(Nairobi) – Les forces de sécurité étatiques au Rwanda ont procédé à l’exécution sommaire d’au moins 37 personnes soupçonnées de petite délinquance et ont fait disparaître de force quatre autres personnes depuis avril 2016, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. La plupart des victimes étaient accusées d’avoir commis divers vols, par exemple de bananes, d’une vache ou d’une moto. D’autres étaient soupçonnées de faire du trafic de marijuana, d’avoir franchi illégalement la frontière depuis la République démocratique du Congo ou d’utiliser des filets de pêche illégaux.
Le rapport de 42 pages, intitulé « “Tous les voleurs doivent être tués” : Exécutions extrajudiciaires dans l’ouest du Rwanda » (disponible également en version anglaise, 40 pages), décrit en détail comment l’armée, la police et des unités de sécurité auxiliaires, parfois avec l’aide des autorités civiles locales, ont appréhendé de petits délinquants présumés et les ont sommairement exécutés. Deux hommes ont été tués par des civils après que les autorités locales ont incité les habitants à tuer les voleurs. Dans tous les cas documentés par Human Rights Watch, les victimes ont été tuées sans qu’aucun effort de procédure régulière n’ait été accompli pour établir leur culpabilité ou pour les traduire en justice, et aucune d’elles ne constituait une menace imminente pour la vie qui aurait pu justifier, le cas échéant, le recours à la force létale contre elle.
« Les forces de sécurité rwandaises mènent actuellement une campagne brutale de meurtres de sang-froid dans la Province de l’Ouest », a indiqué Daniel Bekele, directeur senior de plaidoyer auprès de la division Afrique de Human Rights Watch. « Le recours à des meurtres dans la lutte contre la petite délinquance et les délits ne consolide pas l’État de droit, mais ne fait qu’aggraver le climat de peur. Les autorités rwandaises devraient faire cesser immédiatement ces meurtres et traduire les responsables en justice. »
Human Rights Watch a réalisé des entretiens au Rwanda avec 119 témoins, membres des familles et amis des victimes, responsables gouvernementaux et autres personnes. Human Rights Watch a aussi publié les photos de certaines victimes.
Les 5 et 6 juillet 2017, Human Rights Watch a fait part de ses conclusions à cinq responsables locaux dans les districts de Rubavu et de Rutsiro, zones où se sont produits les meurtres documentés par Human Rights Watch. Les autorités ont nié que des exécutions extrajudiciaires aient eu lieu, même si l’une d’elles a affirmé que des personnes ont été tuées alors qu’elles traversaient la frontière depuis la RD Congo pour une « question de sécurité ». Human Rights Watch a aussi transmis ses conclusions à de hauts représentants du gouvernement dans la capitale, Kigali, mais n’a pas reçu de réponse.
Ces meurtres sont intervenus avant les élections présidentielles du Rwanda, prévues pour le 4 août. Le président Paul Kagame, qui est au pouvoir depuis 2003, se présente face à deux opposants, qui se sont tous deux plaints de harcèlement, de menaces et d’intimidations depuis l’annonce de leur candidature.
Les exécutions, dont certaines se sont déroulées devant plusieurs témoins, sont rarement évoquées au Rwanda. Étant donné les restrictions strictes qui pèsent sur les médias indépendants et les activistes, aucun média local n’a signalé ces meurtres et les groupes de défense des droits humains locaux ont peur de publier des informations sur ces problèmes.
Les meurtres et les disparitions forcées semblent avoir fait partie d’une stratégie plus vaste pour répandre la peur, faire respecter l’ordre et dissuader de toute résistance aux ordres ou aux politiques du gouvernement, a déclaré Human Rights Watch.
Par exemple, Fulgence Rukundo, père de deux enfants, a été arrêté par un responsable du gouvernement local et six soldats à son domicile dans le village de Munanira dans le district de Rubavu tôt au matin du 6 décembre 2016. Des témoins ont raconté qu’il a été interrogé à propos d’une vache volée, puis il a été escorté jusqu’à une réunion communautaire tenue par le maire du district. « Lorsque la réunion s’est terminée, les soldats ont conduit Fulgence dans un petit champ près d’une plantation de bananes », a expliqué un témoin. « Nous étions nombreux à suivre ; certains étaient des élèves de primaire. Nous voulions voir ce qui allait se passer... Un militaire lui a ordonné de se lever et de marcher et un autre nous a dit de partir. À ce moment, j’ai entendu trois coups de feu. »
Plus de 40 personnes interrogées ont indiqué avoir assisté à des réunions communautaires dans les districts de Rubavu et de Rutsiro lors desquelles des officiers militaires ou les autorités gouvernementales locales ont déclaré que les voleurs seraient arrêtés et tués.
Les autorités utilisaient les exécutions extrajudiciaires en guise d’avertissements. Dans la plupart des cas documentés, les autorités militaires et civiles locales ont expliqué aux habitants, souvent lors de réunions publiques, que la personne suspectée de petite délinquance avait été tuée et que tous les autres voleurs et autres criminels de la région seraient arrêtés et exécutés.
Dans le cas de François Buhagarike, tué entre le 19 et le 20 octobre dans la cellule de Busuku dans le district de Rutsiro, un habitant a raconté : « [Les autorités] disent : “Toute personne qui aide des voleurs aura aussi affaire à nous. Ceux qui sont pris en train de voler seront tués, comme François. À tous ceux qui connaissaient François, si vous volez, vous serez tués vous aussi.” Ces propos ont été tenus par les militaires, donc cela doit être pris au sérieux. »
Bon nombre des membres des familles ont été menacés alors qu’ils tentaient de récupérer les corps de leurs proches. Certaines familles ont enterré le corps en secret et plusieurs ont quitté leur village, de crainte d’être aussi prises pour cible.
Dans presque toutes les exécutions extrajudiciaires documentées, les membres des familles des victimes avaient peur d’exercer leur droit à demander justice conformément à la loi rwandaise et au droit international.
Le gouvernement rwandais devrait veiller à mettre fin immédiatement aux exécutions sommaires de criminels suspectés par les forces de sécurité, a déclaré Human Rights Watch. Il devrait aussi s’assurer que des enquêtes approfondies, impartiales sont menées sur ces graves violations, notamment pour établir comment et par qui une politique a pu être mise en place, et veiller à ce que les responsables de ces violations soient traduits en justice.
Les autorités judiciaires, militaires et policières devraient aussi faire des déclarations publiques claires interdisant à tout membre des forces de sécurité étatiques d’intimider ou de menacer les membres des familles des victimes.
« Au lieu d’enquêter sur les exécutions et les disparitions forcées et de fournir des informations ou une assistance aux familles, les autorités locales ont menacé des personnes qui osaient poser des questions », a déclaré Daniel Bekele. « Le gouvernement devrait se concentrer sur les enquêtes et les poursuites à l’encontre des responsables des crimes et ne permettre aucune tentative de dissimulation. »
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