(Nairobi, le 15 octobre 2015) – Le changement climatique ainsi que des projets régionaux de développement menacent la santé et les moyens de subsistance des populations autochtones de la région de Turkana, dans le nord-ouest du Kenya, a affirmé Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Ce document et la vidéo associée ont été présentés à des organisations de défense de l’environnement et des droits humains à Nairobi, peu avant les négociations sur les changements climatiques qui se tiendront à Bonn, en Allemagne, du 19 au 23 octobre 2015.
Le rapport de 96 pages, intitulé « There Is No Time Left: Climate Change, Environmental Threats, and Human Rights in Turkana County, Kenya » (« Le temps presse : changements climatiques, menaces sur l’environnement et droits humains dans le comté de Turkana, au Kenya »), souligne les difficultés croissantes auxquelles le gouvernement du Kenya est confronté pour garantir l’accès à l’eau, à l’alimentation, à la santé et à la sécurité dans le Turkana. Cette région représente également un exemple de la façon dont les changements climatiques, avec des températures plus élevées et des précipitations plus irrégulières, affectent les personnes déjà vulnérables de façon disproportionnée, en particulier dans les pays dont les ressources sont limitées et les écosystèmes fragiles.
« La combinaison des changements climatiques, des projets de développement à grande échelle, et de la croissance démographique représente une menace urgente pour les habitants de la région du Turkana », a déclaré Joseph Amon, directeur de la division Santé et droits humains à Human Rights Watch. « Le Lac Turkana risque de disparaître, et la santé et les moyens de subsistance des populations autochtones de la région risquent de disparaître avec lui. »
Entre 1967 et 2012, les températures moyennes maximales et minimales dans le Turkana, tout au nord-ouest du Kenya, près de la frontière éthiopienne, ont augmenté de 2 à 3°C (3.6 à 5.4°F) selon les données collectées par la station météorologique de la capitale du comté. Les régimes de précipitations semblent avoir subi des changements, et la longue saison des pluies est de plus en plus courte et sèche, tandis que la courte saison des pluies devient plus longue et humide. L’insécurité et les conflits risquent de s’aggraver dans la région, alors que les pâturages disparaissent peu à peu.
Dans le même temps, des projets hydroélectriques et des plantations de sucre irriguées dans la basse vallée de la rivière Omo, en Éthiopie, menacent de réduire drastiquement le niveau de l’eau du Lac Turkana, le plus grand lac en milieu désertique du monde, qui fournit à plus de 300 000 habitants du Turkana leurs moyens de subsistance. Selon les prévisions de certains experts, le lac devrait reculer jusqu’à ce qu’il ne reste que deux petits bassins, ce qui aura un impact dévastateur sur les stocks de poisson.
Le comté de Turkana, avec une population totale d’environ 1,2 millions d’habitants, fait partie des régions les plus pauvres du Kenya. La majorité des habitants sont des bergers qui vivent de l’élevage de bovins et de chèvres, et des personnes qui pêchent sur le Lac Turkana. Cette région semi-aride affronte des sécheresses cycliques depuis des générations.
Des habitants du comté de Turkana ont raconté à Human Rights Watch leurs difficultés croissantes pour accéder à l’eau, et ont déclaré que de nombreuses sources s’étaient taries, ce qui leur impose de lutter chaque jour pour leur survie. Les femmes et les petites filles ont dit devoir souvent marcher sur de longues distances pour trouver de l’eau en creusant dans les lits asséchés des rivières. Des parents ont raconté que leurs enfants tombaient malades, parce qu’ils ne parvenaient pas à leur apporter suffisamment de nourriture, d’eau saine à boire, et de soins d’hygiène.
« Combien de temps survivrai-je quand mes animaux seront morts et que le lac aura disparu ? » a demandé un vieil homme, qui vit de son bétail, à Human Rights Watch. « Comment survivrai-je quand la sécheresse viendra m’emporter et m’envoyer tout droit à la tombe ? »
La réponse aux changements climatiques et l’aide aux communautés pour s’adapter à leur impact devraient être des priorités locales, nationales et internationales de première urgence, a affirmé Human Rights Watch.
Lors des prochaines négociations de Bonn sur les changements climatiques, il est prévu d’aborder la façon dont les droits humains pourront être intégrés dans un accord international sur les changements climatiques. Les gouvernements débattront également de leurs engagements pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et pour limiter la hausse des températures mondiales à l’avenir.
Ceci concerne aussi le rôle des pays à haut revenu, qui ont été les plus importants émetteurs de gaz à effet de serre dans l’environnement, pour soutenir les nations à plus faible revenu et les aider à s’adapter à l’impact des changements climatiques. La rencontre de Bonn sera la dernière session de négociations avant le sommet prévu à Paris à la fin de l’année, où un nouvel accord international sur les changements climatiques devrait être adopté.
Le gouvernement kenyan et les autorités du comté de Turkana ont reconnu l’impact des changements climatiques, et ont engagé plusieurs actions constructives en vue de développer une politique nationale répondant aux effets des changements climatiques et des projets de développement. Mais ce processus, y compris l’adoption d’une loi sur les changements climatiques, a été retardé à de nombreuses reprises. Il faut accélérer les efforts pour soutenir l’adaptation aux changements climatiques, et se concentrer en priorité sur les droits des populations vulnérables, selon Human Rights Watch.
« Le gouvernement kenyan devrait développer des politiques relatives aux changements climatiques, pour protéger les droits de tous ses citoyens, y compris les personnes les plus marginalisées, » a souligné Joseph Amon. « La lutte quotidienne des habitants du Turkana est un rappel crucial pour les gouvernements du monde, qui montre pourquoi les droits humains devraient être un élément central du futur accord sur les changements climatiques de Paris. »
Témoignages extraits du rapport :
« La famine a déplacé les gens. Les jeunes gardiens de troupeaux qui s’occupaient du bétail ont tout perdu, et maintenant ils n’ont plus rien à faire. Nous n’avons pas d’autre choix que de tendre les mains et demander de l’aide. Où pourrions-nous bien aller désormais ? C’est la mort qui nous attend. »
– O.L., éleveur de bovins âgé de 46 ans
« Pendant la saison sèche, je vais souvent [à la rivière], pas juste une fois par jour, mais le matin puis à nouveau plus tard le soir, et encore pareil le lendemain. Le village tout entier dépend de cette seule rivière, les humains comme le bétail. Autrefois, quand il y avait assez de pluie, l’eau [de pluie] pouvait tenir jusqu’à quatre mois [dans la rivière voisine]. Mais les choses ont changé à présent, et les puits s’assèchent très vite. »
– P.O., femme enceinte de 9 mois, qui marche 18 kilomètres par jour pour chercher de l’eau
« La sécheresse a affecté les gens et les animaux, ces dernières années. Un autre de mes enfants est tombé malade pendant la dernière période de sécheresse, et il est mort de faim et de maladie. Nous mourons de faim pendant la sécheresse, et quand le gouvernement vient, il n’aide que très peu de personnes. »
– B.C., femme de 28 ans, qui vit près de Todonyang, comté de Turkana