(New York, le 22 septembre 2010) - L'engagement pris par la fondation Guggenheim de protéger les droits des travailleurs qui construisent son nouveau musée situé aux Émirats arabes unis (EAU) est une avancée positive, mais il omet d'aborder des domaines clés, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.
En particulier, les dispositions annoncées le 22 septembre 2010 ne comportent pas l'obligation pour les entreprises de rembourser aux travailleurs les frais exorbitants de recrutement qui les contraignent de fait à rester dans leur emploi jusqu'au paiement de ces frais. L'engagement ne comporte pas non plus de dispositions relatives à un contrôle indépendant effectué par une tierce partie, ni de clauses abordant les droits des travailleurs à la négociation collective et à un salaire minimum équitable.
« L'annonce officielle faite par la fondation Guggenheim met clairement en évidence le rôle du secteur privé dans la protection des droits des travailleurs », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice pour le Moyen-Orient à Human Rights Watch. « Toutefois cet accord est incomplet et omet de mentionner un système de contrôle et de pénalités qui puissent transformer les promesses en véritable protection. »
Une déclaration rendue publique par la fondation Guggenheim et son entreprise publique partenaire, la Société d'investissement et de développement touristique (Tourism Development & Investment Company , TDIC), a indiqué que toutes les entreprises engagées dans la construction et le fonctionnement de la succursale du musée à Abou Dhabi auront l'obligation de garantir aux travailleurs le paiement informatisé des salaires, des dispositions relatives aux heures supplémentaires, des congés annuels, un jour de repos hebdomadaire et une assurance maladie. Les entreprises devront aussi fournir aux travailleurs des contrats rédigés dans les langues locales avant leur entrée aux EAU, un accès à un organisme de réclamations à la TDIC, et un service de navettes jusqu'aux autobus publics reliant l'île de Saadiyat, où le musée est en cours de construction, à la ville d'Abou Dhabi.
Dans un rapport de 2009, Human Rights Watch a décrit en détails un cycle d'abus sur l'île de Saadiyat qui laisse les travailleurs migrants lourdement endettés, dans l'impossibilité de défendre leurs droits ou même d'abandonner leurs emplois. Chacun des 94 travailleurs interrogés pour le rapport a indiqué avoir payé des frais de recrutement allant de 1 800 USD à 4 100 USD avant d'être embauché, ce qui souligne l'acceptation presqu'universelle de cette pratique aux EAU. Le salaire moyen annuel, y compris le paiement d'heures supplémentaires, pour les ouvriers du bâtiment dans l'île s'élève à environ 2 575 USD.
Contrairement à New York University (NYU), qui a annoncé des garanties contractuelles similaires au début de cette année, le Guggenheim n'a pas inclus de clauses explicites exigeant des entreprises qu'elles remboursent les travailleurs pour tous les frais de recrutement ou autres frais liés à l'embauche qu'ils ont pu payer, même si le Guggenheim a clairement réaffirmé que la responsabilité de tels frais incombait à l'employeur. L'endettement dû aux frais de recrutement demeure le principal facteur créant les conditions du travail forcé, du fait que les travailleurs sont contraints d'utiliser leurs salaires pour rembourser les frais et de rester dans leur emploi malgré des conditions comportant des abus.
Human Rights Watch est également préoccupé par l'absence de dispositions claires prévoyant un contrôle indépendant effectué par une tierce partie sur le respect des engagements pris par les employeurs, ainsi qu'en matière de mise en application de ces engagements. Dans l'éventualité d'une infraction commise par une entreprise employant des travailleurs pour le projet du Guggenheim, et avec laquelle il n'aura aucune relation contractuelle, les recours juridiques du Guggenheim ne sont pas clairs. Il en va de même si la TDIC ne tient pas ses engagements. Il n'est pas non plus précisé quelles pénalités, s'il en existe, seront appliquées aux entrepreneurs qui violent les termes des contrats. On relève entre autres lacunes l'absence de protections pour les droits des travailleurs à négocier collectivement, à désigner leurs représentants et à faire grève, ainsi que le manque de tout salaire minimum garanti.
« Quelles que soient les bonnes intentions des parties, il est nécessaire de mettre en place un mécanisme pour contrôler de façon indépendante les conditions de travail sur l'île, et aussi de prévoir des dispositions claires d'application pour veiller à ce que les engagements soient respectés », a insisté Sarah Leah Whitson.
Contexte
Abou Dhabi, capitale des EAU, prévoit de faire de l'île de Saadiyat une destination touristique internationale, pour un montant de 27 milliards de dollars américains. L'île, peu élevée au-dessus du niveau de la mer, comptera quatre musées et un centre des arts du spectacle conçu par des cabinets d'architecture de renommée mondiale, ainsi que le campus de la NYU, des terrains de golf, des hôtels et des résidences de luxe. Parmi les autres institutions internationales projetant d'ouvrir des succursales sur l'île figure l'Agence France-Muséums (chargée du Louvre Abou Dhabi).
Le rapport de Human Rights Watch de mai 2009, « ‘The Island of Happiness': Exploitation of Migrant Workers on Saadiyat Island, Abu Dhabi », (« ‘L'Ile du bonheur' : Exploitation des travailleurs migrants sur l'île de Saadiyat, Abou Dhabi ») a décrit en détails l'exploitation et les graves abus auxquels sont exposés les travailleurs migrants sud-asiatiques qui construisent les infrastructures des centres culturels sur Saadiyat Island (« l'Ile du bonheur »). Dans son rapport, Human Rights Watch a appelé le Guggenheim et d'autres institutions internationales à exiger des engagements contractuels concrets de la part de toutes les sociétés engagées dans la construction du campus.
Le rapport de Human Rights Watch s'appuyait sur des entretiens menés auprès de travailleurs migrants et sur des rencontres avec des représentants des gouvernements français et des EAU, ainsi qu'avec des membres d'entreprises et d'institutions internationales ayant des projets sur l'île. Le rapport a conclu que le gouvernement des EAU et les autorités chargées du développement de Saadiyat Island ne se sont pas attaqués aux causes profondes des abus commis contre les travailleurs : des frais de recrutement illégaux, de fausses promesses de salaires, et un système de parrainage qui donne pratiquement à l'employeur les pleins pouvoirs sur ses travailleurs.