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France/Azerbaïdjan : Lettre au président Hollande concernant la visite du président azerbaïdjanais Ilham Aliyev

M. François Hollande
Président de la République française
Palais de l'Elysée
55 rue du Faubourg Saint-Honoré
75008  Paris

Paris, le 20 octobre 2014                                                 

Objet : Défenseurs des droits humains emprisonnés en Azerbaïdjan

Monsieur le Président de la République,

Le  27 octobre, vous rencontrerez à Paris le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, à l’occasion du sommet de l’OSCE au sujet du Nagorno-Karabakh. Nous nous adressons à vous pour vous demander d’utiliser cette opportunité cruciale pour réclamer la libération immédiate d’éminents défenseurs des droits humains que les autorités azerbaïdjanaises ont emprisonné au cours des derniers mois, dans le cadre d’une campagne de répression intensifiée et globale contre la société civile azerbaïdjanaise. Les chefs d’accusation à leur encontre reposent sur des motivations politiques flagrantes, et votre voix peut jouer un rôle crucial pour obtenir leur libération.

Parmi ces défenseurs figure Leyla Yunus, qui a eu l’occasion de vous rencontrer ainsi que M. Laurent Fabius, lors de votre visite à Bakou au mois de mai. Leyla Yunus, qui s’est vu remettre les insignes de Chevalier de la Légion d’honneur, est la fondatrice et présidente de l’Institut pour la paix et la démocratie (IPD), une organisation non gouvernementale qui, entre autres, a fait campagne et cherché à améliorer le dialogue direct entre les peuples en Azerbaïdjan et en Arménie dans le contexte du conflit non résolu de Nagorno-Karabakh. Son mari, Arif Yunus est un éminent historien  qui a également participé à ces projets et se trouve lui aussi aujourd’hui en détention préventive. L’IPD s’est également engagé dans la lutte contre les poursuites fondées sur des motifs politiques, contre la corruption, les violences faites aux femmes et les expulsions illégales en Azerbaïdjan.

Le 30 juillet 2014, les autorités ont mis en accusation Leyla et Arif Yunus pour crimes économiques et trahison, pour lesquels ils encourent jusqu’à vingt ans d’emprisonnement. Le même jour, un tribunal a ordonné la mise en détention préventive de Leyla Yunus pour trois mois. Son mari a été relâché pour raison de santé et placé sous la surveillance de la police. Mais le 5 août, la police l’a arrêté alors qu’il s’apprêtait à rendre visite à sa femme pour lui apporter de la nourriture et des médicaments. En dépit des problèmes de santé d’Arif Yunus, le tribunal l’a envoyé en détention préventive pour une durée de trois mois, au motif qu’il aurait violé les conditions de son assignation à résidence. Par l’intermédiaire de ses avocats, Leyla Yunus a signalé avoir été agressée par sa compagne de cellule et par un gardien de prison. Elle souffre de diabète sévère et risque de perdre la vue en prison.

Juste avant son arrestation, Leyla Yunus travaillait avec plusieurs autres défenseurs éminents des droits humains pour établir une liste de prisonniers politiques en Azerbaïdjan et faisait campagne pour leur libération. Chacun de ces défenseurs a également été arrêté. Il s’agit de :

-          Intigam Aliyev, avocat et responsable de l’organisation non gouvernementale Legal Education Society, qui a traité des affaires relatives aux droits humains devant des tribunaux nationaux et a déposé des centaines de demandes auprès de la Cour européenne des droits de l'homme. Le 8 août, les autorités l’ont envoyé en détention préventive sous des accusations de fraude fiscale, d’abus de pouvoir et d’activités commerciales illégales. De nombreuses personnes estiment que son arrestation est une sanction pour son travail en faveur des droits humains et pour ses critiques à l’égard du bilan de l’Azerbaïdjan en matière de droits humains devant les instances internationales, notamment au Conseil de l’Europe.

-          Rasul Jafarov, président du Club des droits humains, organisation que les autorités ont constamment refusé d’enregistrer, a lancé plusieurs campagnes critiques contre les emprisonnements pour motifs politiques, notamment la campagne Sing for democracy (Chanter pour la démocratie), renommée par la suite Art for Democracy dans la perspective du concours de l'Eurovision à Bakou en mai 2012. Rasul Jafarov préparait une campagne appelée Sport for Rights (Sports pour les droits) dans la période précédant les Jeux olympiques européens, qui seront accueillis par l’Azerbaïdjan pendant l’été 2015. Les autorités l’ont arrêté le 2 août, et l’ont mis en accusation pour entreprise illégale, fraude fiscale et abus de pouvoir officiel.

Les autorités  azerbaïdjanaises prétendent que les accusations portées contre ces quatre défenseurs des droits humains ne reposent pas sur des motifs politiques, mais ces affirmations ne résistent pas à l’examen. Le moment de leurs arrestations indique fortement une campagne concertée visant à réduire au silence les critiques les plus audacieux du gouvernement. À cette fin, le gouvernement a également mis fin au financement des organisations indépendantes en gelant les comptes bancaires de ces organisations et de leurs dirigeants, de façon arbitraire et sans possibilité de recours, et en leur refusant l’autorisation de recevoir de nouvelles subventions. Le gouvernement de l’Azerbaïdjan a également présenté de nouveaux projets de loi draconiens visant à réduire davantage le financement des organisations non gouvernementales.

Il faut un courage extraordinaire pour soutenir les principes des droits humains et les normes du Conseil de l’Europe en Azerbaïdjan. Ceci n’a jamais été plus vrai que durant les deux dernières années et demie, tandis que les autorités ont engagé ou menacé d’engager des poursuites pénales arbitraires contre des dizaines de militants indépendants ou membres de l'opposition politique, journalistes, blogueurs et défenseurs des droits humains. Tout comme Leyla et Arik Yunus, Rasul Jafarov et Intigam  Aliyev, la plupart se trouvent derrière les barreaux. Alors même que les arrestations se multipliaient au cours des derniers mois et que le risque de leur propre arrestation devenait de plus en plus probable, Leyla et ses collègues n’ont pas reculé.

 Aujourd’hui,  Monsieur le Président, ces personnes courageuses ont besoin que vous parliez en leur nom, pour faire comprendre au Président Aliyev que le gouvernement français est consterné par l’emprisonnement des défenseurs des droits humains, et que les relations de l’Azerbaïdjan avec la France ne peuvent se poursuivre comme si de rien n’était tant que ces quatre personnes restent derrière les barreaux.

Nous vous demandons donc respectueusement  d’insister auprès de M. le président Aliyev pour qu’il libère ces personnes avant sa visite en France. Si elles devaient se trouver encore en prison à la date du 27 octobre, nous vous invitons à appeler publiquement à leur libération immédiate lors de la visite de M. Aliyev en France.

Nous espérons sincèrement pouvoir compter sur votre autorité morale concernant un sujet aussi pressant.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre très haute considération.

Jean-Marie Fardeau
Directeur France
Human Rights Watch

Hugh Williamson
Directeur, division Europe et Asie centrale
Human Rights Watch

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