(Nairobi, le 3 juin 2013) – La décision du Conseil national de la communication du Burundi de suspendre le forum des lecteurs du journal Iwacu constitue une atteinte au droit à la liberté d'expression. Le gouvernement devrait lever cette suspension et autoriser le journal à reprendre la publication en ligne des commentaires de ses lecteurs.
Le 30 mai 2013, Iwacu, journal burundais indépendant, respecté et à forte audience, a été notifié d’une décision écrite du Conseil national de la communication (CNC) annonçant une suspension de 30 jours de son courrier des lecteurs en ligne, à compter du 31 mai. Le Conseil affirmait que des commentaires de lecteurs, publiés sur le site internet d'Iwacu au cours des jours précédents, avaient violé des dispositions de la loi concernant « l'atteinte à l'unité nationale, à l'ordre et la sécurité publique, l'incitation à la haine ethnique, à l'apologie du crime et des outrages au chef de l'État ». Il ne précisait pas quels commentaires particuliers avaient motivé sa décision.
« La décision du CNC de suspendre un forum de discussion entre lecteurs est excessive et inutilement punitive », a déclaré Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « Même si certaines personnes sont en droit d'objecter à certains des commentaires individuels, il est déraisonnable de tenir un forum de discussion en ligne responsable des opinions des lecteurs sans préciser quels propos auraient pu constituer une menace. »
Iwacu a annoncé qu'il se pliait à la décision, mais il a suspendu non seulement son forum de discussion mais la totalité de son site internet, arguant que le dialogue interactif avec ses lecteurs constitue une partie intégrante de son site et de sa philosophie consistant à encourager le débat démocratique. Des milliers de lecteurs visitent le site internet d'Iwacu chaque jour et beaucoup y affichent des commentaires sur toutes sortes de sujets.
Le CNC est un organe administratif national chargé de superviser les médias et de conseiller le gouvernement en matière de communication. Ses membres sont nommés par le président. Une loi entrée en vigueur le 24 janvier accorde au CNC un pouvoir de décision en matière de respect et de promotion de la liberté de la presse.
Human Rights Watch a exprimé sa préoccupation au sujet de la suspension du forum des lecteurs d'Iwacu dans le contexte plus large de tentatives répétées ces derniers mois de la part du gouvernement burundais de restreindre l'activité des médias indépendants. Une nouvelle loi sur les médias, approuvée par le Parlement en avril, contient des dispositions qui restreindraient de manière significative la liberté de la presse et exposeraient les journalistes burundais à de fortes amendes pour des délits mal définis. En particulier, cette loi limiterait considérablementles sujets pouvant être couverts par les journalistes.
Human Rights Watch a adressé le 25 avril une lettre ouverte au président Pierre Nkurunziza, lui demandant instamment de ne pas signer la loi dans sa forme actuelle et de la renvoyer au Parlement pour qu'elle soit amendée. La loi attend toujours la signature du président.
Le Burundi a entrepris de protéger la liberté d'expression dans sa constitution et en tant qu'État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
« Le CNC est censé protéger la liberté de la presse mais, au contraire, il participe à sa fermeture », a conclu Daniel Bekele. « Le CNC devrait permettre aux Burundais de bénéficier du forum des lecteurs d'Iwacu, qui constitue pour eux une source importante d'information et un espace de débat exceptionnel. »
Contexte
Le Burundi dispose d'un secteur médiatique indépendant dynamique, mais des journalistes ont indiqué à Human Rights Watchqu'ils étaient fréquemment menacés et intimidés par des agents de l'État, pour des articles et des émissions considérés comme critiques à l'égard du gouvernement.
Au cours des dernières semaines, un journaliste a été blessé par balles par un policier et un autre a été violemment agressé à son domicile. Ces deux hommes ont apparemment été pris pour cibles à cause de leurs activités de journalistes.
Le 27 avril, un agent de police a menacé à plusieurs reprises Patrick Niyonkuru, un journaliste de la Radio publique africaine (RPA), alors qu'il tentait d'enquêter sur des allégations selon lesquelles des policiers extorquaient de l'argent aux conducteurs de taxi-vélos. Le policier a tiré sur Patrick Niyonkuru, le blessant gravement à un bras. Le policier a été arrêté, jugé sommairement et condamné à 15 ans de prison le jour même de l'incident.
Le 25 avril, des hommes armés de fusils et de machettes, le visage dissimulé par des masques ou des cagoules, ont pénétré par effraction au domicile de Willy Abagenzinikindi, un journaliste de Radio Télévision Renaissance. Ils l'ont maintenu de force par terre, l'ont frappé à coups de machette et ont exigé qu'il leur remette les audiocassettes qu'il avait enregistrées ce jour-là dans le cadre de ses enquêtes. Ils ont également blessé un de ses voisins à coups de machette.
Tout au long des années 2011 et 2012, d'autres journalistes au Burundi ont été fréquemment harcelés, menacés et convoqués au parquet pour rendre des comptes sur leurs émissions.
En 2012, Hassan Ruvakuki, un correspondant de Radio France Internationale et de Radio Bonesha FM, a été condamné à la prison à vie pour des actes terroristes présumés après avoir interviewé un nouveau groupe rebelle à la fin de l'année 2011. Sa peine a été réduite à trois ans en appel et il a été libéré le 6 mars après avoir passé 15 mois en prison. Le 19 février, à Bujumbura, la capitale, la police a lancé des gaz lacrymogènes pour disperser des journalistes participant à une marche en soutien à Hassan Ruvakuki.
Rectificatif : La première citation dans ce communiqué a été corrigée en supprimant un mot qui avait été inséré par erreur.