(Los Angeles) - Les autorités du comté de Los Angeles d'urgence procéder à l'analyse de plus de 12 000 « kits de viol » (« rape kits ») - des dossiers rassemblant les preuves matérielles recueillies après une agression sexuelle - afin de garantir la justice pour les victimes de viol, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui.
Le rapport de 68 pages, « Testing Justice: The Rape Kit Backlog in Los Angeles City and County » (« La justice à l'épreuve : L'arriéré de kits de viol non analysés dans la ville et le comté de Los Angeles »), révèle que l'arriéré de kits de viol non testés dans le comté de Los Angeles est plus important et plus répandu que signalé auparavant. S'appuyant sur des dizaines d'entretiens menés auprès de policiers, de fonctionnaires, de criminalistes, de fournisseurs de traitements de viol et de victimes de viol, le rapport documente les effets dévastateurs de cet arriéré pour les victimes d'abus sexuels.
« Les femmes qui ont été violées ont le droit d'attendre de la police qu'elle fasse tout ce qu'elle peut pour enquêter de manière approfondie sur leur dossier, mais à LA elles se sentent souvent trahies en apprenant que leurs kits de viol ne sont même pas analysés », a déclaré Sarah Tofte, chercheuse pour le programme Etats-Unis à Human Rights Watch et auteure du rapport. « Et dans certains cas, l'absence de vérification signifie qu'un violeur qui aurait pu être arrêté restera en liberté. »
Lorsque des femmes signalent avoir été violées, on leur demande de se soumettre à un examen long et complet afin de collecter de l'ADN et autres preuves médicolégales pouvant identifier leur agresseur, corroborer les témoignages sur l'agression, ou relier leur cas à d'autres preuves de scènes de crime de viol. Il en résulte un kit de viol qui est alors enregistré dans les preuves de police. Cependant, bien que les victimes de viol puissent croire que ce kit est automatiquement testé, cela n'est pas souvent le cas dans le comté de Los Angeles. Les fournisseurs de traitements de viol ont indiqué à Human Rights Watch que les victimes supposaient que le silence des policiers enquêtant sur leur affaire signifiait simplement qu'aucune preuve n'avait été trouvée, ou qu'il n'y avait pas de concordance d'ADN.
Mais Human Rights Watch a analysé les données du Département de la police de Los Angeles, du Département du Shérif de Los Angeles et de 47 département de police indépendants du comté de Los Angeles, et a constaté qu'au 1er mars 2009, il y avait au moins 12 669 kits de viol non testés entreposés. Dans ces affaires, les policiers n'ont jamais envoyés les kits pour qu'ils soient testés dans les services médicolégaux.
Sur ces 12 669 kits non testés, 1 218 au moins sont liés à des affaires dans lesquelles l'agresseur était inconnu de la victime. Et 499 kits sont liés à des affaires qui ont dépassé la limite réglementaire de 10 ans pour le viol en Californie, rendant impossibles les poursuites contre des agresseurs présumés même dans le cas où ils seraient identifiés. Selon la loi en Californie, si ces 499 kits avaient été ouverts dans les deux ans ayant suivi l'agression, la réglementation ne s'appliquerait plus. Des milliers d'autres kits de viol ont été détruits sans avoir été testés.
Le retard s'est accumulé alors même que les Départements de la police et du shérif recevaient des millions de dollars fédéraux de la Subvention Debbie Smith pour la réalisation de tests ADN (« Debbie Smith DNA Backlog Grant »), un programme créé par le Congrès américain pour traiter les arriérés de kits de viol, et dont l'effet est amoindri par le fait que les départements subventionnés peuvent utiliser l'argent pour tester n'importe quel arriéré d'ADN.
Le rapport de Human Rights Watch contient aussi des données inédites sur l'étendue de l'arriéré de kits de viol dans les 47 villes du comté de Los Angeles qui ont des départements de police indépendants. Par exemple, des renseignements obtenus par Human Rights Watch montrent que la ville de Long Beach a enregistré 1911 kits de viol à titre de preuves au cours des 15 dernières années. Parmi eux, 51 ont été envoyés au laboratoire criminel, environ 780 kits non testés ont été détruits, et 1072 sont actuellement stockés, non testés, dans les locaux de la police. (Un tableau des données des 47 villes figure au chapitre VI du rapport.)
Des arriérés de kits de viol existent dans les postes de police et les laboratoires criminels dans tous les Etats-Unis, mais c'est à Los Angeles que le problème serait le plus grave. L'accumulation de kits de viol dans le comté de Los Angeles est due à une combinaison de facteurs : le choix par la police des kits de viol qui seront testés, le manque d'engagement financier pour ces tests et le temps qu'il a fallu aux autorités pour reconnaître la nature et l'étendue du problème, a expliqué Human Rights Watch.
« Omettre de tester les kits de viol est un déni de justice pour les femmes qui ont été victimes de violences sexuelles », a affirmé Sarah Tofte. « Si les autorités avaient envoyé de l'argent fédéral pour tester davantage de kits, elles auraient peut-être empêché de nouveaux viols et permis d'engager des poursuites dans des affaires qui ne soient pas au-delà des limites de prescription. »
Le retard peut avoir des résultats tragiques. Dans une des affaires décrites dans le rapport, dans le temps qu'il a fallu à la police pour tester le kit de viol d'une femme, le coupable présumé avait agressé au moins deux autres victimes, dont une enfant.
Des représentants des forces de l'ordre ont dit à Human Rights Watch qu'ils retardaient parfois le moment de soumettre un kit à vérification parce qu'ils ne croyaient pas que le crime ait été commis. Les autorités ont également assuré tester chaque kit dans une affaire où l'agresseur était inconnu de la victime, mais le décompte ultérieur de l'arriéré a montré que ce n'était pas le cas. Tester les kits de viol peut faire plus qu'isoler l'ADN d'un agresseur inconnu : cela peut aussi relier entre elles les preuves de différentes scènes de crime et également disculper des suspects innocents.
« Les Départements de la police et du shérif ont décidé de tester tous les kits de viol actuellement en souffrance, ainsi que tous ceux qui seront collectés à l'avenir », s'est félicitée Sarah Tofte. « Maintenant les autorités doivent mettre cette politique en application dans le cadre d'une réforme plus large de la façon dont sont menées les enquêtes sur les viols. »
Les Etats-Unis ont des obligations spécifiques au regard du droit international des droits humains qui exigent que des mesures raisonnables soient prises pour obtenir des preuves médicolégales essentielles dans les cas de violences sexuelles. Afin de répondre à ces obligations et d'éliminer les arriérés, Human Rights Watch a appelé le Département de la police de Los Angeles et le Département du shérif de Los Angeles à :
- Faire appliquer la politique exigeant que chaque kit de viol enregistré soit envoyé au laboratoire criminel et analysé ;
- Identifier les ressources nécessaires au laboratoire criminel pour qu'il teste tous les kits de viol enregistrés - ceux qui sont actuellement en souffrance et ceux qui seront collectés à l'avenir -sans délai ;
- Identifier les ressources nécessaires au département de police pour qu'il enquête sur les pistes générées par la vérification de chaque kit de viol enregistré ;
- Donner la priorité au financement des ressources nécessaires à l'élimination de l'arriéré des kits de viol, tester dorénavant chaque kit de viol et enquêter sur les pistes générées par la vérification des kits de viol ;
- Mettre en place un système pour informer les victimes de violences sexuelles de la situation de leur kit de viol ; et
- Conserver chaque kit de viol enregistré jusqu'à ce qu'il soit testé.
Human Rights Watch a aussi appelé le maire de Los Angeles, le Conseil municipal de Los Angeles et le Conseil des surveillants du comté de Los Angeles à faire du financement de la vérification des kits de viol une priorité de leurs budgets 2009-2010.