(Moscou, le 7 septembre 2012) – Les autorités russes doivent abandonner les procédures administratives à l’encontre des villageois qui s'opposent à la construction d'une centrale électrique de grande taille dans le district de Hosta de Sotchi, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les habitants craignent que les nuisances sonores et les émissions d'une usine construite si près d'un quartier résidentiel puissent avoir des effets négatifs sur leur santé et leurs moyens de subsistance. L'usine devrait être la plus importante station alimentée au gaz naturel au monde, et sa construction s'inscrit dans le cadre des préparatifs par le gouvernement des Jeux Olympiques d'hiver de 2014.
En août, trois résidents qui protestaient contre la construction ont été arrêtés et deux ont depuis été accusés d'infractions administratives. Les trois individus ont été libérés, mais alors que la confrontation entre les résidents locaux, les travailleurs de la construction et la police continue d'augmenter, Human Rights Watch a appelé les autorités locales à examiner la façon dont les travaux de construction préparatoires ont pu avancer avant même que toutes les conditions légales pour l'évaluation environnementale et la consultation publique aient été respectées. Human Rights Watch a également appelé les autorités à respecter la liberté de réunion et d'expression.
« Les habitants prennent la parole, car ils craignent que la présence d'une usine de grande taille tout près de chez eux nuise à leur santé et leurs moyens de subsistance », a déclaré Jane Buchanan, chercheuse senior de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « Au lieu de pénaliser les résidents qui expriment pacifiquement des préoccupations légitimes, les autorités locales devraient prendre des mesures pour aborder les graves questions relatives à la légalité de la construction. »
Human Rights Watch a déclaré que les autorités devraient également s'assurer que la construction de l'usine soit effectuée en conformité avec la loi et que les intérêts des villageois, en particulier leurs préoccupations au sujet de nuisances à leurs domiciles, leur santé et leur vie de famille, soient correctement abordées.
En avril 2011, les autorités locales ont reçu une proposition de construction d'une centrale thermique à Kudepsta, un centre de villégiature de 20 000 habitants dans la banlieue de la ville de Sotchi. Le site est adjacent à une zone résidentielle importante, située à un kilomètre de la mer et à 500 mètres d’une station pour les enfants.
Les experts et les groupes environnementaux ont critiqué le projet, mettant en garde contre les menaces sanitaires qui pourraient résulter de niveaux élevés de gaz polluants et de bruit. Les résidents de Kudepsta craignent également les impacts sur la santé ou autres en raison du bruit et des émissions polluantes et s'opposent au choix d'un site si proche d'un quartier résidentiel. Depuis que le projet a été annoncé l'an dernier, les villageois de Kudepsta ont organisé de nombreuses manifestations s’opposant à la construction.
Vague de protestations
Une vague de protestations a éclaté au printemps 2012, une fois que les travaux préparatoires, notamment la construction d'une clôture et d'un pont d'accès ainsi que l'abattage d’arbres, ont commencé sur le site. Un groupe d'activistes du conseil communautaire de Kudepsta (en russe, territorial'noe obshchestvenoe samoupravlenie, ou TOS) a établi un camp d'observation et, à plusieurs reprises, bloqué la route menant au site. Ils ont cherché à empêcher les engins de chantier d'entrer sur le site pour effectuer des travaux qu'ils estimaient être illégaux.
Les travaux préparatoires ont débuté avant que les résultats d'une étude sur l'impact environnemental (EIE) aient été présentés lors d'une audience publique, une obligation selon le droit russe. L'audience sur la centrale électrique de Kudepsta EIA a eu lieu le 24 août 2012, plus de deux mois après que le travail ait commencé sur le site proposé de la centrale. En vertu de la législation nationale régissant la construction olympique, aucun travail préparatoire pour la construction d'un site olympique ne peut être effectué tant que tous les documents requis, notamment les résultats de l'évaluation environnementale, n’ont pas été soumis à l'examen de l'État.
Des militants ont indiqué à Human Rights Watch que les membres du TOS et les résidents locaux ont été confrontés à des difficultés pour obtenir les documents officiels, tels que les résultats complets des études sur l'impact environnemental, que selon la loi, les autorités devraient distribuer publiquement. Les villageois ont soumis des dizaines de pétitions et de plaintes énumérant des préoccupations environnementales et juridiques aux autorités locales et fédérales, ainsi qu’au Comité international olympique.
« Les gens de Kudepsta ont des préoccupations légitimes sur le fait que les travaux de construction initiaux auraient eu lieu en violation de la loi », a fait remarquer Jane Buchanan. « La préparation de Sotchi pour accueillir les Jeux Olympiques ne peut pas être une excuse pour que les autorités enfreignent des lois destinées à protéger les gens contre les problèmes de santé ou autres causés par des projets d'envergure qui par leur nature, polluent et modifient de manière significative l'environnement local. »
En plus des obligations au regard du droit national, les obligations de la Russie en matière de droits humains, en particulier en tant que partie à la Convention européenne des droits de l'homme, contraignent ce pays à procéder à une enquête et une évaluation sérieuses pour déterminer l'impact sur les droits humains des projets de construction qu'elle entreprend ou autorise. La Cour européenne des droits de l'homme a statué à plusieurs reprises que le droit à la vie privée et familiale comprend le droit à la protection contre la pollution de l'environnement, qui peut affecter le bien-être des individus et les empêcher d'utiliser leurs maisons.
Dans des cas comme la construction d'une centrale électrique, la Cour exige qu'une enquête appropriée et complète, prenant en compte les intérêts des personnes touchées par la construction, précède le projet. L'étude devrait évaluer l'impact du projet sur les droits des individus dans le but de trouver la meilleure solution possible pour minimiser les interférences avec ces droits « en essayant de trouver des solutions alternatives et en cherchant de façon générale à atteindre leurs objectifs de la manière la moins onéreuse en ce qui concerne les droits humains. »
Arrestations de villageois
Le désespoir des villageois suscité par le manque d'information et de clarté quant à la légalité du projet a atteint son paroxysme le 14 août, lorsque la police a arrêté le chef du TOS de Kudepsta, Anatoly Mahnovsky, et un membre du TOS, Pavel Chesnokov. Mahnovsky et Chesnokov étaient restés sur la route d'accès au site de la centrale proposée avec des concitoyens qui se sont rassemblés pacifiquement pour empêcher l'arrivée des engins de chantier. Mahnovsky a déclaré à Human Rights Watch qu'en étant sur le site à la demande des villageois, il exerçait ses fonctions en tant que chef du TOS.
Les deux hommes ont expliqué à Human Rights Watch que la police leur a demandé de signer des rapports de police contenant des informations fausses sur les circonstances de leur détention, ce qu'ils ont refusé de faire. La police les a libérés plus tard, mais les a accusés d'organiser des réunions non autorisées. Les hommes nient avoir organisé quoi que ce soit, mais déclarent s’être simplement réunis avec d'autres personnes à proximité du site de construction. Ils sont maintenant en attente de jugement.
Après leur libération, les hommes ont porté plainte auprès du bureau du procureur contre leurs arrestations illégales.
La police a arrêté Chesnokov à nouveau le lendemain alors que les villageois tentaient d'arrêter des engins lourds transportant des matériaux de construction en route vers le site. Chesnokov avait appelé la police, en leur demandant de vérifier si les travailleurs avaient la documentation juridique requise pour les travaux préparatoires de construction. La police a inculpé Chesnokov pour avoir résisté aux ordres légitimes d'un officier de police, ce qui constitue une infraction administrative. S'il est reconnu coupable, il est passible d'une amende et jusqu'à 15 jours en détention. L’avocat de Chesnokov, Alexandre Popkov, a déclaré à Human Rights Watch que la police a détenu Chesnokov pendant huit heures sans l’inculper ni même établir un procès-verbal d'arrestation, au lieu des trois heures autorisées par le droit national. Alors qu’il se trouvait au poste de police, la pression artérielle de Chesnokov a grimpé, et il a été transporté d’urgence à l'hôpital où il a passé 10 jours sous traitement.
Un militant du TOS a déclaré à Human Rights Watch qu’à la suite de ces arrestations, les bénévoles du camp d'observation ont reçu des menaces des agents des forces de l’ordre qu'ils « auront de graves problèmes » s’ils ne quittent pas le site.
Les recherches menées par Human Rights Watch ont documenté une pression accrue sur la liberté des médias et de la société civile à Sotchi et relevé plusieurs cas de harcèlement des militants de la société civile et des journalistes indépendants faisant état de préoccupations relatives aux Jeux Olympiques d'hiver de Sotchi ces derniers mois.
« Le conflit au sujet de la centrale est loin d'être terminé, mais le traitement par la police des villageois de Kudepsta est un signe alarmant que le gouvernement réprime la dissidence pacifique », a conclu Jane Buchanan. « S'attaquer aux résidents locaux préoccupés n'arrangera pas les choses, mais respecter l'obligation d’observer une procédure qui protège les droits des résidents locaux dans le cadre de la construction de centrales électriques pourrait empêcher que ce conflit ne s’intensifie davantage. »