(Bangui) – Des ex-combattants rebelles de la Séléka, théoriquement intégrés au sein de l’armée, ont pillé et incendié une petite ville de la République centrafricaine le 10 novembre 2013, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le gouvernement de transition, dirigé par le Président par intérim Michel Djotodia, devrait immédiatement suspendre le commandant militaire qui a organisé l’attaque et ouvrir une enquête à son encontre.
Le 10 novembre, Human Rights Watch a vu le Général Abdallah Hamat, commandant militaire d’une grande partie de la province d’Ombella-Mpoko, rassembler ses hommes dans la ville de Gaga en vue de prendre part à une attaque lancée contre un groupe armé local, connu sous le nom d’anti-balaka, à proximité de la ville de Camp Bangui. Quatre jours plus tard, Human Rights Watch est arrivé à Camp Bangui et a trouvé la ville totalement détruite. Des survivants présents dans la localité ont déclaré que les forces de la Séléka étaient responsables de cette dévastation. Hamat et un autre haut officier de l’armée ont reconnu que leurs forces s’étaient rendues à Camp Bangui et que des combats y avaient eu lieu, provoquant quelques dégâts.
« Le cas du Général Hamat est un test pour le Président Djotodia, qui a déclaré qu’il ne tolérerait pas de comportement anarchique de la part de forces se trouvant sous son commandement », a fait remarquer Daniel Bekele, directeur de la division Afrique de Human Rights Watch. « Si le gouvernement ne prend pas de mesures visant à enquêter et à poursuivre les responsables, ce type d’attaques ne cessera de se reproduire. »
Hamat et d’anciens combattants de la Séléka ont perpétré de graves exactions à Camp Bangui et devraient être traduits en justice, a souligné Human Rights Watch.
En raison de l’insécurité régnant dans la région, Human Rights Watch n’a pas été en mesure de confirmer le nombre de morts à Camp Bangui, ni les informations détaillées relatives aux combats. Cependant, des habitants ont signalé que trois cadavres trouvés après l’attaque étaient ceux de civils. Le nombre de morts est probablement plus élevé.
La Séléka, une coalition rebelle à prédominance musulmane dirigée par Djotodia, a renversé l’ex-Président François Bozizé le 24 mars dernier. Un rapport publié par Human Rights Watch en septembre décrit en détail les meurtres délibérés de civils – y compris de femmes, d’enfants et de personnes âgées – commis par la Séléka entre mars et juin, et confirme la destruction injustifiée de plus de 1 000 habitations, dans la capitale, Bangui, ainsi que dans les provinces.
Cherchant apparemment à prendre ses distances par rapport à ces exactions, le 13 septembre, Djotodia a officiellement dissout la Séléka, dont certains membres seraient originaires du Tchad et du Soudan. Les ex-rebelles de la Séléka sont en principe intégrés au sein d’une nouvelle « armée nationale », mais son commandement et son contrôle demeurent douteux. Le groupe, aujourd’hui qualifié d’ex-Séléka, continue de perpétrer des exactions en République centrafricaine.
Human Rights Watch s’est rendu dans la province d’Ombella-Mpoko le 10 novembre afin d’enquêter sur les meurtres de civils et les incendies de maisons qui s’étaient produits lors d’une bataille qui avait opposé des ex-Séléka aux forces anti-balaka en octobre à Gaga. Les anti-balaka – des groupes armés créés à l'époque de l'ex-Président Bozizé pour lutter contre le banditisme – sont à prédominance chrétienne et comprennent quelques soldats qui ont servi sous le régime Bozizé au sein des Forces armées centrafricaines (FACA). Au cours des dernières semaines, la violence et l’insécurité en République centrafricaine ont pris une dimension sectaire alarmante, les anti-balaka attaquant des civils musulmans en réaction aux exactions commises par les ex-Séléka.
Le 10 novembre, tôt le matin à Gaga, des ex-combattants de la Séléka qui quittaient la ville à moto ont informé Human Rights Watch qu’ils allaient « à Camp Bangui pour combattre les anti-balaka ». Plus tard dans la journée, le Général Hamat est arrivé à Gaga avec une douzaine d’hommes. L’un de ses officiers, le Colonel Ahmed Akhtahir, l’y a suivi, également accompagné d’une douzaine d’hommes.
À Gaga, Hamat a réquisitionné des motos appartenant à des transporteurs locaux. Il a ensuite demandé du carburant et des « dons » à la population musulmane locale, s’adressant en arabe à la foule réunie : « N’y a-t-il pas ici de musulmans loyaux qui donneront du carburant pour que nous puissions combattre l’ennemi ? » Après avoir collecté du carburant et de l’argent, Hamat et Akhtahir ont emmené leurs forces à moto sur une route située dans une zone reculée, envahie par une végétation dense et menant à Camp Bangui, à au moins 25 kilomètres de Gaga et accessible uniquement à moto.
Le lendemain, le 11 novembre, lorsque Human Rights Watch a cherché à confirmer à Gaga les informations selon lesquelles une attaque toute récente avait été menée à Camp Bangui, le Commandant Ibrahiem Yusef a cherché à dissuader Human Rights Watch de suivre « nos hommes qui sont allés à Camp Bangui hier » et de signaler l’incident.
Trois jours plus tard, Human Rights Watch s’est rendu à Camp Bangui et a découvert un corps sur la route à l’entrée de la ville, et senti l’odeur de corps en décomposition. Une fois à Camp Bangui, Human Rights Watch a trouvé une ville totalement dévastée. Les habitants avaient fui leurs maisons sans avoir eu le temps d’emporter des bagages. Des chaises étaient renversées, des marmites se trouvaient encore sur des feux qui s’étaient consumés. Le centre de la ville avait été complètement pillé, et la vaste majorité des habitations, abritant de 300 à 400 familles, avaient été incendiées.
La plus grande partie de la ville avait été abandonnée, mais quelques membres de la population locale étaient restés. Les témoignages des habitants faisaient systématiquement état d’une attaque menée par les forces de Hamat.
Un homme a expliqué à Human Rights Watch : « Les combattants de la Séléka sont arrivés dimanche matin. Nous avons entendu des coups de feu du côté du terrain de football. Ils ont tiré en entrant dans le village, et les civils se sont enfuis. » Un autre habitant a signalé : « Dès que nous avons entendu les coups de feu, nous sommes partis en courant dans la brousse. Nous n’avions pas le temps de préparer nos sacs. »
De nombreuses maisons ont été incendiées, et de la nourriture, des motos, des vêtements et des meubles détruits. Une femme a confié à Human Rights Watch : « Ils ont pris toutes les choses de valeur qu’ils pouvaient emporter et ils ont brûlé le reste. » Des douilles de fusils d’assaut et des fragments de grenade jonchaient le sol.
Un habitant de Camp Bangui a confirmé que certains hommes du village avaient riposté à l’attaque des hommes de Hamat à l’aide de fusils de chasse artisanaux. On ignore si ces hommes étaient des anti-balaka, mais le groupe armé local avait une forte présence dans un village voisin.
La population survivante de cette localité vit maintenant dans la brousse près de la ville, sans habitation, sans médicaments, ni même la possibilité de bénéficier d’une aide humanitaire. L’attaque menée contre la ville constitue une violation du droit international humanitaire, qui interdit les attaques contre des civils ainsi que la destruction et le pillage de biens civils. Ceux qui ont perpétré ou ordonné l’attaque sont responsables de crimes de guerre.
« Sans une enquête plus approfondie, le nombre de personnes qui ont péri à Camp Bangui ne sera jamais connu », a fait remarquer Daniel Bekele. « Les attaques telles que celle-ci contre des zones peuplées provoquent des destructions massives et suscitent la peur au sein de la population de la République centrafricaine. »
Le 15 novembre, Human Rights Watch a rencontré le Colonel Idriss Ahamat, l’officier chargé du commandement à Gaga sous les ordres du Général Hamat. Il a déclaré au chercheur qu’il y avait eu une bataille à Camp Bangui : « Certains anti-balaka se sont cachés dans les maisons et ces maisons ont dû être brûlées. » Interrogé sur le nombre de maisons qui avaient été incendiées, il a répondu : « Beaucoup… 200, peut-être 300. » Il a expliqué par la suite que le feu avait été mis aux maisons par inadvertance par des balles qui avaient touché les toits végétaux. Interpellé par Human Rights Watch sur la possibilité que 200 maisons aient pu prendre feu à cause des balles, il a répondu : « Il n’y a peut-être eu que 20 ou 30 maisons incendiées… parfois quand un incendie se déclare, il peut se propager d’une maison à l’autre lorsqu’elles sont très rapprochées. »
Human Rights Watch a rencontré le Général Hamat le 15 novembre à Bangui. Le général a déclaré qu’il se trouvait à Camp Bangui le 10 novembre, mais il a minimisé les dégâts occasionnés : « En arrivant à Camp Bangui, il y a eu un combat et quelques maisons ont été endommagées. Il n’y en a pas eu beaucoup, peut-être quatre maisons incendiées. J’étais là après l’attaque contre Camp Bangui. Je l’ai vu de mes propres yeux. »
Hamat a démenti les accusations selon lesquelles ses troupes s’étaient livrées à des attaques contre des civils ou leurs biens, signalant à Human Rights Watch : « Mes éléments n’ont pas le droit de causer des troubles. S’ils le font, je les sanctionnerai… Je veux la paix. Je veux que les gens rentrent chez eux. »
Dans les rangs des forces de Hamat, Human Rights Watch a observé un grand nombre de soldats qui semblaient être des enfants. Interrogé à propos de l’âge d’un soldat apparemment très jeune qui portait un fusil d’assaut Kalachnikov, le Commandant Yusef a confirmé qu’il avait 8 ans et était « bon tireur ». Lorsqu’il s’est vu demander pourquoi il utilisait des enfants aussi jeunes dans les combats, Yusef a répondu : « Les adultes s’inquiètent et parfois, vous devez leur donner des drogues, mais les enfants attaquent tout simplement sans battre en retraite. »
Human Rights Watch s’est également entretenu avec Djotodia en novembre et lui a demandé quels efforts il avait déployés pour mettre un terme aux exactions commises par son armée et par les ex-combattants de la Séléka. Il a répondu : « Je ne peux pas nier que certains de ces faits se soient produits, mais les responsables seront punis. »
« Il faut que le gouvernement de transition assure le contrôle de ses forces immédiatement et traduise en justice ceux qui ont supervisé ces effroyables exactions », a souligné Daniel Bekele. « Avec ces preuves, Djotodia ne peut prétendre qu’il n’était pas au courant de cette attaque. Il devrait suspendre Hamat avant que le général ne sème davantage le chaos au sein de la population, et il devrait ouvrir une enquête et engager des poursuites à l’encontre de tous les responsables de l’attaque menée à Camp Bangui. »