario, un mouvement de libération qui cherche à obtenir l’autodétermination pour le Sahara occidental, ont accepté un cessez-le-feu négocié par les Nations Unies afin de préparer un référendum sur l’autodétermination. Ce référendum n’a jamais eu lieu. En effet, le Maroc, qui considère que le Sahara occidental fait partie intégrante du royaume, rejette la tenue d’un vote sur l’autodétermination où l’indépendance serait une option.
En décembre 2020, l’ancien président des États-Unis, Donald Trump, a rejeté le processus d’autodétermination des Sahraouis parrainé par les Nations Unies en reconnaissant la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Depuis, le Maroc fait pression sur ses alliés occidentaux, notamment l’Espagne et la France, pour qu’ils fassent de même. En juillet, Israël a reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental.
Dix-neuf Sahraouis sont toujours en prison après avoir été condamnés à l’issue de deux procès inéquitables, en 2013 et 2017, pour le meurtre de 11 membres des forces de sécurité marocaines, lors d’affrontements qui ont éclaté après que les autorités ont démantelé par la force un vaste camp de protestation à Gdeim Izik, près d’El-Ayun, en 2010. Lors de ces deux procès, les tribunaux se sont appuyés presque entièrement sur leurs aveux à la police pour les condamner, sans enquêter sérieusement sur les allégations selon lesquelles les accusés les avaient signés sous la torture. La Cour de cassation, la plus haute instance judiciaire du Maroc, a confirmé le verdict d’appel le 25 novembre 2020.
Région du Rif
40 manifestants associés au Hirak, un mouvement de la région du Rif, au nord du Maroc qui a protesté en 2016 et 2017 contre les conditions socio-économiques locales, sont toujours emprisonnés, certains purgeant des peines de plusieurs dizaines d’années. En 2019, une cour d’appel a confirmé les condamnations, malgré des allégations crédibles d’aveux obtenus sous la torture. Parmi les personnes condamnées figurent les leaders du Hirak, Nasser Zefzafi et Nabil Ahamjik.
Réfugiés et demandeurs d’asile
Le parlement marocain doit encore approuver un projet de loi de 2013 sur le droit d’asile. Une loi de 2003 sur la migration qui criminalise l’entrée irrégulière dans le pays sans prévoir d’exceptions pour les réfugiés et les demandeurs d’asile reste en vigueur.
En septembre 2023, plus de 19 000 réfugiés et demandeurs d’asile vivant au Maroc étaient enregistrés auprès de l’agence des Nations Unies pour les réfugiés, le HCR. Plus de la moitié d’entre eux étaient originaires de pays d’Afrique de l’Ouest, d’Afrique centrale et d’Afrique du Nord-Est, et environ 30 % étaient des Syriens. La délégation marocaine a déclaré en mars, devant le Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants, que tout au long de l’année 2022, elle avait régularisé le statut de 58 000 migrants en leur octroyant des visas d’une durée de trois ans.
Les autorités marocaines n’ont pas mené d’enquête crédible et indépendante ni offert une indemnisation appropriée aux survivants et aux familles des victimes de l’incident du 24 juin 2022, au cours duquel les policiers marocains et espagnols chargés de la surveillance des frontières ont fait usage d’une force excessive en réponse à une tentative de 1 300 à 2 000 hommes — la plupart originaires du Soudan, du Sud-Soudan et du Tchad — d’escalader les clôtures à mailles losangées entourant l’enclave espagnole de Melilla. Au moins 23 migrants ou demandeurs d’asile ont trouvé la mort ce jour-là, et des dizaines d’entre eux étaient toujours portés disparus à l’été 2023. L’Espagne et le Maroc nient toute responsabilité dans ces décès et ces disparitions.
En février, l’Espagne et le Maroc ont annoncé une coopération « intensifiée », notamment concernant « la lutte contre la migration irrégulière et le contrôle des frontières ».
Après avoir arrêté Hassan al-Rabea, ressortissant saoudien, en janvier à l’aéroport de Marrakech, les autorités marocaines l’ont extradé le 6 février vers l’Arabie saoudite, en violation du principe de non-refoulement prévu par le droit international relatif aux droits humains et aux réfugiés. Hassan Al-Rabea, qui appartient à la minorité chiite d’Arabie saoudite et dont la famille a été la cible d’arrestations et d’exécutions, notamment pour des délits liés à des manifestations, était recherché pour sa collaboration présumée avec des « terroristes » censés l’aider à quitter l’Arabie saoudite « de manière irrégulière », un chef d’accusation passible d’une peine d’emprisonnement de 10 à 20 ans.
Yidiresi Aishan (également connu sous le nom d’Idris Hasan), un activiste ouïghour, demeure sous la menace d’une extradition du Maroc vers la Chine. Il est détenu depuis son arrestation en juillet 2021, à son arrivée au Maroc en provenance de la Turquie. Cette arrestation se fondait sur une notice rouge diffusée par Interpol, qui a ensuite été annulée. Depuis lors, Yidiresi Aishan est incarcéré à la prison de Tiflet, à l’est de Rabat, dans l’attente d’une extradition approuvée par la Cour de cassation du Maroc, mais pas encore exécutée. Les politiques abusives de la Chine à l’égard des Ouïghours, qui s’apparentent à des crimes contre l’humanité, consistent notamment à contraindre les Ouïghours se trouvant à l’étranger à retourner au Xinjiang, où ils sont exposés à des risques de détention arbitraire.