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En Tunisie, un paysage médiatique délité à l’approche de l’élection présidentielle

La répression étouffe les voix divergentes et le débat politique

Des journalistes tunisiens brandissaient leurs cartes de presse lors d’une manifestation tenue pour protester contre l'arrestation de Noureddine Boutar, directeur de Mosaïque FM, à Tunis, le 16 février 2023.  © 2023 AP Photo/Hassene Dridi

Lorsque le journaliste chevronné Elyes Gharbi a annoncé, le 28 juin, qu’il quittait le « Midi Show », après neuf années passées dans cette émission de la première station de radio tunisienne, Mosaïque FM, il n’en a pas expliqué les raisons. Toutefois, sa décision intervenait quelques mois seulement après avoir reconnu que le journalisme dans le pays faisait face à « des menaces incroyables » et un an après avoir été visé par une enquête de police suite à des propos qu’il avait tenus lors de l’émission.

Alors que la Tunisie se prépare à sa première élection présidentielle depuis la confiscation du pouvoir par le président Kais Saied, les autorités étouffent les voix dissidentes, surtout dans les médias. Human Rights Watch a pu constater qu’au moins cinq professionnels des médias étaient actuellement derrière les barreaux en raison de leur travail ou de leurs opinions. D’après le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), au moins 39 journalistes ont été poursuivis en lien avec leur travail depuis mai 2023, notamment en vertu du décret-loi répressif 2022-54 sur la cybercriminalité et de la loi antiterroriste de 2015.

En mai et juillet 2024, deux journalistes connus, Borhen Bsaies et Mourad Zeghidi,, ainsi que l’avocate et commentatrice Sonia Dahmani, ont été condamnés à un an de prison en vertu de la loi sur la cybercriminalité. Fin juillet, la Cour d’appel de Tunis a réduit les peines de Bsaies et Zeghidi à huit mois de prison. L’an dernier, Noureddine Boutar, le directeur de Mosaïque FM, a été placé en détention pendant trois mois et accusé de « blanchiment d’argent », « complot » et « terrorisme », notamment pour incitation présumée contre le président Saied. La police a aussi récemment interrogé des représentants d’autres chaînes ou radios privées ainsi que du média indépendant Nawaat.

Cette répression est progressivement en train d’éradiquer toute critique et diversité d’opinions du paysage médiatique tunisien. Le débat politique a presque disparu des ondes. La radio privée IFM et la chaîne télévisée Carthage+ ont suspendu leurs émissions les plus populaires, où intervenaient Dahmani, Bsaies et Zeghidi, désormais en prison, ainsi que « 90 minutes » d’IFM, dont l’animatrice, Khouloud Mabrouk, avait été interrogée en avril par la police sur ses activités de journaliste. Mabrouk a déclaré que la fin prématurée de l’émission était due en partie à des « pressions ».

Les journalistes des médias publics se battent contre la censure et pour préserver leur mission de service public depuis que le président Saied a commencé à purger leurs dirigeants en 2021. Son gouvernement a nommé de nouveaux cadres – notamment à la tête de Tunis Afrique Presse (TAP), l’agence de presse nationale tunisienne – qui ont parfois ressuscité de vieilles habitudes autoritaires. Par exemple, d’après le SNJT, le PDG de la TAP, Najeh Missaoui, a ordonné qu’une dépêche, largement reprise, sur un nouveau candidat à la présidentielle soit supprimée.

Le président Saied doit beaucoup à la presse libre de Tunisie : il a lui-même a été élu après avoir participé aux tout premiers débats télévisés présidentiels en 2019. À l’approche de l’élection du 6 octobre, il est désormais de sa responsabilité de garantir les libertés des médias et la libre diffusion de l’information. 

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