(Paris) – Le président français, Emmanuel Macron, devrait exprimer au prince héritier d'Abou Dhabi les graves préoccupations que suscitent les violations des lois de la guerre commises au Yémen, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Le prince héritier Mohammed ben Zayed al Nahyan des Émirats arabes unis (EAU) sera en visite à Paris le 21 novembre 2018.
Les EAU jouent un rôle de premier plan dans les opérations militaires de la coalition dirigée par l'Arabie saoudite au Yémen. Depuis mars 2015, cette coalition a bombardé de manière indiscriminée des habitations, des marchés et des écoles, entravé l’acheminement de l’aide humanitaire et utilisé des armes à sous-munitions largement interdites. Human Rights Watch a documenté près de 90 attaques apparemment illégales menées par la coalition, dont certaines pourraient constituer des crimes de guerre. Les EAU et des forces auxiliaires qu’ils dirigent ont arrêté arbitrairement, fait disparaître de force et torturé des Yéménites dans le sud et l'est du Yémen, y compris des activistes ayant critiqué les abus de la coalition.
« En tant que dirigeant de facto des EAU et commandant adjoint de ses forces armées, le prince héritier Mohammed ben Zayed al Nahyan aurait pu agir pour faire cesser les graves abus commis au Yémen mais les crimes de guerre se sont au contraire intensifiés », a déclaré Bénédicte Jeannerod, directrice France de Human Rights Watch. « Si le président Macron est vraiment préoccupé par la crise humanitaire au Yémen, il devrait dire au prince héritier que la France cessera de vendre des armes aux EAU s'il y a un risque réel qu'elles soient utilisées de manière illégale. »
En dépit des violations persistantes des droits humains commises par l'Arabie saoudite et par les EAU, la France, comme les États-Unis et le Royaume-Uni, continue à leur vendre des armes. En juin, le quotidien français Le Figaro a affirmé que des éléments des forces spéciales françaises étaient sur le terrain au Yémen, aux côtés des forces des Émirats.
Emmanuel Macron devrait insister auprès des EAU pour qu'ils enquêtent sur les graves violations présumées commises par leurs forces armées et par les forces yéménites qu'ils soutiennent, pour que les responsables de crimes de guerre soient dûment poursuivis et pour que les victimes de violations obtiennent réparation, a déclaré Human Rights Watch. La France devrait cesser de livrer des armes et des munitions aux EAU s'il existe un risque substantiel que ces armes soient utilisées au Yémen pour commettre ou faciliter la commission de graves violations du droit international humanitaire ou du droit international relatif aux droits humains.
Malgré ses efforts considérables pour présenter les EAU comme progressistes et tolérants, le prince héritier Mohammed ben Zayed al Nahyan, qui en est le dirigeant de facto, a largement échoué à améliorer le bilan de son pays en matière de droits humains.
Au niveau national, les autorités des EAU ont mené depuis 2011 une offensive en règle contre les libertés d'expression et d'association. En 2014, les EAU ont adopté une loi antiterroriste donnant aux autorités le pouvoir de poursuivre en justice comme terroristes des opposants pacifiques, des dissidents politiques et des activistes des droits humains. Les habitants des EAU s’étant exprimés sur les questions de droits humains courent de sérieux risques d'arrestation arbitraire, de disparition forcée, d'emprisonnement et de torture. Beaucoup d'entre eux purgent actuellement de longues peines de prison ou ont quitté le pays sous la pression.
En mars 2017, les EAU ont arrêté Ahmed Mansoor, un défenseur des droits humains dont l’action a été primée, sur des accusations relatives à ses prises de position et l'ont détenu au secret pendant plus d'un an. Il a été condamné à dix ans de prison le 29 mai 2018 pour des crimes qui semblent violer son droit à la liberté d'expression.
Les tribunaux des EAU ont également prononcé une peine de dix ans de prison en mars 2017 contre un universitaire de renom, Nasser ben Ghaith, que les autorités avaient fait disparaître de force en août 2015, pour des chefs d'inculpation qui incluaient des critiques pacifiques des autorités émiraties et égyptiennes.
Le 4 octobre, le Parlement européen a adopté une résolution aux termes vigoureux appelant à la libération immédiate de Mansoor et de tous les autres « prisonniers de conscience » aux EAU. Cette résolution exprimait l'inquiétude du Parlement quant au fait que « les attaques contre les membres de la société civile, notamment les efforts pour réduire au silence, emprisonner ou harceler les activistes des droits humains, les journalistes, les avocats, ainsi que d'autres citoyens, sont devenues de plus en plus fréquentes ces dernières années. » Elle affirmait que les institutions européennes devraient faire du respect des activistes des droits humains « une condition préalable à tout nouveau renforcement des relations entre l'UE et les EAU. »
En outre, malgré quelques réformes dans ce domaine, de nombreux travailleurs migrants aux salaires très bas demeurent extrêmement vulnérables au travail forcé. Le système du kafala (parrainage des visas) a pour effet de lier les travailleurs migrants à leurs employeurs. Ceux qui quittent leur employeur sont passibles de sanctions pour « abandon de poste », y compris d'amendes, de peines de prison et d'expulsion. Une loi de 2017 a élargi le champ d'application d'importantes protections sociales aux employées de maison, qui étaient précédemment exclues de telles garanties, mais ses dispositions restent plus faibles que celles du droit du travail du pays.
Pourtant, ces dernières années, les EAU et la France ont renforcé leurs relations bilatérales dans un grand nombre de domaines, y compris la sécurité et les échanges commerciaux et culturels. En 2017, la France a accru ses ventes d'armes aux EAU et a inauguré le musée du Louvre d'Abou Dhabi en dépit de graves préoccupations concernant des abus du droit du travail lors des travaux de construction du musée. Le 11 octobre, les EAU ont rejoint l'Organisation internationale de la francophonie, qui encourage la diffusion de la langue et des valeurs françaises, en tant que membre associé, bien que les droits humains et les principes démocratiques soient au cœur de la charte de cette organisation.
« En ne s’attaquant pas à la question des graves violations des autorités émiraties au Yémen, la France risquerait de passer sous silence une sombre réalité », a affirmé Bénédicte Jeannerod. « Malgré les apparences, les EAU se sont maintes fois montré réfractaires à l’amélioration de la situation des droits humain, sur leur propre sol comme à l'étranger. »
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