Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Ministre,
A la veille de votre visite conjointe en République Populaire de Chine du 28 janvier au 1er février prochains, Human Right Watch souhaite souligner la nécessité de soulever la question de la situation des droits humains aussi bien en privé qu’en public avec vos interlocuteurs gouvernementaux.
Depuis son ascension au pouvoir, le Président Xi Jinping a mis en œuvre une politique supprimant la marge d’autonomie de la société chinoise en matière de liberté d’expression et d’association. Plus qu’auparavant, le Parti Communiste et l’État sont protégés de toute forme d’observation critique de la part de la société civile.
L’amorce d’un culte de la personnalité, le caractère extra-judiciaire de la purge politique menée au nom de la campagne anti-corruption, l’expansion sans précédent de la censure sur internet et dans les médias, le renforcement des contraintes idéologiques au sein des universités et des instituts de recherche et d’enseignement, ainsi qu’une campagne méthodique d’arrestation et d’intimidation des figures principales du monde la société civile sont les éléments les plus saillants de cette politique.
Des situations régionales illustrent aussi cette politique, comme la position dure adoptée par les autorités pour contourner l’obligation d’introduire le suffrage universel à Hong-Kong, ou encore le durcissement de la répression dans la région autonome Ouïgoure du Xinjiang.
Nous vous enjoignons à ne pas passer sous silence ces tendances extrêmement préoccupantes. Nous pensons très important que vous exprimiez l’inquiétude qu’elles suscitent, non seulement du point de vue du respect des droits humains mais aussi parce que la convergence de la Chine avec les normes internationales est un sujet d’intérêt commun pour assurer la stabilité des activités économiques et des échanges commerciaux entre les deux pays, notamment pour les entreprises françaises opérant en Chine.
Nous sommes conscients des intérêts économiques qui sont en jeu dans la relation franco-chinoise. Nous mesurons aussi les efforts de la diplomatie chinoise pour imposer une censure et même pousser les gouvernements étrangers à une forme d’autocensure sur la question des droits humains de peur de représailles commerciales. Mais nous sommes convaincus que passer sous silence les questions des violations systématiques des droits humains, de la liberté d’expression et du manque presque total d’indépendance du système judiciaire, ne fait que contribuer à l’instabilité sur le long terme du pays et à son hostilité aux normes internationales, deux tendances qui sont contraires aux intérêts de la France et du reste du monde.
Au cours de votre visite en Chine, nous vous invitons à exprimer le souhait de la France :
• Que Liu Xiaobo, lauréat du prix Nobel de la Paix emprisonné depuis 2009, soit libéré, et que son épouse Liu Xia ne soit plus soumise à une détention extra-judiciaire à domicile ;
• Qu’Ilham Tohti (Yilihamu Tuheti), universitaire ouigour invité en France en 2009 en tant que “personnalité d’avenir” et condamné à la réclusion à perpétuité en septembre dernier soit libéré (cf. Annexe) ;
• Que les chefs d’inculpation pesant sur l’avocat des droits de l’Homme Pu Zhiqiang, détenu depuis mai 2014, soient rejetés (cf. Annexe) ;
• Que le gouvernement chinois réponde aux attentes grandissantes de la société chinoise en matière de transparence, d’État de droit, de droit à l’information, d’équité et de participation aux affaires publiques ;
• Que la République Populaire de Chine respecte la promesse inscrite dans la Loi Fondamentale de Hong Kong d’introduire le suffrage universel pour l’élection du Chef de l’Exécutif.
Nous souhaitons également attirer votre attention sur le caractère extrêmement problématique de la politique du gouvernement en matière de lutte contre le terrorisme, qui mélange de véritables préoccupations liées à la lutte et à la prévention contre le terrorisme à une répression politique et religieuse contre la minorité ouïgoure de la région autonome du Xinjiang. Cet amalgame, qui est manifeste dans le projet de loi sur la lutte contre le terrorisme publié en Novembre 2014 (cf. Annexe) conduit non seulement à de graves violations mais contribue à la montée de la violence et rend presque impossible l’identification des risques réels. Pour ces raisons nous vous invitons à:
• Ne pas vous prêter à l’instrumentalisation par la partie chinoise des attaques terroristes récentes sur le sol français pour justifier les restrictions sur la liberté d’expression et les libertés religieuses en Chine, qui sont contraire au droit international et à certaines garanties énumérées par la Constitution chinoise.
• Réitérer que la lutte contre le terrorisme ne serait être une justification pour la répression de la minorité ethnique ouïgoure ou la violation des droits humains.
• Ne pas entrer dans un accord de coopération formelle avec la Chine en matière de terrorisme.
Les questions de droits humains ne devraient pas être évitées car elles seraient « sensibles », mais au contraire figurer au cœur de l’agenda diplomatique des relations franco-chinoises. Pour cela il est nécessaire d’exprimer publiquement les principales préoccupations de la France dans ce domaine. La seule mention indiquant que la question des droits humains « a été soulevée au cours des entretiens privés » a depuis longtemps prouvé son inefficacité et son caractère purement formel.
Nous sommes convaincus que les responsables chinois sont très attentifs et sensibles aux questions sur ce sujet, et qu’ils reconnaissent que l’autorité morale de la France dans ce domaine est réelle et effective.
Nous nous tenons à votre disposition pour tout complément d’information,
Veuillez agréer, Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Ministre, l’expression de notre haute considération.
Jean-Marie Fardeau
France Director
Human Rights Watch
Brad Adams
Executive Director – Asia Division
Human Rights Watch