(Nairobi, le 14 décembre 2017) – Des violences sexuelles généralisées ont entaché les élections de 2017 au Kenya, a affirmé Human Rights Watch dans un rapport diffusé aujourd'hui. Le gouvernement kenyan devrait prendre d'urgence des mesures pour protéger les femmes et les filles, ainsi que les hommes et les garçons, contre ce type de violences.
Sexual Violence against Women and Girls in Kenya’s 2017 Elections
Ce rapport de 31 pages, intitulé « "They Were Men in Uniform": Sexual Violence against Women and Girls in Kenya’s 2017 Elections » (« 'C'étaient des hommes en uniforme': Violences sexuelles contre des femmes et des filles lors des élections de 2017 au Kenya »), documente les effets dévastateurs, sur les plans physique, mental, social et économique, des violences sexistes et des graves violations des droits humains qui ont accompagné les récentes élections. Human Rights Watch a constaté que le gouvernement avait failli à sa responsabilité d'empêcher les violences sexuelles liées aux élections, d'enquêter de manière appropriée sur les cas avérés, de faire rendre des comptes à leurs auteurs et de s'assurer que les victimes aient accès, en temps opportun, à une assistance post-traumatique complète et de qualité. De nombreuses agressions sexuelles ont été commises par les forces de sécurité, selon des victimes.
« L'impact des violences sexuelles sur les victimes est dévastateur », a déclaré Agnes Odhiambo, chercheuse senior auprès de la division Droits des femmes à Human Rights Watch. « Presque toutes les femmes et les filles à qui nous avons parlé ont souffert de douleurs physiques et d'un profond traumatisme psychologique et craignaient que leurs agresseurs ne soient jamais amenés à rendre des comptes. »
Human Rights Watch a mené des entretiens avec 68 femmes et filles, trois hommes ayant aussi subi des violences sexuelles, et 12 témoins dans les quartiers de Mathare, Dandora et Kibera à Nairobi, ainsi que dans les villes de Kisumu et Bungoma dans l’ouest du Kenya. Human Rights Watch a également interrogé 12 activistes de la société civile, kenyans et étrangers, et des membres bénévoles de communautés locales qui fournissent des services aux femmes victimes de violences. Human Rights Watch a identifié d'importants obstacles qui empêchent de nombreuses victimes d'obtenir ne serait-ce que des services de base en matière de santé, y compris mentale, et de réclamer justice.
Les femmes et les filles interrogées ont décrit des viols collectifs d'une grande brutalité impliquant au moins deux agresseurs. Beaucoup d'entre elles ont affirmé qu'elles avaient été violées par voie vaginale et anale ou pénétrées à l'aide d'objets, ou que de la terre avait été insérée dans leurs parties intimes. Certaines avaient été violées en présence de membres de leur famille, y compris de jeunes enfants. La plupart des femmes ont affirmé avoir été violées par des policiers ou des hommes en uniforme, dont beaucoup étaient équipés d'armes à feu, de matraques, de cartouches de gaz lacrymogène, de fouets, et portaient des casques et d'autres éléments d'équipement anti-émeute. Dans au moins un cas, une fille est morte après avoir été violée.
Une femme de 27 ans que nous avons interrogée avait accouché le 7 août et a été violée par trois policiers le 11 août. « Je me sens inutile », a-t-elle dit en décrivant sa vie depuis l'agression. « Je ne parle à personne. Je suis très triste. J'ai l'impression d'avoir touché le fond. Je songe à me tuer. »
De nombreuses femmes et filles ont affirmé qu'elles souffraient de blessures physiques handicapantes ou d'autres séquelles de santé qui rendent certaines d'entre elles incapables de travailler ou de s'occuper de leurs familles. Des jeunes filles ont déclaré qu'elles faisaient des cauchemars, étaient devenues insomniaques, apathiques, ressentaient de la peur et de l'anxiété, ce qui limite leurs capacités scolaires.
La plupart n'avaient reçu aucun soin post-traumatique médical ou psychologique, pas même de médicaments pour prévenir une contamination par le virus VIH du sida ou d'autres infections sexuellement transmissibles, ou une grossesse non désirée. Parmi les obstacles, figurent l'insécurité, le coût des services ou du transport, le sentiment de honte, le manque d'installations de santé et le manque d'informations sur l'importance d'un traitement rapide ou sur les lieux où les victimes peuvent obtenir des soins gratuits. Certaines femmes qui avaient reçu un traitement médical ont indiqué que les services n'étaient pas complets, qu'il n'était pas procédé à une documentation médico-légale des violences sexuelles, ou qu'elles n'avaient pas reçu de recommandations appropriées en vue d'obtenir un traitement médical ou un soutien psychologique, ou d'engager une action judiciaire dans le cadre du système de justice pénale.
La prévalence historique de l'impunité pour les violences sexuelles au Kenya entrave sérieusement la capacité des femmes à dénoncer des crimes sexuels à la police, a déclaré Human Rights Watch. Très peu de femmes ont déclaré avoir signalé leurs agressions à la police et beaucoup d'entre elles ont exprimé leur manque de confiance envers la police en raison de son long passé de violations des droits humains et de corruption. D'autres femmes ont indiqué qu'elles craignaient de subir des représailles. Certaines femmes qui avaient essayé de faire état des violences sexuelles qu'elles avaient subies ont affirmé que les policiers les avaient renvoyées sans consigner leurs déclarations, les avaient tournées en ridicule ou insultées, ou s'étaient abstenus de tout suivi après avoir enregistré leurs plaintes.
Une femme qui a affirmé avoir été violée en présence de policiers, en même temps que cinq autres femmes, a ainsi décrit ce qu'il s'était passé lorsqu'elles avaient tenté de dénoncer leur agression: « Ils nous ont demandé: ‘Comment savez-vous que c'étaient des policiers?’ Ils ont dit: ‘Si vous aviez été violée, vous seriez allée d'abord à l'hôpital. Où sont les preuves ? Comment pouvons-nous vous croire ?’ Ils nous ont dit que nous avions dû prendre plaisir à être violées. »
Le gouvernement kenyan néglige depuis longtemps de s'occuper des crimes sexuels liés aux élections et des souffrances des victimes, a affirmé Human Rights Watch. Il est généralement estimé que des milliers de femmes et de filles ont été violées lors des violences politiques de 2007-2008, y compris par des agents de sécurité de l'État. Près de dix ans plus tard, elles continuent de souffrir de graves traumatismes physiques et psychologiques, ainsi que de difficultés socioéconomiques, et très peu de ces cas de violence sexuelle ont fait l'objet d'enquêtes appropriées et très peu d'agresseurs ont été amenés à rendre des comptes.
Les anciens programmes gouvernementaux visant à venir en aide aux victimes des violences de 2007-2008 excluaient les victimes de viols, et celles-ci n'ont reçu aucune assistance, médicale ou autre. Les obstacles aux dénonciations des violences, les difficultés rencontrées dans la collecte de preuves médico-légales et le manque de volonté des autorités d'ouvrir des enquêtes véritables, crédibles et équitables à l'encontre des agresseurs, suivies de procès afin de les punir, constituaient d'importants défis au Kenya après les viols liés aux élections de 2007-2008 et cela demeure un problème aujourd'hui.
Le gouvernement kenyan devrait changer d'approche. Il devrait s'assurer que toutes les victimes d'agression sexuelle bénéficient en temps voulu de soins post-traumatiques de qualité et confidentiels, y compris dans les domaines psychosocial ou mental, pour elles-mêmes et pour leurs familles, et informer les communautés sur les lieux où les victimes peuvent recevoir ces soins d'après-viol, y compris des traitements gratuits. Le gouvernement kenyan devrait s'assurer que des enquêtes crédibles soient menées sur toutes les allégations de violences sexuelles liées aux élections.
« Les victimes de violences sexuelles ne devraient pas être abandonnées à leurs souffrances et avoir honte d'être des victimes, tandis que le gouvernement kenyan ne manifeste aucun scrupule à s'abstenir de s'occuper d'elles ou de poursuivre leurs agresseurs en justice », a affirmé Agnes Odhiambo. « Au lieu de minimiser les violences sexuelles commises dans le cadre des élections, le gouvernement kenyan devrait s'assurer que toutes les victimes reçoivent des soins médicaux appropriés et que justice leur soit rendue. »
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Dans les médias
Le Monde Le Figaro RFI BBC Afrique
Tweets
#Kenya : Nouveau rapport @hrw sur les violences sexuelles lors des récentes élections - Non à l’impunité https://t.co/JzxgERWp8R #VAW
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#Kenya – Témoignages sur les violences sexuelles, non à l’impunité. Courte vidéo s/titres FR https://t.co/oGESxHwtjl
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« Environ la moitié des femmes interrogées ont dit avoir été violées par des policiers ou des hommes en uniforme » https://t.co/3j4obaf66i
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#Kenya : Human Rights Watch dénonce de nombreux viols lors des violences électorales. La moitié des viols recensés sont des viols collectifs.https://t.co/gk9XLxSRhA
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@HRW rapport alarmant sur les viols commis par les forces de sécurité pendant la crise électorale pic.twitter.com/jqRfBEgmUO
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Tweets en 2019
Qui se soucie des #femmes #kényanes ? Question posée par @akawire @hrw, selon qui le président Uhuru Kenyatta devrait réagir plus fermement face à l’inquiétante montée des #violences contre les femmes dans ce pays. https://t.co/ulffv7E1MQ (en anglais) #VFF
— HRW en français (@hrw_fr) 17 avril 2019
Au #Kenya, un projet de loi offre enfin de l’espoir aux "victimes oubliées" de #viols et d’autres agressions sexuelles, selon @AgnesOdhiambo @hrw. https://t.co/5N6Trq9RlA (en anglais)
— HRW en français (@hrw_fr) 26 juin 2019