(New York, le 6 décembre 2011) – Les autorités ougandaises devraient ouvrir une enquête efficace et transparente sur le meurtre d'un journaliste rwandais survenu le 30 novembre 2011, et identifier et traduire les responsables en justice, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Le gouvernement ougandais devrait également assurer la protection des journalistes rwandais et d'autres critiques du gouvernement rwandais qui vivent en Ouganda, a ajouté Human Rights Watch.
Charles Ingabire, rédacteur en chef de la publication en ligne Inyenyeri News et critique virulent du gouvernement rwandais, a été abattu de deux balles dans la poitrine alors qu'il sortait d'un bar dans le quartier de Bukesa-Kikoni Makerere à Kampala tard dans la nuit. Des amis ont indiqué à Human Rights Watch qu'il fréquentait régulièrement ce bar et s’y était rendu ce soir-là pour rencontrer des amis.
Un porte-parole de la police ougandaise a déclaré aux médias que la police avait ouvert une enquête sur la mort de Charles Ingabire et que deux personnes étaient retenues pour interrogatoire.
« La persécution des détracteurs du gouvernement peut dépasser les frontières du Rwanda », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « Nous craignons pour la sécurité des autres journalistes exilés et des opposants au gouvernement, dans le sillage du meurtre de Charles Ingabire. »
La police ougandaise devrait explorer toutes les pistes dans la recherche des meurtriers de Charles Ingabire et renforcer les mesures de protection pour les autres réfugiés rwandais, a insisté Human Rights Watch.
Charles Ingabire, âgé de 31 ans, était un rescapé du génocide de 1994 au Rwanda. Il avait travaillé comme journaliste au Rwanda, mais avait quitté le pays en 2007 et avait obtenu le statut de réfugié en Ouganda. Alors qu’il vivait en Ouganda, il a contribué au journal Umuvugizi, une des publications les plus virulentes du Rwanda.
Umuvugizi a été suspendu en 2010 par le Haut Conseil des Médias, une institution contrôlée par le gouvernement rwandais. Jean-Léonard Rugambage, un autre journaliste d’Umuvugizi, a été assassiné dans la capitale rwandaise, Kigali, en juin 2010. Son rédacteur en chef, Jean-Bosco Gasasira, a fui le Rwanda en 2010 après de nombreuses menaces contre sa sécurité.
Après la suspension d’Umuvugizi, Charles Ingabire est devenu le rédacteur en chef d'un journal en ligne, Inyenyeri News, qui a souvent publié des articles critiques à l’égard du président du Rwanda, Paul Kagame, ainsi que du gouvernement rwandais et de l'armée. En peu de temps, le site semble avoir été infiltré, et son contenu a soudainement changé, dépeignant le gouvernement de façon favorable. Les amis de Charles Ingabire ont déclaré qu'ils soupçonnaient des éléments proches du gouvernement de s’être emparés du journal en ligne. Charles Ingabire et ses collègues ont déplacé Inyenyeri News sur un nouveau site Internet et il a repris ses reportages critiques.
Des amis de Charles Ingabire ont affirmé à Human Rights Watch que celui-ci leur avait confié avoir été menacé à plusieurs reprises dans les mois qui ont précédé sa mort. Environ deux mois avant son meurtre, il a été attaqué et battu à Kampala, et son ordinateur volé. Les assaillants -- qu’il n’a pas reconnus -- lui ont dit qu'ils voulaient qu’il ferme son site Internet. Il a également reçu des menaces de mort anonymes par téléphone le sommant de cesser la rédaction d'articles critiques à l’égard du gouvernement.
Bien qu'il soit encore trop tôt pour tirer des conclusions quant au motif du meurtre de Charles Ingabire, sa mort s’inscrit dans un schéma de répression de journalistes indépendants, de membres de partis d'opposition et de militants de la société civile au Rwanda déjà bien documenté, a expliqué Human Rights Watch. Plusieurs journalistes, critiques et opposants du gouvernement au Rwanda, ont été arrêtés et détenus ou poursuivis en 2010 et 2011, et d'autres en dehors du pays ont été menacés à plusieurs reprises.
Les Rwandais vivant en Ouganda sont particulièrement exposés, étant donné la proximité géographique et les liens étroits entre les deux pays, selon Human Rights Watch. Les réfugiés rwandais à Kampala signalent fréquemment être menacés et suivis par des gens qu'ils pensent être des agents des services de renseignement rwandais.
Des attaques contre les opposants et les critiques ont également eu lieu dans des endroits plus éloignés. En juin 2010, le général Kayumba Nyamwasa, un ancien chef d'état-major de l'armée rwandaise, a échappé de justesse à un attentat en Afrique du Sud. Kayumba Nyamwasa était autrefois un proche allié du président Kagame, mais est désormais un opposant en exil très virulent à l’encontre du gouvernement. En mai, deux Rwandais vivant au Royaume-Uni ont été avertis par la police métropolitaine de Londres qu’il existait des menaces contre leur sécurité émanant du gouvernement rwandais.
« Le gouvernement rwandais affirme fréquemment son engagement envers la démocratie et la liberté d'expression », a conclu Daniel Bekele, « mais ces déclarations sont creuses si ceux qui critiquent le gouvernement sont menacés et attaqués. Le pouvoir judiciaire rwandais devrait coopérer pleinement avec ses homologues ougandais pour découvrir la vérité sur le meurtre de Charles Ingabire. »