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Cameroun : Nouvelles attaques contre des civils menées par les forces de sécurité et par les séparatistes

Au moins 170 civils ont été tués et des centaines d’habitations ont été incendiées

(Nairobi, le 28 mars 2019) – Les forces gouvernementales ont tué plusieurs dizaines de civils, recouru à la force de manière indiscriminée et incendié des centaines d’habitations au cours des six derniers mois dans les régions anglophones du Cameroun, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Des séparatistes armés ont attaqué et enlevé des dizaines de personnes durant cette même période, exécutant au moins deux hommes, dans un climat marqué par une violence croissante et par la multiplication des appels à la sécession des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.

La violence s’est intensifiée depuis octobre 2018, les forces gouvernementales ayant mené des opérations de sécurité de grande ampleur et les séparatistes ayant lancé plusieurs attaques. Le gouvernement camerounais devrait enquêter sur les allégations d’atteintes aux droits humains et garantir la protection des civils lors des opérations de sécurité. Les chefs séparatistes devraient immédiatement ordonner à leurs combattants et à leurs sympathisants de mettre fin à toutes les atteintes aux droits humains et de cesser d’entraver la scolarité des enfants.

« Les autorités camerounaises sont dans l’obligation d’apporter une réponse conforme au droit et de protéger les droits des populations pendant les périodes de violence », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « En ciblant les civils, le gouvernement fait preuve d’une réaction disproportionnée qui est contre-productive et risque de provoquer davantage de violence. »

Depuis le mois d’octobre, au moins 170 civils ont été tués lors de plus de 220 incidents qui se sont produits dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, d’après les médias et la recherche de Human Rights Watch. Étant donné la persistance des affrontements et la difficulté à obtenir des informations dans des zones reculées, le nombre de civils décédés lors de ces incidents est probablement plus élevé.

Human Rights Watch a interrogé 140 victimes, membres de leurs familles et témoins entre décembre et mars, dont 80 en personne dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest en janvier.

À l’automne 2017, les forces de sécurité camerounaises ont réprimé des manifestations de grande ampleur organisées pour fêter l’indépendance symbolique des régions anglophones vis-à-vis des zones francophones du pays ; ces incidents ont fait plus de 20 morts parmi les manifestants. Depuis, l’émergence de groupes séparatistes armés s’est accompagnée d’attaques et d’une hausse de la militarisation des régions anglophones. Ces troubles ont provoqué le déplacement de plus d’un demi-million de personnes depuis la fin de 2016.

Les recherches menées par Human Rights Watch indiquent que, depuis octobre dernier, les forces de sécurité, dont des militaires, des membres du Bataillon d’intervention rapide (BIR) et des gendarmes, ont tué des civils, recouru à la force de manière indiscriminée, et détruit et pillé des biens privés et publics.

Lors d’un de ces cas, des témoins ont déclaré que les forces de sécurité camerounaises avaient attaqué en novembre le village d’Abuh, dans la région du Nord-Ouest, et réduit en cendres tout un quartier. Des images satellitaires et des preuves photographiques obtenues par Human Rights Watch montrent que jusqu’à 60 structures ont été détruites.

Une femme d’une quarantaine d’années a affirmé s’être cachée pendant trois jours dans la campagne environnante avec ses cinq enfants après cette attaque : « Quand je suis rentrée au village, ma maison avait disparu, avec tout ce qui se trouvait à l’intérieur. Il ne me reste que les vêtements que j’ai sur le dos. »

Le manque quasi-total de poursuites en justice lancées par le gouvernement pour les crimes commis par les forces de sécurité dans les régions anglophones a permis de protéger les responsables, et a alimenté les exactions.

Au moins 31 membres des forces de sécurité ont été tués lors d’opérations entre octobre et février dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, d’après des rapports crédibles émanant de médias et des informations recueillies par Human Rights Watch.

Des témoins ont déclaré que des séparatistes avaient attaqué des fonctionnaires, des enseignants et des élèves, les empêchant de rentrer chez eux ou de se rendre à l’école.

Le nombre d’enlèvements perpétrés par les séparatistes a aussi considérablement augmenté, y compris les cas de plus de 300 élèves de moins de 18 ans qui ont été enlevés lors d’au moins 12 incidents. Tous ont été libérés, pour la plupart après versement d’une rançon.

Lors d’un cas, un homme d’une cinquantaine d’années a affirmé que des séparatistes l’avaient enlevé et détenu dans le but d’obtenir une rançon quelques jours après l’élection présidentielle d’octobre—à laquelle les séparatistes étaient opposés—alors qu’il se rendait en voiture de Kumba à Buea, dans la région du Sud-Ouest. On l’a emmené dans une base reculée dirigée par les Forces de Restauration de l’Ambazonie (Ambazonia Restoration Forces, ARF) —l’un des groupes séparatistes armés opérant dans les régions anglophones et affiliés au Gouvernement intérimaire d’Ambazonie—, où il déclare avoir vu des combattants exécuter deux jeunes hommes. « On les accusait d’être allés voter », a-t-il précisé. « Ils ont été battus à mort. »

Les partenaires du Cameroun, en particulier la France, devraient accroître les pressions qu’ils exercent sur le gouvernement camerounais afin que les responsables soient tenus de rendre compte de leurs actes et s’assurer que tout soutien accordé aux forces de sécurité camerounaises ne contribue pas à des atteintes aux droits humains ou ne les facilitent pas. Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies devrait demander au Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) ou à d’autres experts de l’ONU de mener une mission exploratoire sur les allégations d’atteintes aux droits humains au Cameroun. Les membres du Conseil de sécurité de l’ONU devraient formellement ajouter la question du Cameroun à l’ordre du jour du Conseil, demander au Secrétaire général de l’ONU l’organisation d’une réunion d’information sur cette situation, et indiquer sans équivoque que les responsables d’atteintes graves aux droits humains risquent de faire l’objet de sanctions.

« Il faut absolument que le gouvernement camerounais rétablisse l’État de droit dans les régions anglophones et exige des personnes qui s’en prennent aux civils qu’elles rendent compte de leurs actes », a indiqué Lewis Mudge. « Les chefs des groupes séparatistes devraient cesser de commettre des exactions à l’encontre des civils, et montrer qu’ils sont disposés à résoudre cette crise. »

Le 12 février, Human Rights Watch a adressé un courrier présentant ses conclusions à Ferdinand Ngoh Ngoh, secrétaire général de la Présidence du Cameroun, en lui demandant de répondre à différentes questions. La réponse du gouvernement, datée, du 22 mars, nie que les forces de sécurité aient commis les exactions documentées dans ce rapport. Le gouvernement a ajouté que ses forces de sécurité suivaient toutes une formation aux droits humains avant d’être déployées et qu’une trentaine de cas étaient en instance de jugement devant les tribunaux militaires de Bamenda et de Buea pour différents crimes dont des actes de torture, la destruction de biens, le non-respect de consignes et des vols.

Informations complémentaires

Violations des droits humains commises par les forces de sécurité

Dans un souci de protection des témoins et de leurs familles, Human Rights Watch s’abstient de divulguer l’identité de certaines victimes et personnes interrogées.

Attaques de villages

Rom et Nsah (région du Nord-Ouest du Cameroun), 21 octobre

Quatre habitants de Rom ont affirmé à Human Rights Watch que des militaires et des gendarmes avaient attaqué leur village et la localité voisine de Nsah dans la soirée du 21 octobre, forçant les résidents à fuir dans la brousse. Les forces de sécurité ont tué au moins quatre civils, dont un jeune homme atteint d’une invalidité physique qui se déplaçait en fauteuil roulant. Un habitant de Nsah a déclaré :

Alors que tous les villageois s’enfuyaient, il n’a pas pu s’échapper. Quand les militaires se sont rapprochés de l’endroit où il vivait, ses deux grands-mères l’ont enfermé dans la maison. Les militaires sont arrivés et ont demandé aux femmes où se trouvait son père. Ils l’ont sorti de force de la maison et l’ont tué. Il est tombé de son fauteuil roulant après avoir été abattu.

Les forces de sécurité ont également incendié jusqu’à vingt bâtiments à Rom et Nsah, dont des habitations, des commerces et une église baptiste. Des membres de la communauté ont affirmé que, redoutant de nouvelles attaques, un tiers de la population de la ville, d’après leurs estimations, vivait dans la brousse ou dans des localités voisines.

Abuh, Muteff et Ngwah (région du Nord-Ouest), 19-21 novembre

Cinq témoins ont affirmé que des militaires, des membres du Bataillon d’intervention rapide (BIR) et des gendarmes avaient lancé une opération sécuritaire de trois jours dans les villages d’Abuh, de Muteff et de Ngwah le 19 novembre. Des séparatistes armés opéraient dans la zone au moins depuis le mois de juillet. Des témoins ont expliqué que des militaires avaient incendié jusqu’à 60 habitations à Abuh, précisant que, d’après eux, les forces de sécurité avaient pris des mesures de représailles à l’encontre des civils soupçonnés d’abriter secrètement des séparatistes. Des images satellitaires ont permis à Human Rights Watch de confirmer ces incendies. Les forces de sécurité ont également mis le feu à trois habitations à Muteff et partiellement détruit la mairie d’Abuh, pillant et incendiant des panneaux solaires dont une organisation caritative avait fait le don.

Image satellite montrant plus de 60 bâtiments qui ont été détruits à Abuh, dans la région du Nord-Ouest au Cameroun, entre le 16 et le 21 novembre 2018. © 2019 Planet Labs Inc.

Un homme de 51 ans, qui a couru se réfugier dans les collines environnantes lorsque les forces de sécurité se sont approchées d’Abuh, a témoigné sur ce qu’il avait observé depuis sa cachette : « L’incendie a duré trois jours. Nous avons vu les militaires détruire nos maisons. » L’habitation de cet homme a été incendiée le deuxième jour—d’après lui, c’est ce jour-là que les plus importantes destructions ont eu lieu : « J’avais une grande maison. Il n’y a plus rien. Je n’ai pas encore évalué les dégâts. Chaque fois que j’essaie de le faire, ça me rend malade. » 

Les cinq témoins ont tous confirmé qu’il n’y avait pas eu de confrontations entre les forces de sécurité et les séparatistes. Un autre habitant d’Abuh a déclaré que les séparatistes, qui s’étaient établis dans le quartier ciblé, ont pris la fuite à l’arrivée des forces de sécurité : « Il n’y a eu aucun affrontement pendant ces trois jours. Juste les militaires qui ont incendié nos maisons. C’était comme une vengeance. » 
 
Une maison du village d’Abuh (région du Nord-Ouest), au Cameroun, qui a été incendiée par les forces de sécurité le 19 novembre 2018.   © 2018 Privé
Avant d’entrer dans Abuh, les forces de sécurité ont fait un arrêt dans le village de Ngwah, où ils ont tué deux hommes âgés à leur domicile et abattu une femme âgée, qui est ensuite décédée à l’hôpital, d’après deux résidents.
 
Dans son courrier du 22 mars adressé à Human Rights Watch, le gouvernement camerounais a indiqué que les opérations menées par l’armée nationale à Abuh, Muteff et Ngwah du 19 au 21 novembre avaient eu deux objectifs : protéger la communauté Fulani qui subissait les exactions sécessionnistes, et sécuriser la zone « en procédant, le cas échéant, à la neutralisation des auteurs de ces exactions contre les populations civiles ». 
 
Bali (région du Nord-Ouest), 22 novembre

Des résidents de Boh-Nanden, un quartier du village de Bali, ont déclaré s’être enfuis dans la brousse en entendant l’attaque lancée par les Forces de restauration de l’Ambazonie contre un camp situé non loin de là. Sept témoins et cinq autres personnes ont affirmé que le corps d’un civil avait été piégé avec des explosifs après l’attaque. D’après eux, il s’agissait du corps d’un homme de 21 ans qui rentrait chez lui peu après la fin des tirs. Des personnes qui regagnaient le village un peu plus tard ont trouvé son corps dans la rue. Alors qu’ils soulevaient son cadavre, un engin explosif auquel il avait vraisemblablement été relié a détoné, tuant deux autres civils et en blessant au moins onze, ont déclaré les témoins et cinq personnes blessées lors de l’incident.

L’un des survivants, qui a perdu une jambe dans l’incident, a déclaré que la victime piégée était le fils d’un voisin : « Il avait reçu une balle dans la tête. Je me suis porté volontaire avec [cinq] hommes pour lever sa dépouille et l’emporter afin qu’il soit enterré. Alors que nous le soulevions, nous avons entendu une forte explosion. Je n’ai rien compris. Je me suis retrouvé couvert de sang et j’avais mal à la jambe gauche. J’ai dû attendre jusqu’à 17 heures avant qu’on m’emmène à l’hôpital. Personne ne voulait bouger, avec les militaires dans les parages. »

Des récits de trois autres victimes et témoins, appuyés par des photographies et des vidéos recueillies par Human Rights Watch, indiquent que les gendarmes ont ensuite incendié au moins 13 maisons dans différents quartiers de Bali, y compris à Boh-Nanden, Press Craft Street et Tih. Un homme d’affaires a déclaré que les gendarmes avaient ciblé son domicile parce qu’il avait un commerce près du camp séparatiste de Boh-Nanden et qu’il était accusé de servir des boissons aux séparatistes : « J’ai vu les gendarmes arriver à bord de trois véhicules blindés. Ils ont commencé par tirer sur ma maison, puis huit [gendarmes] sont descendus, ont versé de l’essence et ont tout brûlé. »

Kumbo, Meluf, Kikaikom et Nyaro (région du Nord-Ouest)

Depuis la mi-2018, la division de Bui est déchirée par la violence, sa ville principale, Kumbo, ayant pratiquement été coupée du reste de la région. Des résidents ont déclaré que des affrontements répétés entre les séparatistes et les forces de sécurité limitaient gravement les déplacements.

Des témoins ont affirmé que, fin juillet, des militaires, des membres du BIR et des gendarmes avaient pris d’assaut le quartier Njavnyuy de Kumbo, à la recherche de séparatistes. Ils se sont introduits dans des maisons, ont détruit ou pillé des biens, arrêté au moins cinq hommes, ainsi qu’un garçon de 14 ans, et les ont battus devant chez eux.

Les troupes ont ensuite emmené les hommes et le garçon au quartier général de la gendarmerie à Kumbo, où les détenus disent avoir découvert des gendarmes en train de tabasser au moins 25 autres détenus. « Ils n’ont pas arrêté de nous battre, utilisant tout ce qu’il leur passait sous la main », a déclaré l’un d’entre eux. « J’ai vu trois hommes qui avaient reçu des balles dans les jambes et perdaient beaucoup de sang. »

L’un des cinq hommes est décédé au quartier général de la gendarmerie, apparemment des suites de son passage à tabac. Un autre détenu a expliqué : « [La victime] était mal-en-point, elle gisait là, impuissante. Au moment où les militaires nous tabassaient devant chez nous, lui a été frappé au cou avec un gros bâton en bois que le BIR avait trouvé dehors. Je pense que c’est ce qui l’a tué. »

Trois survivants ont affirmé que les gendarmes ont ensuite emmené à bord d’un véhicule la dépouille de cet homme ainsi qu’un autre homme, encore en vie, qui faisait partie des six personnes arrêtées à Njavnyuy. Le lendemain, les corps des deux hommes ont été retrouvés abandonnés dans une rue du village de Jakiri. Les autres hommes et le garçon ont été relâchés.

Depuis l’élection présidentielle du mois d’octobre, les affrontements entre les séparatistes armés et les forces de sécurité se sont multipliés, entraînant une hausse des exactions commises par les deux parties. Par exemple, des militaires se sont livrés à des actes de violence aveugle à Kumbo et dans des localités voisines entre les 3 et 6 décembre, à la suite d’affrontements avec des séparatistes armés, incendiant des dizaines d’habitations et tuant des civils. Des photographies, des vidéos et une analyse satellitaire indiquent que les militaires ont incendié plus de 55 habitations dans les quartiers de Kumbo connus sous les noms de SAC Junction et Romajay, ainsi qu’à Meluf, Kikaikom et Nyaro.

Un enseignant de SAC Junction a affirmé que des militaires avaient incendié sa maison et plus de vingt autres, ainsi qu’un centre de formation professionnelle voisin à l’issue d’affrontements avec des séparatistes armés le 3 décembre. Lorsque les coups de feu ont débuté, vers 5h30 du matin, il s’est caché chez lui, tout en observant les militaires qui incendiaient la maison de son voisin. Vers 10 heures, les militaires se sont présentés chez lui :

J’étais par terre. Je regardais par un trou et j’ai vu que huit soldats se tenaient devant ma maison. L’un d’eux a hurlé en français : « On brûle ! » Ensuite, j’ai senti qu’on aspergeait un produit chimique, et très vite un incendie s’est déclaré et il y avait de la fumée très noire partout […] Je me suis caché dans la grande fosse derrière la maison pendant cinq heures, en assistant à la destruction de ma maison et de ma voiture.

Les décombres d’un centre de formation professionnelle situé dans le quartier de SAC Junction à Kumbo (région du Nord-Ouest), au Cameroun, qui a été incendié le 3 décembre 2018.   © 2018 Privé

Le 5 décembre, l’armée a tué sept personnes à Meluf, dont un homme de 70 ans ayant une déficience auditive qui a été brûlé vif chez son voisin. Un parent de la victime a expliqué qu’il se trouvait dans la maison lorsque les militaires se sont introduits dans le quartier ce matin-là : « [Ils] se sont mis à tirer et à mettre le feu, tout le monde s’est enfui. Lui n’a rien entendu. Il était seul. La maison a été incendiée alors qu’il était à l’intérieur. »

Dans son courrier du 22 mars adressé à Human Rights Watch, le gouvernement camerounais a écrit que l’opération militaire menée à Meluf avait eu pour but d’empêcher une évasion massive de la prison « planifiée par les groupes terroristes pour alimenter leurs rangs en combattants ».

Cette violence s’est poursuivie en 2019. Le 23 janvier, un groupe composé de militaires, de membres du BIR et de gendarmes a fait une descente sur Rohkimbo, un quartier de Kumbo, pour tenter d’y trouver des séparatistes. Des témoins ont déclaré que les forces de sécurité se sont mises à tirer aveuglément. Effrayés par les coups de feu, certains résidents se sont réfugiés autour d’une maison. Les forces de sécurité ont ciblé la maison et plusieurs balles ont pénétré dans les murs, tuant une fillette d’un an et blessant sa mère et son frère.

Dans son courrier du 22 mars adressé à Human Rights Watch, le gouvernement camerounais a écrit qu’entre le 21 et le 22 janvier, suite aux affrontements entre les forces de sécurité et les séparatistes, une maison dans laquelle les séparatistes se cachaient s’était embrasée à cause de la présence de produits pétroliers de contrebande. Il a ajouté que bien qu’aucune victime civile n’ait été signalée dans l’incendie, la gendarmerie avait ouvert une enquête.

Du 16 au 19 février, lors d’un incident qui semble avoir été une forme de représailles à l’encontre de résidents perçus comme étant des sympathisants de la cause séparatiste, les forces de sécurité ont incendié une soixantaine de maisons et de commerces à Kumbo. Des images satellitaires obtenues par Human Rights Watch montrent que des bâtiments ont été détruits dans trois principales zones de Kumbo ainsi que dans des villages voisins. Le nombre réel de bâtiments détruits est probablement plus élevé en raison des limitations associées à la résolution de l’imagerie satellitaire.

Image satellite montrant plus de 115 maisons qui ont été détruites à Kumbo, dans la région du Nord-Ouest au Cameroun, depuis le 1er décembre 2018. © 2019 Planet Labs Inc.

Bole Bakundu (région du Sud-Ouest)

Le 6 février, des militaires du BIR ont pris d’assaut le marché de Bole Bakundu, tuant jusqu’à dix hommes, d’après six témoins et quatre résidents qui vivent à proximité et qui se sont entretenus avec des témoins et des blessés. Des membres de la communauté ont estimé qu’il s’agissait de représailles de la part des forces de sécurité à l’encontre des civils accusés de collaborer avec les séparatistes. Des témoins ont affirmé que des militaires étaient arrivés au marché vers 8h30 et s’étaient mis à tirer des coups de feu aveugles. Une femme de 34 ans qui se trouvait au marché avec ses enfants ce jour-là a déclaré : « Il y avait beaucoup de monde au marché. J’ai vu le BIR tirer sur les hommes comme des chiens, au hasard. Des membres du BIR ont même demandé à certains de mettre les mains en l’air tandis qu’ils leur tiraient dessus. »

Des résidents ont confirmé que des séparatistes opéraient près de ce village et avaient construit un barrage routier au niveau du « Mile 15 » à Bole Bakundu le 3 février.

Attaques visant des membres du personnel de santé et les infrastructures sanitaires

Des médias locaux et internationaux et des organisations de défense des droits humains ont signalé que les forces de sécurité et les séparatistes armés avaient tué des professionnels de santé et pris pour cible des infrastructures sanitaires depuis que la crise s’était déclarée dans les régions anglophones. Human Rights Watch a présenté des documents indiquant que les forces de sécurité avaient tué au moins deux professionnels de santé depuis août, dont une infirmière qui était enceinte, qu’ils avaient gravement blessé une autre infirmière et attaqué trois centres de santé.

Le 18 janvier, des militaires ont abattu Fomonyuy Ornella Nyuymingka, une infirmière de 28 ans enceinte de sept mois, alors qu’elle se rendait à son travail à Kumbo (région du Nord-Ouest). Un témoin qui l’a emmenée en urgence à l’hôpital a déclaré que les militaires lui avaient tiré dessus à une distance d’environ 80 mètres, et ce, alors que sa tenue indiquait clairement sa profession. Son meurtre a provoqué une levée de boucliers à Kumbo ; des centaines de personnes se sont rassemblées pour pleurer sa disparition en brandissant des pancartes demandant aux belligérants de cesser de s’en prendre au personnel de santé. Une source médicale a déclaré que l’infirmière avait reçu une balle à la poitrine ; les médecins n’avaient pas réussi à la sauver, ni son bébé.

Dans son courrier du 22 mars adressé à Human Rights Watch, le gouvernement camerounais a écrit que les forces de sécurité avaient mené une opération conjointe sur « un lieu de regroupement des terroristes armés » à Mveh, Kumbo, le 18 janvier, après quoi il y avait eu un échange de tirs entre les forces de sécurité et les séparatistes. Un compte rendu de l’opération « n’a révélé aucune victime civile ». Le gouvernement affirme que l’infirmière ne se trouvait pas dans la zone de tirs directs des militaires. Néanmoins, une enquête est en cours à la gendarmerie.

En novembre, l’armée a détruit et pillé des biens appartenant au personnel médical de l’hôpital baptiste Banso de Kumbo, dans la région du Nord-Ouest, y compris des ordinateurs et des motos. Les militaires ont tiré à bout-portant sur une infirmière en tenue du même établissement alors qu’elle rentrait chez elle à Kumbo en décembre. Début mars, des militaires se sont de nouveau introduits dans cet hôpital à la recherche d’un séparatiste blessé qu’ils soupçonnaient de s’y faire soigner. Le 17 février, des militaires qui recherchaient des séparatistes blessés se sont introduits dans l’hôpital de Shisong (Kumbo, région du Nord-Ouest) et ont tiré plusieurs coups de feu en l’air.

Violence sexuelle

Human Rights Watch a rendu compte de trois cas de violences sexuelles perpétrées par des membres des forces de sécurité. Deux femmes et une fille d’une localité (dont le nom n’est pas divulgué) de la région du Nord-Ouest ont déclaré que des militaires du BIR les avaient violées en janvier. Des travailleurs humanitaires dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest se sont dits préoccupés par la possibilité que des cas similaires ne soient pas signalés.

« Sarah », une mère de 22 ans, a affirmé que deux militaires du BIR l’avaient violée chez elle début janvier : « J’étais dans la cuisine avec mon bébé et une voisine [quand] deux uniformes BIR se sont introduits chez moi. » Comme elle ne pouvait leur dire où se trouvaient les séparatistes, un militaire a menacé de la tuer : « Il m’a mise par terre tandis que l’autre me tenait les mains. Il m’a violée. Puis l’autre m’a violée également. Après ça, l’un d’eux m’a demandé s’il fallait qu’il me donne de l’argent, environ 5 000 ou 10 000 francs CFA (8 ou 16 dollars US). L’autre a répondu : ‘Il faut juste qu’on parte, qu’on parte vite.’ Et ils sont partis. »

Sarah s’est rendue le jour-même dans un centre médical pour y recevoir un traitement post-viol. Cependant, elle affirme ne pas avoir signalé l’attaque sexuelle aux autorités parce qu’elle avait honte et peur d’être stigmatisée. Elle a expliqué que depuis son viol, elle souffrait d’anxiété et d’insomnie et qu’elle avait demandé de l’aide à une organisation religieuse.

Lors d’un autre incident, également en janvier, trois militaires du BIR ont violé une femme de 23 ans et une fille de 17 ans de la même maison. Les victimes, des voisines, ont affirmé que les militaires étaient arrivés vers 20h30 en les accusant de cacher des séparatistes. Les militaires les ont ensuite violées devant deux enfants. Les militaires ont aussi tenté de violer une autre femme de la même maison. Celle-ci a commenté :

Les militaires portaient l’uniforme du BIR. L’un d’eux m’a fait sortir et m’a ordonné de me déshabiller. Je l’ai supplié de me laisser partir. Il a dit qu’il me tuerait si je n’enlevais pas mes vêtements. Il m’a mis son fusil entre les jambes et a tenté de s’introduire de force. J’ai résisté. Mon bébé pleurait fort. J’ai demandé au BIR de me laisser aller voir mon bébé. Il a accepté. C’est ce qui m’a sauvée. Le bébé m’a sauvée, mais quand je suis rentrée, j’ai vu ma sœur et ma voisine par terre. Elles avaient été violées par les deux autres militaires. Quand [les militaires] sont partis, nous avons pleuré.

Les victimes se sont rendues dans un centre de santé où une infirmière leur a prodigué les soins post-viol.

Atteintes aux droits humains par des séparatistes armés

Kidnappings

Human Rights Watch a interrogé neuf personnes qui ont déclaré que des séparatistes les avaient kidnappées entre novembre et janvier et documenté trois cas depuis octobre lors desquels des groupes d’élèves et d’enseignants ont été enlevés ensemble dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Des séparatistes armés ont également ciblé des travailleurs humanitaires nationaux et internationaux, ce qui a affecté le travail d’aide apporté aux zones affectées par le conflit. Des rapports de médias indiquent qu’au moins 350 personnes ont été kidnappées dans le but d’obtenir une rançon depuis octobre 2018, dont 300 élèves. Human Rights Watch a réussi à confirmer plusieurs de ces cas.

La quasi-totalité des victimes ont été libérées après que des parents ou l’administration scolaire avaient versé une rançon. Les ravisseurs ont réclamé entre 100 000 et 1 500 000 francs CFA (entre 170 et 2 500 dollars US) par personne et ont souvent suivi une démarche similaire : bandage des yeux, passage à tabac et menaces. Les ravisseurs ont ensuite ordonné aux victimes d’appeler un membre de leur famille, un ami ou un employeur pour les supplier de donner l’argent en vue de leur libération.

Un homme de 33 ans a expliqué s’être fait kidnapper par des membres du groupe séparatiste armé des Forces de défense de l’Ambazonie (Ambazonia Defense Forces, ADF) et avoir été emmené dans leur camp près de Teke (région du Sud-Ouest) début décembre. Il a constaté que les séparatistes portaient des tee-shirts des ADF et a reconnu le « Général Ivo », commandant séparatiste très connu qui a été tué peu de temps après. L’homme a déclaré avoir passé cinq jours dans le camp des ADF, puis avoir été libéré sans qu’une rançon n’ait été versée : « Il fallait que j’aille aux toilettes et j’ai demandé qu’on me sorte de la pièce où on me gardait. Ils ont accepté, mais en disant qu’il fallait que je paie. Je me suis rendu compte que la monnaie d’échange était un passage à tabac. Ils m’ont tapé dans le dos avec des câbles. »

Lors de tous les cas documentés, les membres des familles des otages se sont abstenus de signaler les kidnappings auprès des autorités, soit parce qu’ils estimaient qu’ils n’obtiendraient aucune aide, soit parce qu’ils avaient peur qu’une opération de sauvetage ne mette leurs proches en danger.

Enlèvements d’élèves et d’enseignants

Depuis début 2017, des séparatistes ciblent régulièrement des bâtiments scolaires et menacent des agents de l’éducation et des élèves avec violence s’ils ne satisfont pas à la revendication séparatiste consistant à boycotter les écoles. Ils se sont également servis des écoles comme de bases, déployant des combattants et des armes dans les bâtiments et à proximité, y compris dans les villages de Koppin (division de Mezam), de Tenkha (division de Ngoketunjia) et de Mbuluf (division de Bui).

Les séparatistes ont enlevé vingt enfants et un enseignant de Lord’s Bilingual Academy, une école bilingue située à Kumba, dans la région du Sud-Ouest, vers 9 heures du matin le 20 novembre. Ils ont été forcés à marcher dans la brousse pendant plus de quatre heures, presque jusqu’à Difang. Trois enfants ont été remmenés chez eux le jour-même à l’issue d’une opération de sauvetage menée par des gendarmes. Les autres se sont échappés pendant cette opération et ont trouvé le chemin du retour avec l’aide d’un résident local.

Des séparatistes ont enlevé six enfants et un enseignant le 14 décembre près de Nkwen, dans la région du Nord-Ouest. Tous apparaissent dans une vidéo filmée par leurs ravisseurs, qui en guise de musique de fond entonnent l’hymne de l’Ambazonie. Human Rights Watch s’est entretenu avec deux parents qui ont confirmé que leurs enfants avaient été enlevés alors qu’ils rentraient de l’école, vers 16 heures. Ils ont précisé que les enfants dans la vidéo étaient scolarisés dans au moins trois établissements de la région. Ils ont tous été libérés six jours plus tard, après versement d’une rançon. Le père de l’un des enfants a déclaré que deux séparatistes à moto avaient enlevé son fils et une camarade de classe :

Les ravisseurs les ont arrêtés sur la route et leur ont ordonné de grimper sur la moto. Les enfants ont résisté, alors l’un des ravisseurs leur a montré une mitraillette… Ils ont bandé les yeux des enfants et les ont emmenés vers le camp [séparatiste]. Là, ils leur ont donné des coups sous la plante des pieds. Ils leur ont expliqué qu’ils avaient été enlevés parce qu’ils allaient à l’école et que les écoles devaient être fermées.

Fuler Ayamba, secrétaire général des Forces de défense de l’Ambazonie (Ambazonia Defence Forces, ADF), a déclaré dans un courrier adressé à Human Rights Watch le 14 mars que les ADF « insistent sur une discipline rigoureuse de la part des combattants » sous ses ordres. Concernant les allégations d’enlèvements de grande ampleur par des séparatistes armés, Ayamba a affirmé que ces enlèvements avaient été menés par le gouvernement pour ternir l’image des ADF et d’autres groupes séparatistes armés ou par des opportunistes désireux d’exploiter la crise dans leur propre intérêt. Les ADF nient avoir été impliqués dans des enlèvements autour de Teke. Human Rights Watch ne saurait confirmer que les ADF exercent un contrôle de commandement sur tous les combattants de leurs zones.

Sako Samuel Ikome, président intérimaire du Gouvernement intérimaire d’Ambazonie, un groupe séparatiste, a déclaré dans un courriel le 19 mars que certains membres des Forces de restauration de l’Ambazonie avaient perpétré des exactions et avaient été sanctionnés par le Gouvernement intérimaire. Ikome a nié que le groupe avait été impliqué dans des enlèvements d’élèves à Nkwen. Il a rejeté la responsabilité de la violence qui sévit dans ces régions sur des bandits et sur des groupes soutenus par le gouvernement.

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