(New York) - La condamnation aujourd'hui du défenseur des droits humains Chekib el-Khayari à trois ans de prison est un parfait exemple des progrès médiocres et irréguliers du Maroc dans le domaine des droits humains, a déclaré Human Rights Watch. M. el-Khayari, qui avait déclaré soupçonner hauts responsables de complicité de trafic de drogue, a été condamné pour « outrage aux institutions de l'État » et pour des violations mineures de la réglementation entourant les comptes ouverts auprès d'une banque étrangère et les devises étrangères.
M. el-Khayari est le président de l'Association des droits de l'homme du Rif , organisation indépendante dont le siège se situe à Nador, sur la côte méditerranéenne. Avant son arrestation du 17 février 2009, M. el-Khayari a fait de nombreuses déclarations sur le trafic de drogue existant entre le nord du Maroc et l'Europe dans les médias internationaux et à l'occasion de conférences en Europe, accusant des hauts responsables d'être complices de ce trafic ou de se montrer laxiste dans le combat contre ce fléau. M. el-Khayari lutte également en faveur des droits des Amazighs (Berbères) et a exprimé son opposition aux mauvais traitements infligés aux immigrés et aux abus perpétrés par les forces de sécurité marocaines et espagnoles sur la frontière avec l'enclave espagnole de Melilla. L'ensemble de ces questions font de la région du Rif un sujet sensible au Maroc.
« Le Maroc s'ouvre sous certains aspects, mais la manière dont on a traité Chekib el-Khayari démontre que lorsque quelqu'un s'exprime d'une manière qui dérange les hauts responsables, ces derniers lui tombent dessus », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-orient et Afrique du nord à Human Rights Watch.
Le juge Jamel Serhane, du tribunal de première instance de Casablanca, a condamné M. el-Khayari pour « outrage aux institutions de l'État » suite à ses critiques vis-à-vis des agissements de l'État concernant le contrôle du commerce de la drogue. Le juge l'a également accusé de n'avoir pas respecté les réglementations entourant l'ouverture d'un compte bancaire à l'étranger et l'importation de devise étrangère sur le territoire du Maroc. L'un des faits reprochés à M. el-Khayari est d'avoir ouvert un compte bancaire à Melilla pour y déposer la somme de 225 €, paiement reçu du quotidien espagnol El País pour un article écrit en 2006.
Les allégations de non-respect de la réglementation financière par M. el-Khayari portent sur des petites sommes d'argent et n'ont été ajoutées au procès-verbal qu'à la fin de la phase d'investigation de son dossier. Tout ceci alimente les soupçons selon lesquels ces accusations, qu'elles soient justifiées ou non, ont été motivées par la volonté des autorités de discréditer M. el-Khayari et de l'incarcérer pour une période plus longue que celle prévue par la peine infligée pour « outrage aux institutions de l'État ».
Ce délit, tel qu'il est défini dans les articles 263 et 265 du code pénal, peut être puni par une peine allant d'un mois à un an de prison et par une amende de 1 200 à 5 000 dirhams (de 106 € à 450 €).
Au cours de son procès, M. el-Khayari a nié, sans succès, s'être attaqué aux « institutions de l'État » en tant que telles. Il a déclaré avoir critiqué certains fonctionnaires d'État en particulier. Comme cela a été largement repris par les médias, un certain nombre de hauts responsables sont actuellement jugés pour des accusations de complicité de trafic de drogue dans le Rif.
Outre les faits qui sont reprochés à M. el-Khayari, une loi qui déclare « l'outrage aux institutions publiques » illégal et qui le punit d'une peine de prison est en désaccord avec la loi internationale sur le droit à la liberté d'expression, qui souligne tout particulièrement le besoin de protéger la liberté de critiquer les hommes politiques et les autorités gouvernementales.
En plus de cette condamnation de trois ans, le juge Serhane a demandé le paiement d'une amende d'environ 753 000 dirhams (soit environ 66 700 €). M. el-Khayari, âgé de 30 ans, est détenu à la prison d'Oukacha, à Casablanca. Depuis son arrestation, le tribunal a refusé de le libérer provisoirement, en attendant le procès. Ses avocats ont fait part de leur intention de faire appel du verdict du 24 juin.
« Le verdict sévère d'aujourd'hui à l'encontre de M. el-Khayari viole le droit élémentaire de la liberté d'expression et a pour seul but de faire taire une figure majeure de la défense des droits humains de la région du Rif et d'intimider les autres », a déclaré Mme Whitson.