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République centrafricaine : Des soldats chargés du maintien de la paix accusés d'exactions

Au moins 11 personnes sont portées disparues après avoir été arrêtées par des militaires congolais

(Johannesburg) – Des troupes de maintien de la paix de l'Union africaine appartenant à un contingent fourni par la République du Congo (Congo-Brazzaville) ont été mises en cause dans les disparitions forcées, le 24 mars 2014, d'au moins 11 personnes en République centrafricaine, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

Une vingtaine de militaires de la force de maintien de la paix de l'Union africaine, la MISCA, ont appréhendé ce groupe de 11 personnes, parmi lesquelles figuraient quatre femmes, au domicile d'un chef de milice local à Boali, ville située à 80 kilomètres au nord de la capitale, Bangui, selon les récits de témoins recueillis par Human Rights Watch.

Les militaires chargés du maintien de la paix ont arrêté ces hommes et ces femmes après que des membres de la milice connue sous le nom d'anti-balaka, composée de combattants rebelles majoritairement chrétiens et animistes, eurent tué un soldat de la paix congolais et blessé quatre autres, le 24 mars. Depuis lors, on est sans nouvelles des personnes arrêtées, bien que leurs familles aient cherché à se renseigner sur leur sort à la base de la MISCA et dans les postes de police de la région.

« L'Union africaine doit divulguer ce qu'il est advenu de ce groupe de personnes qui ont été arrêtées et emmenées par des militaires congolais chargés du maintien de la paix », a déclaré Peter Bouckaert, directeur de la division Urgences à Human Rights Watch. « Les soldats de la paix sont là pour protéger la population civile, pas pour lui faire subir de nouvelles exactions. »

Human Rights Watch a appelé à l'ouverture d'une enquête internationale indépendante et impartiale sur cet incident, et à ce que les troupes impliquées soient immédiatement suspendues de leurs fonctions de maintien de la paix.

Human Rights Watch a mené de son côté une enquête approfondie sur cet incident et s'est entretenu avec cinq témoins. De nombreux autres habitants de la région, y compris des responsables et des militants locaux, ont indiqué à Human Rights Watch qu'ils craignaient de mener leur propre enquête ou même de discuter de l'incident, compte tenu de la réputation des troupes congolaises de la MISCA de recourir à l'intimidation et à la violence. Confirmant cette atmosphère d'hostilité alors que Human Rights Watch enquêtait le 25 mai sur l'incident du mois de mars, des militaires congolais de la MISCA ont violemment passé à tabac un agent de police local à un point de contrôle routier à la suite d'une querelle, et l'ont blessé en lui brisant une bouteille de bière sur la tête.

Contactée par Human Rights Watch, la hiérarchie de la MISCA a annoncé qu'une enquête sur l'incident avait été ordonnée et qu'elle serait menée par la section de la MISCA chargée des droits humains. Human Rights Watch coopère pleinement avec les enquêteurs.

Les anti-balaka sont des combattants, chrétiens et animistes pour la plupart, qui se sont engagés dans la lutte contre les forces de la coalition Séléka à dominante musulmane, qui a renversé le précédent gouvernement en mars 2013 à l'issue d'une campagne militaire. Les deux groupes ont commis des violations des droits humains à grande échelle contre les populations locales au cours de l'année écoulée. Des forces de maintien de la paix de l'Union africaine et françaises ont été déployées dans le pays pour aider à stabiliser une situation très volatile et protéger les civils.

Ce n'est pas la première fois que Human Rights Watch enquête sur des abus commis par les forces congolaises. L'organisation a recueilli des preuves qu'en décembre 2013, des troupes congolaises stationnées dans la ville de Bossangoa ont torturé à mort deux dirigeants du mouvement anti-balaka à la suite du lynchage d'un soldat congolais de la MISCA commis le même jour.

Une disparition forcée se produit lorsqu'une personne est privée de sa liberté par des agents de l'État, qui refusent ensuite de reconnaitre cette privation de liberté ou maintiennent le secret sur le sort de la personne disparue ou le lieu où elle se trouve. Aux termes du droit international coutumier, les disparitions forcées sont totalement interdites et leurs auteurs sont passibles de poursuites pour crime devant la Cour pénale internationale (CPI). Bien qu'étant par essence un crime discret, l'acte de faire disparaître une personne par la force constitue également une violation de nombreux droits humains, y compris les droits à la protection contre la torture et contre l'arrestation et la détention arbitraires.

« Les disparitions forcées, les actes de torture et les assassinats extrajudiciaires de civils constituent de graves crimes contre les droits humains et bafouent de manière flagrante le mandat de la MISCA », a affirmé Peter Bouckaert. « L'Union africaine doit immédiatement enquêter sur ces crimes et punir leurs auteurs. L'enjeu est rien de moins que la réputation et la légitimité de la force de maintien de la paix dans un pays qui a désespérément besoin de protection. »

Disparitions forcées à Boali
Les cinq témoins interrogés par Human Rights Watch ont déclaré que les tensions ont éclaté à Boali le 24 mars 2014. Un chef anti-balaka local, le « général » auto-proclamé Maurice Mokono, qui avait beaucoup bu, a tiré en l'air deux cartouches d'un fusil mitrailleur AK-47 rouillé qu'il avait récemment réparé.

Les militaires de la MISCA ont rapidement réagi et enquêté sur ces coups de feu. Quand il est apparu clairement que la provenance des tirs était la maison du chef anti-balaka, les soldats ont tenté de confisquer l'arme. Le général Mokono a refusé de la leur remettre et une violente querelle s'en est suivie, partiellement alimentée par l'état d'ébriété du général et sa capacité limitée à communiquer en français, selon les témoins.

Alors que la querelle s'envenimait, le chef anti-balaka a suivi les troupes de la MISCA jusqu'à leur base, où il a continué à se disputer avec le commandant du contingent congolais de la MISCA, que les témoins ont identifié sous le nom de capitaine Abena. Le général Mokono a alors ordonné aux combattants anti-balaka de prendre leurs armes, d'édifier des barricades et de « partir en guerre » contre les soldats de la MISCA.
 

Un prêtre catholique local respecté, le père Xavier-Arnaud Fagba, qui a abrité 700 musulmans dans son église de janvier à mars pour les protéger des attaques des anti-balaka, a déclaré que le capitaine Abena et le général Mokono lui avaient alors demandé d’intervenir en tant que médiateur. Le prêtre a immédiatement remarqué que le général Mokono était très ivre, et lui a conseillé de se calmer. Le général a semblé comprendre et est rentré chez lui vers 17h00, selon des témoins.

« Nous avons rencontré le prêtre et le capitaine, nous avons arrangé les choses et nous nous sommes réconciliés », a déclaré un membre de la famille du général anti-balaka. « Le général est alors rentré chez lui et est allé se coucher – il avait beaucoup bu ce jour-là. Il s'est couché et c'est à ce moment-là que j'ai quitté son domicile. »

Peu après que le général soit rentré chez lui, un groupe de combattants anti-balaka a lancé une grenade sur un véhicule des troupes congolaises de la MISCA dans le quartier du marché central de Boali, et a ouvert le feu sur eux avec des armes automatiques. Un soldat de la MISCA a été tué dans cette attaque et au moins quatre autres ont été blessés. Un témoin a affirmé que les combattants anti-balaka ont également volé deux fusils mitrailleurs aux troupes de la MISCA.

L'un des militaires blessés a montré à Human Rights Watch les traces d'une blessure par balle reçue dans le haut de la cuisse, et a indiqué qu'il avait passé plusieurs semaines à l'hôpital. À la suite de cette embuscade mortelle, un groupe d'environ 20 militaires congolais de la MISCA a encerclé le domicile du général anti-balaka. Un témoin a déclaré à Human Rights Watch:

Ils sont venus au domicile du général et ont emmené toutes les personnes qui se trouvaient à l'intérieur. Un garçon qui les a vus arriver a tenté d'avertir le général mais les soldats de la MISCA lui ont ordonné de s'arrêter et de s'asseoir, et alors qu'il refusait d'obéir à leur ordre, ils l'ont abattu. Il n'était pas de Boali; il venait [d'un village proche].

J'étais tout près. Je les ai vus emmener 11 ou 12 personnes de la maison, mais j'ai appris plus tard qu'ils avaient aussi capturé d'autres personnes sur la route.

Ils ont trouvé Téké, l'aide de camp du général, devant la maison et ont commencé à le frapper. Le général est alors sorti et ils l'ont emmené, puis ils sont entrés dans la maison et sont ressortis avec les femmes, le frère aîné du général et d'autres personnes qui résidaient dans la maison.

Ce témoin, une amie du général, a déclaré qu'elle avait reconnu 10 des personnes appréhendées dans la maison: le général Maurice Mokono; son frère Zaboro, âgé de 60 ans; l'aide de camp de Mokono, Téké, 29 ans; le jeune frère de Mokono, Gbagéné, 32 ans; un combattant anti-balaka nommé Grâce à Dieu, 19 ans; le garde du corps du général, nommé Risquer, âgé de 30 à 40 ans; Laurie, 22 ans, la femme du général qui était enceinte; Ingrid, une survivante musulmane d'un massacre anti-balaka âgée de 18 ans que le général avait obligée à épouser son fils; Jalina, 24 ans, la femme d'un commandant anti-balaka tué dans des combats à Bangui; et la femme âgée de 25 ans de Téké, dont le témoin ne connait pas le nom. D'autres témoins ont affirmé qu'un combattant anti-balaka nommé Bruno a également été appréhendé dans la maison du général.

Trois témoins différents ont affirmé que les militaires de la MISCA ont arrêté au moins sept autres personnes le long de la rue principale, probablement parce qu'elles portaient des gris-gris traditionnels associés aux milices anti-balaka. Leurs noms ne sont pas connus car ils ne sont pas de Boali.

Depuis le 24 mars, on est sans nouvelles des personnes appréhendées. Les membres de leurs familles se sont rendus à la principale base de la MISCA à Bangui, le Camp M’poko, et dans tous les postes de police de Bangui, mais n'ont trouvé aucune trace de leurs proches, dont ils craignent qu'ils aient été exécutés par les militaires de la MISCA, à moins qu'ils ne soient détenus dans un lieu secret.

Lors d'une rencontre avec Human Rights Watch le 26 mai, le captaine Abena, commandant des troupes congolaises à Boali, et son supérieur, qui selon les témoins s'appelle le colonel Léo, ont refusé de répondre aux questions sur le sort des personnes arrêtées et sur le lieu où elles se trouvent. Ils se sont contentés de reconnaître que l'incident faisait l'objet d'une enquête, avant de mettre fin brusquement à la réunion.

Meurtres commis à Bossangoa le 22 décembre 2013
L'incident du 24 mars 2014 est le second incident sur lequel Human Rights Watch a enquêté et ayant suscité de graves allégations contre les troupes de maintien de la paix en provenance de la République du Congo. Lors d'un précédent incident dans la ville de Bossangoa, dans le nord de la République centrafricaine, le 22 décembre 2013, des troupes congolaises sont réputées avoir torturé à mort deux chefs anti-balaka à la suite du lynchage brutal d'un militaire congolais de la MISCA, commis le même jour.

Quatre témoins ont déclaré que le commandant des troupes de la MISCA à Bossangoa à l'époque, le capitaine Mokongo, a ordonné un raid le 22 décembre contre un lieu connu pour être une base anti-balaka dans la ville. Trois dirigeants anti-balaka ont été capturés et leurs armes confisquées. À la suite du raid, des habitants de Bossangoa ont protesté, demandant la libération des responsables anti-balaka.

Par mesure de précaution, le capitaine Mokongo et son collègue, le capitaine Wilson Aboni, ont ordonné aux troupes de la MISCA de retourner à leur base. Les troupes avaient été stationnées à l'église catholique, où quelque 40 000 personnes, des chrétiens pour la plupart, s'étaient installées dans un camp improvisé pour personnes déplacées. Un officier de la MISCA, le sergent Juif Ngali, qui était attablé à un bar de fortune installé dans le camp, s'est trouvé isolé de ses camarades qui se repliaient. Il a tenté de les rejoindre mais a été rapidement encerclé par une foule hostile. Ngali a alors tiré un coup de fusil en l'air puis un autre en direction d'un jeune, qu'il a tué. La foule lui a alors arraché le fusil, l'a abattu et a mutilé son corps à coups de machette.

Quand le cadavre mutilé a été récupéré et transporté à la base, les soldats ont voulu se venger en s’en prenant aux trois dirigeants anti-balaka capturés qui se trouvaient déjà dans le camp. À l'époque, de nombreux employés locaux de l'ONU résidaient à la base de la MISCA pour leur sécurité, suite à de violents affrontements survenus dans la ville entre des combattants de la Séléka et des anti-balaka. Des témoins ont indiqué à Human Rights Watch que les militaires de la MISCA ont ordonné à tous les employés du secteur humanitaire de leur remettre leurs téléphones portables et ont enfermé tout le personnel dans une pièce. Les soldats de la MISCA ont ensuite ordonné aux agents de la police locale de leur remettre leurs armes et leurs téléphones et d'ôter leurs uniformes, et les ont rassemblés dans une autre pièce.

Pendant la soirée, un groupe de soldats de la paix français de la mission Sangaris est arrivé et a obtenu la remise en liberté d'un des trois dirigeants anti-balaka dont ils savaient qu'il était détenu par les troupes de la MISCA. Puis ils sont partis, ignorant que deux autres dirigeants anti-balaka se trouvaient dans le camp de la MISCA. Selon des témoins, ces deux hommes étaient ligotés selon la très douloureuse technique « arbatasher », bras et jambes étroitement attachés dans le dos.

Les travailleurs humanitaires et les gendarmes ont alors entendu les militaires de la MISCA torturer les deux dirigeants anti-balaka pendant toute la nuit. Les soldats versaient du plastique fondu et brûlant sur les deux détenus, qui hurlaient de douleur et les suppliaient d'arrêter, selon des témoins. Après des heures de torture, les deux hommes ont succombé à leurs blessures. Leurs cadavres brûlés et mutilés ont été retrouvés le lendemain et vus par de nombreux témoins, y compris des responsables de l'église catholique et des humanitaires, qui ont confirmé que les deux hommes avaient subi des brûlures très importantes.

Human Rights Watch a rencontré le capitaine Mokongo le 14 mars 2014. Il a affirmé que les deux combattants anti-balaka avaient été blessés en tentant d'attaquer l'hôpital local. Il a ajouté que les troupes de la MISCA avaient repoussé les anti-balaka et les avaient emmenés à l'hôpital, où ils avaient succombé à leurs blessures. « La MISCA ne peut pas détenir de prisonniers et ils étaient blessés », a-t-il dit. « Nous avons vu dans quel état ils étaient, et notre médecin les a emmenés lui-même à l'hôpital. C'est là qu'ils sont morts. »

Le capitaine Mokongo a nié les allégations selon lesquelles ses hommes avaient torturé à mort les deux combattants anti-balaka. De nombreux anti-balaka et leurs partisans ont perdu confiance envers les forces de la MISCA, qu'ils croient soutenues par les musulmans du pays, a-t-il dit, affirmant que ceci était à l'origine des rumeurs de torture. 

 

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