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Burundi : Abus généralisés visant l’opposition

Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait approfondir son suivi et imposer des sanctions ciblées

Une permanence du parti Congrès national pour la liberté (CNL) dans la province de Bubanza, au Burundi, le 8 juin 2019. Le CNL a pu organiser des rassemblements et des réunions depuis février, mais des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, connue sous le nom d’Imbonerakure, ont mené une campagne concertée d’arrestations et de violences contre ses membres. © 2019 Privé

(Nairobi) – Les autorités du Burundi et des jeunes affiliés au parti au pouvoir ont battu, arrêté arbitrairement, fait disparaître et tué des dizaines d’opposants politiques réels ou supposés. Une campagne concertée contre ceux qui sont perçus comme étant opposés au parti au pouvoir continue depuis le référendum constitutionnel de mai 2018, mais les abus semblent avoir augmenté depuis l’accréditation d’un nouveau parti d’opposition en février.

Des membres des Imbonerakure, la ligue des jeunes affiliée au Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), et des autorités locales continuent de mettre une pression intense sur la population pour qu’elle adhère au parti au pouvoir à l’approche des élections présidentielles prévues pour 2020, particulièrement dans les zones rurales. La ligue des jeunes et des administrateurs locaux ont réagi à l’enregistrement du Congrès national pour la liberté (CNL) par des abus généralisés, et n’ont subi quasiment aucune conséquence de leurs actes, dans au moins huit des dix-huit provinces du pays, a constaté Human Rights Watch.

« La violence alarmante est stimulée par l’impunité qui règne au Burundi, et les cas que nous avons documentés ne sont probablement que la partie visible de l’iceberg », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Certains administrateurs locaux et membres des Imbonerakure terrorisent la population à l’abri des regards, en raison de l’absence des médias indépendants et de la société civile. »

L’engagement du Conseil de sécurité des Nations Unies vis-à-vis de la situation du Burundi a décliné ces dernières années, alors que la situation dans le pays se dégrade. Il a l’opportunité de renverser cette tendance, notamment lors de sa réunion du 14 juin 2019 sur le Burundi. La première mesure à prendre de toute urgence serait d’imposer des interdictions de voyager et des gels des avoirs, a déclaré Human Rights Watch, à l’encontre des personnes responsables des graves violations des droits humains actuellement commises au Burundi.

Human Rights Watch a mené des entretiens téléphoniques avec 33 victimes, proches de victimes et témoins dans les provinces de Bubanza, Cibitoke, Gitega, Karusi, Kirundo, Muramvya, Muyinga, Ngozi et Rumonge, ainsi qu’à Bujumbura, entre février et mai. En mai, ses chercheurs se sont également entretenus avec 30 réfugiés ayant quitté le Burundi suite au référendum de mai 2018.

Human Rights Watch a documenté au moins trois meurtres, quatre disparitions et vingt-quatre arrestations arbitraires de membres de l’opposition réels ou perçus comme tels dans huit provinces depuis janvier 2019. Human Rights Watch a aussi documenté trois meurtres et une disparition datant d’après le referendum de mai 2018. Le nombre de victimes est probablement plus élevé, mais les chercheurs de Human Rights Watch n’ont pas été en mesure de vérifier les dizaines d’autres allégations crédibles qu’ils ont reçues. Le gouvernement n’a pas répondu à une lettre envoyée par Human Rights Watch le 3 juin, lui demandant de clarifier si les autorités enquêtaient sur ces abus pour s’assurer que les responsables répondent de leurs actes.

Même si le nouveau parti a pu organiser quelques rassemblements et réunions, depuis février, lorsqu’il a été enregistré, des membres des Imbonerakure ont arrêté et passé à tabac des dizaines de membres du CNL, les accusant souvent de participer à des « réunions illégales ».

En avril, un enregistrement d’un officier de police menaçant des membres du CNL lors d’une réunion publique a été partagé sur les réseaux sociaux : « Vous qui organisez des réunions la nuit... Si vous voulez perturber la sécurité, j’en finirai avec vous sur place, et si vous êtes avec votre femme et vos enfants, vous partirez ensemble. » Une source policière a confirmé à Human Rights Watch que l’enregistrement était authentique. Elle a ajouté que bien qu’aucun ordre n’ait été explicitement donné, « il [suffit] qu’un responsable administratif pointe quelqu’un du doigt, en disant que cette personne est un militant du CNL, pour qu’il soit arrêté et accusé d’avoir participé à une réunion illégale ».

Le parti était auparavant connu sous le nom de Forces nationales de libération (FNL), un groupe armé qui est resté actif jusqu’à sa démobilisation en 2009, puis s’est transformé en parti politique. Son leader, Agathon Rwasa, qui s’était présenté à l’élection présidentielle de 2015 à la tête d’une coalition politique appelée Amizero y’Abarundi (« L’Espoir des Burundais »), a fait enregistrer le nouveau parti lorsque les amendements de la constitution votés lors du référendum de mai 2018 l’ont empêché de se présenter comme candidat indépendant à celle de 2020.

Le Burundi fait face à une crise sur le plan politique, humanitaire et des droits humains depuis avril 2015, lorsque le président Pierre Nkurunziza a décidé de se présenter pour un troisième mandat contesté. Le référendum constitutionnel du 17 mai 2018 s’est tenu dans un contexte de mauvais traitements généralisés envers les civils commis par les autorités locales, la police et les membres des Imbonerakure – qui n’ont subi aucune conséquence. La période suivant le référendum a été entachée d’abus contre ceux qui avaient voté contre les amendements constitutionnels ou qui étaient soupçonnés d’avoir incité d’autres à voter contre. Depuis avril 2015, des membres des Imbonerakure ont arrêté, frappé ou agressé des dizaines de membres des FNL (maintenant le CNL) dans tout le pays.

Des membres des Imbonerakure et des fonctionnaires locaux ont arrêté de façon arbitraire au moins 24 membres du CNL réels ou supposés depuis l’enregistrement de ce parti en février. Les membres des Imbonerakure, qui n’ont pas d’autorité légale pour procéder à des arrestations, ont souvent battu les victimes avant de les emmener au cachot local. Certaines victimes ont été libérées après une ou deux semaines de détention, mais d’autres ont été transférées dans les prisons centrales de leur province, où elles restent en détention et ont été inculpées.

Cinq personnes arrêtées par les Imbonerakure, les agents du service national de renseignement ou la police sont toujours portées disparues. Trois membres réels ou supposés de l’opposition sont morts suite à des passages à tabac ou des agressions par les membres des Imbonerakure ou du CNDD-FDD depuis janvier ; trois personnes sont décédées dans des circonstances mal définies, après avoir confié à leur famille qu’elles subissaient des pressions intenses pour adhérer au parti au pouvoir suite au référendum de mai 2018.

En mai 2019, les chercheurs de Human Rights Watch se sont entretenus avec 8 membres du CNL qui ont déclaré qu’ils avaient fui le Burundi après le référendum de 2018 suite à des menaces de la part des membres des Imbonerakure. Plusieurs réfugiés ont déclaré que pendant et après le référendum, s’ils refusaient d’adhérer au parti au pouvoir, ils étaient accusés de faire partie des FNL (désormais appelées le CNL) et harcelés.

Un réfugié a témoigné qu’en septembre 2018, il avait été obligé de partir sans sa femme et ses trois enfants, après que des membres des Imbonerakure étaient venus chez lui à trois reprises lui demander d’adhérer au parti au pouvoir et l’avaient menacé de s’en prendre à lui s’il ne le faisait pas. Une autre personne a déclaré qu’elle avait quitté le Burundi car des membres des Imbonerakure lui avaient dit : « Nous allons vous tuer, toi et ta famille, si tu ne rejoins pas le CNDD-FDD. »

Si le Conseil de sécurité de l’ONU impose des sanctions individuelles aux responsables burundais, il devrait également mettre en place un groupe d’experts chargé de documenter les crimes et violations graves. Ce groupe devra identifier les responsables burundais, aussi bien du gouvernement que de l’opposition, qui sont en premier lieu coupables des exécutions sommaires, des tortures et des autres graves atteintes aux droits humains.

Le cadre de sanctions devra veiller à ne pas affecter la distribution de l’assistance humanitaire. Par ailleurs, il faudra garantir un recours permettant à ceux qui sont ciblés de contester les sanctions ainsi que des dispositions pour les lever ou les suspendre si les personnes sanctionnées remédiaient aux abus ou si les autorités burundaises se chargeaient de les traduire en justice comme il se doit. Les gels des avoirs et les interdictions de voyager cibleraient directement les auteurs des abus et auraient un effet négatif limité sur la population dans son ensemble.

Un réfugié dans le camp de Mulongwe, République démocratique du Congo. © 2018 Privé

Dans de nombreux d’incidents documentés par Human Rights Watch, les membres des Imbonerakure, les services de renseignements et les forces de sécurité semblaient coopérer afin d’intimider, d’attaquer et d’arrêter les opposants présumés. La Commission d’enquête de l’ONU sur le Burundi a d’ailleurs estimé que le gouvernement exerçait souvent un contrôle effectif sur les Imbonerakure. Les membres du Conseil de sécurité devraient inviter la Commission à New York pour qu’elle leur présente ses conclusions.

« Les membres des Imbonerakure ont invariablement été protégés de la justice et les responsables des abus continuent à semer la peur dans la population », a conclu Lewis Mudge. « Les autorités devraient les rappeler à l’ordre de toute urgence et rendre justice aux victimes et à leurs familles, afin de restaurer l’état de droit dans le pays avant les élections prévues pour l’an prochain. »

Informations complémentaires sur les cas de harcèlement, les arrestations arbitraires, les disparitions et les meurtres dopposants politiques réels ou supposés

Les membres des FNL ont été particulièrement ciblés depuis les élections de 2010, que l’opposition a boycottées, ce qui a donné au CNDD-FDD un quasi-monopole du pouvoir. De 2010 à 2012, les meurtres d’opposants politiques réels ou supposés ont nettement augmenté. Agathon Rwasa et sa coalition ont boycotté les élections présidentielle et législatives de 2015 pour protester contre l’intimidation et la violence qu’ils subissaient à l’approche du scrutin. Rwasa a tenté de faire enregistrer le rassemblement FNL-Amizero y’Abarundi en tant que parti après que la constitution de mai 2018 a interdit les candidatures de coalitions d’indépendants. Sa demande ayant été rejetée, il a enregistré le CNL en février.

En mai, Human Rights Watch a interviewé 30 personnes ayant fui le Burundi suite au référendum de 2018. La plupart ont décrit qu’ils avaient quitté le pays par crainte d’être ciblés ou après que hommes soupçonnés d’être membres des Imbonerakure avaient tué des membres de leur famille ou des voisins. Entre février et mai, Human Rights Watch a également mené des entretiens téléphoniques avec 33 personnes dans dix provinces du Burundi.

Meurtres, disparitions

Au moins six opposants réels ou supposés ont été tués et cinq autres sont portés disparus après avoir été vus pour la dernière fois avec des agents de la police, du service national de renseignement, ou des Imbonerakure.

Dans un des cas documentés par Human Rights Watch, des membres des Imbonerakure ont passé à tabac au moins dix membres du CNL et d’autres groupes d’opposition dans la commune de Butihinda, dans la province de Muyinga, le 21 avril. Plusieurs témoins et sources proches des victimes ont confirmé qu’une des victimes était décédée et qu’au moins cinq autres avaient été arrêtées, et pour certaines, avaient fait l’objet d’accusations de perturbation de l’ordre public ou d’atteinte à la sûreté de l’État. Human Rights Watch n’a reçu aucune information indiquant que les agresseurs présumés aient été arrêtés ou aient dû rendre compte de leurs actes.

Des témoins ont reconnu le groupe de membres locaux des Imbonerakure, qui étaient armés de gourdins et de barres de fer. « Ils se sont regroupés autour dun homme avec leurs gourdins, le frappant pendant plus de 15 minutes », a rapporté un témoin. Des sources proches d’Aloys Ncishubwenge, le membre d’un parti d’opposition qui a été tabassé cette nuit-là, ont témoigné qu’il était mort de ses blessures. Des habitants du voisinage ont rapporté qu’au moins trois membres du CNL avaient été arrêtés après avoir assisté à sa veillée funéraire et accusés d’avoir pris part à une réunion illégale.

Des témoins ont déclaré que les membres des Imbonerakure accusaient les victimes de faire partie de l’opposition et leur ordonnaient, tout en les frappant, de quitter le CNL. La même nuit, des membres des Imbonerakure ont battu la femme d’un membre du CNL et l’ont avertie que sa famille « en paierait le prix » si son mari n’adhérait pas au parti au pouvoir.

Dans la province de Kirundo, en mars, un membre de la ligue des jeunes du parti au pouvoir a tué Aimable Ndayizeye, un membre du CNL, en le poignardant. Un membre local du CNL, qui était présent, a témoigné : « Aimable était un pilier du CNL dans notre colline, et le CNDD-FDD le savait. Ils voulaient étouffer le CNL, alors ils sen sont pris à son leader, et cétait Aimable. Nous ne savons pas ce que nous allons faire à présent. » L’agresseur présumé, qui a été identifié par des témoins et dont l’identité a été confirmée par une source au sein du parti au pouvoir, est en détention. Il n’est pas clair s’il a été mis en examen.

Carte d’identité d’un membre du Congrès national pour la liberté (CNL) tué dans la province de Kirundo, au Burundi, en mars 2019.  © 2019 Privé

Un Burundais d’une vingtaine d’années a déclaré qu’il avait fui le pays après que son père a été tué dans la province de Cibitoke : « On a demandé à plusieurs reprises à mon père dadhérer aux Imbonerakure. Il persistait à refuser car il était membre du CNL. Ça ne leur a pas plu. » Human Rights Watch a confirmé auprès de sources sur le terrain que le corps de cet homme avait été trouvé au matin du 15 juillet 2018 dans une rivière, les bras ligotés derrière son dos, bien que l’identité des responsables ne soit pas établie.

Dans certains cas, des personnes semblent avoir été ciblées uniquement parce qu’elles refusaient d’adhérer au parti au pouvoir ou aux Imbonerakure, même sans être affiliées au CNL. Un agriculteur en province de Cibitoke a déclaré qu’il avait fui le Burundi après avoir trouvé un matin le corps de son père dans un champ, égorgé. Son père lui avait raconté à plusieurs reprises que les Imbonerakure le menaçaient : « Il nous disait qu’on lui demandait d’adhérer au parti au pouvoir, mais nous déconseillait de nous joindre aux Imbonerakure. Il voulait que nous travaillions sérieusement, plutôt que de perdre notre temps à embêter les gens. »

Une femme ayant fui le Burundi avec ses cinq enfants a déclaré que son mari, qui faisait partie de la coalition Amizero y’Abarundi, avait été emmené par des hommes armés, une nuit de septembre 2018 : « 30 ou 40 minutes après leur visite, j’ai entendu des coups de feu. Son corps a été trouvé le lendemain. » Les responsables du meurtre de son mari n’ont pas été établis, mais des témoignages crédibles suggèrent que plusieurs autres hommes ont été exécuté en même temps que lui.

Dans la province de Gitega, trois hommes ont disparu peu après que des personnes identifiées par des témoins comme des policiers et des agents des renseignements les avaient arrêtés en mars 2019. Un quatrième homme arrêté en même temps a pu s’échapper par la suite. Des sources ont rapporté qu’un agent des renseignements avait emmené ces hommes dans un centre de détention, où ils ont été interrogés sur leur superviseur, un membre du CNL qui avait quitté le pays. Deux de ces hommes disparus ont été aperçus le 4 avril, alors qu’un fourgon de l’agence nationale des renseignements les conduisait en direction d’une rivière, et ont peut-être été tués. Une source qui était présente a témoigné : « J’ai entendu des cris puis le bruit de deux objets jetés à la rivière. » Plusieurs sources ont confirmé que deux corps ont été trouvés proche de l’endroit où les hommes avaient été vus pour la dernière fois et enterrés rapidement.

Bien que certains proches de ces hommes aient tenté d’aborder la situation avec les autorités, ils n’ont reçu aucune réponse officielle.

Dans un autre cas documenté, des hommes identifiés par des témoins comme étant des membres des Imbonerakure et du service national de renseignement ont emmené un membre de la ligue des jeunes affiliée au CNL. Sa femme, qui assistait à la scène, a tenté de porter plainte auprès de la police :

[Les agresseurs] ont pris mon mari puis m’ont dit de rester tranquille et de fermer la porte. À un moment, Gilbert [un pseudonyme] a voulu parler, mais un Imbonerakure l’a frappé au visage en lui disant de la fermer. Par la suite les policiers m’ont dit qu’ils avaient cherché Gilbert, mais ils ne l’ont jamais trouvé. Je leur ai expliqué que c’étaient les Imbonerakure qui l’avaient enlevé, mais ils n’ont pas répondu grand-chose. Les policiers ne prenaient pas de notes lorsque je leur racontais.

Dans la province de Cibitoke, un représentant régional du parti CNL est porté disparu depuis février 2019. Un de ses voisins a déclaré : « Il a été emmené par les Imbonerakure, alors quand cest arrivé, jai su que je devais menfuir. Je suis parti trois jours plus tard. » Des voisins ont confirmé que le représentant du CNL n’était pas réapparu.

Passages à tabac, arrestations arbitraires

Depuis le référendum de 2018, et surtout depuis l’enregistrement du CNL en février, les forces de sécurité et les Imbonerakure ont arrêté de façon arbitraire ses membres, réels ou supposés, au Burundi. Human Rights Watch a documenté au moins 24 cas d’arrestations arbitraires, la plupart par des membres des Imbonerakure, fondées sur des accusations de participation à des « réunions illégales ». Les Imbonerakure n’ont pourtant aucune autorité légale pour procéder à des arrestations. Human Rights Watch a reçu un nombre d’allégations crédibles d’arrestations élevé.

Le 13 mai, plusieurs membres des Imbonerakure ont passé à tabac un groupe de partisans du CNL dans la province de Ngozi, après avoir tenté de les arrêter. Plusieurs témoins ont reconnu les membres des Imbonerakure, dont un qui aurait pourchassé un homme en particulier, le coupant à l’aide d’une machette, le blessant à la tête et à l’épaule.

Dans la province de Kirundo, des hommes identifies par des témoins comme étant des membres des Imbonerakure et de la police ont arrêté sept membres du CNL le 4 mai, lors d’une réunion officielle du parti, et les ont emmenés à la prison locale. Ils ont été accusés de prendre part à une « réunion illégale », mais sans être inculpés, ni autorisés à contacter un avocat. Le procureur qui a ordonné leur libération a averti ces adhérents du CNL qu’ils devaient « ralentir un peu avec cette histoire de CNL ». Les personnes arrêtées ont rapporté qu’elles avaient été menacées, qu’on leur avait dit : « Vous n’êtes pas avec nous, donc on va vous frapper. »

En avril, des fonctionnaires locaux et des membres des Imbonerakure ont violemment battu et arrêté deux membres du CNL en province de Gitega, les accusant d’être contre le parti au pouvoir. L’un d’eux a déclaré : « Le chef de zone et le chef de colline nous ont accusés d’organiser un rassemblement illégal. Les Imbonerakure nous ont passés à tabac car l’ordre venait des autorités. Ils nous ont donné des coups de poing et de bâton. »

Les deux hommes ont été emmenés dans une prison communale de la province de Gitega, où on ne leur a pas fourni de soins médicaux et où on les a détenus pendant des semaines. Ils ont comparu au tribunal, mais sans avocat, et ont été libérés le 22 mai. Un des deux hommes a alors été immédiatement transféré dans un hôpital pour soigner ses blessures. Une victime a déclaré : « Nous voulions traîner les deux chefs et les Imbonerakure devant le tribunal pour ce qu’ils nous ont fait, mais les conditions dans le pays ne le permettent pas. »

Dans la province de Ngozi, en avril, des hommes identifiés par un témoin comme membres des Imbonerakure ont battu cinq membres du CNL à l’aide de câbles électriques, de bâtons et de barbelé. L’un d’eux a témoigné : « Ils nous ont obligés à nous coucher par terre et nous ont frappé au dos, aux fesses et aux jambes. Ils nous avaient lié les mains dans le dos. Ça faisait tellement mal ; jusqu’à aujourd’hui j’ai des marques sur les bras. » Lorsque la police est arrivée, elle a arrêté les membres du CNL, les accusant de « se réunir illégalement ». Ils ont été libérés deux semaines après. L’un d’eux a déclaré qu’ils avaient dû payer une amende de 20 000 francs burundais (10,75 dollars US).

Dans la province de Muramvya, les Imbonerakure ont passé à tabac deux membres du CNL en avril, puis les ont emmenés à la prison centrale de Muramvya. Un responsable élu du CNL a été frappé alors qu’il intervenait pour empêcher certains Imbonerakure de harceler un commerçant local membre du CNL.

Lors d’un autre incident violent, en septembre 2018, un représentant élu des FNL (qui est devenu le CNL) a été violemment battu dans la province de Ngozi, lui causant de graves blessures. Il a déclaré que plusieurs membres des Imbonerakure l’avaient frappé à l’aide de bâtons et de gourdins, lui avaient écrasé le visage contre un arbre, l’avaient traîné par terre sur des centaines de mètres et avaient débattu pour savoir s’ils allaient le noyer dans une rivière proche. Ils l’ont emmené à la prison locale pour la nuit, où il a vomi du sang jusqu’à ce qu’on l’amène à l’hôpital le lendemain matin.

Le frère de la victime, qui fait aussi partie du CNL, a tenté de l’aider lorsque l’agression a commencé, mais lui aussi a été attaqué et frappé à la tête, ce qui lui a fait perdre la vue d’un œil. Les plaintes déposées auprès de la police locale, du procureur et de la commission nationale des droits de l’homme sont restées sans suite et les deux hommes restent cachés, de crainte d’être à nouveau attaqués par les Imbonerakure.

Human Rights Watch a aussi documenté des cas où des membres et représentants locaux du CNL ont été arrêtés et détenus pendant plusieurs jours, avant d’être libérés sans avoir jamais été officiellement inculpés. Ces arrestations, effectuées de façon arbitraire par les Imbonerakure, s’accompagnaient souvent de menaces et d’intimidations visant à pousser les membres du CNL à rejoindre le parti au pouvoir. Dans un cas, un membre du CNL arrêté et détenu a déclaré qu’un fonctionnaire local lui avait demandé de signer un document où il s’engageait à quitter le CNL après sa libération.

Passages à tabac, intimidations, racket

Depuis le référendum, les membres et les représentants locaux du CNL subissent un regain de menaces, d’intimidations et de pressions de la part du parti au pouvoir et des Imbonerakure. Le simple fait de refuser d’adhérer au CNDD-FDD est souvent perçu comme une preuve suffisante de l’appartenance au CNL, ou à l’opposition de façon générale, ce qui entraîne menaces, coups et intimidations.

Plusieurs réfugiés ayant récemment fui le Burundi ont déclaré qu’après le référendum constitutionnel, ils avaient été fréquemment harcelés et accusés d’être du côté des FNL, désormais CNL. Beaucoup d’entre eux se sont enfuis à cause des pressions qu’ils subissaient pour adhérer aux Imbonerakure ou au CNDD-FDD.

Un réfugié a témoigné qu’il avait quitté le Burundi en avril, après que des membres des Imbonerakure l’avaient passé à tabac parce qu’il refusait de rejoindre le CNDD-FDD :

Trois hommes munis de grenades et de matraques, l’un d’eux en tenue militaire et bottes, sont venus chez moi. C’était une nouvelle équipe d’Imbonerakure. […] Ils m’ont frappé et bourré de coups de pied. Ils disaient : « Pourquoi tu ne t’inscris pas au CNDD-FDD ? » J’ai répondu : « Cest mon choix, je ne veux pas adhérer à un parti politique. Je veux juste qu’on me laisse tranquille. » Ils ont dit : « Eh bien, tu le payeras de ta vie. Si tu racontes qu’on t’a pris, on te trouvera et on tuera. Alors change d’avis et inscris-toi au parti. »

Un agriculteur de 21 ans a témoigné lui aussi qu’on l’avait frappé plusieurs fois, jusqu’à ce qu’on lui dise un jour : « Tu dois choisir entre vivre et mourir. Si tu acceptes ce qu’on dit, tu vivras. Sinon, tu mourras. Nous sommes les Imbonerakure, est-ce que tu veux te joindre à nous ? » Peu après, en avril, il s’est enfui avec sa femme et ses deux enfants. Un autre homme qui s’est enfui en avril s’était entendu dire que s’il n’adhérait pas aux Imbonerakure, il ne méritait pas de vivre au Burundi.

Certaines personnes racontent qu’elles ont dû faire preuve de leur engagement envers le parti au pouvoir en apportant leur contribution aux élections de 2020 ou en fournissant des informations sur les activités et membres du CNL. Un membre du CNL qui a quitté le Burundi en septembre 2018 a déclaré :

Après le référendum, les Imbonerakure ont commencé à réclamer de l’argent. Ils venaient chaque jour demander de l’argent parce qu’ils savaient que j’étais membre d’un parti d’opposition. J’ai dû m’humilier pour ne pas être frappé. À la fin, on m’a donné un ultimatum et j’ai dû partir.

Un autre réfugié, qui s’est enfui en mars 2019, a déclaré :

Je suis parti parce que je n’étais pas membre du CNDD-FDD. Pour les élections, vous deviez donner 2 000 francs burundais par foyer (1,08 dollars) et 1 000 francs par étudiant 0,54 dollars). Si vous ne donniez pas l’argent, on vous considérait comme opposant.

Un reçu pour la contribution de 2 000 francs burundais (1,08 $US) aux élections de 2020 au Burundi. Des membres des Imbonerakure ont collecté des contributions soi-disant volontaires auprès de la population et vérifient régulièrement les reçus. Le non-paiement peut entraîner des menaces, des passages à tabac et le refus d’accès aux services publics.  © 2019 Privé

Un réfugié, qui s’est enfui peu après le référendum de 2018, a dû partir parce qu’il avait peur des Imbonerakure, qui menaçaient ceux qui avaient voté contre les amendements constitutionnels lors du référendum. Il a également déclaré que la pression liée aux contributions financières forcées était un facteur qui l’avait poussé à partir.

Les Imbonerakure sont venus dans mon bar et ont frappé ma femme. Ils ont essayé de me forcer à payer 10 000 francs burundais (5,38 dollars) pour préparer les prochaines élections. Ils ont demandé de plus en plus d’argent, jusqu’à ce que je dise que je n’en avais plus. Ils ont dit : « Si tu ne donnes pas encore 2 000 francs (1,08 dollars), tu seras considéré comme ennemi du pays. » Alors j’ai décidé de partir.

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Dans les médias

RFI    Jeune Afrique   LaLibre.be (1)    LaLibre.be (2) 

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