(Tunis) – Le parlement tunisien devrait procéder à diverses réformes afin de s’attaquer aux problèmes actuels qui se posent en matière de respect des droits humains dans le pays, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch, alors que la nouvelle Assemblée des représentants du peuple entre en fonctions.
Élu le 6 octobre 2019, le nouveau parlement devrait renforcer la protection des droits en élisant son quota de membres à la Cour constitutionnelle, en amendant les lois pour éliminer la discrimination entre les sexes dans les successions et en abrogeant du code pénal les articles sanctionnant l’expression pacifique et l’homosexualité. Le parlement devrait également élaborer un plan en vue de donner suite aux recommandations de l’Instance Vérité et Dignité et rendre les services de sécurité plus responsables et le pouvoir judiciaire plus indépendant.
« Les législateurs tunisiens devraient enfin établir la Cour constitutionnelle afin de fournir la protection attendue de longue date contre des lois répressives, anciennes et nouvelles », a déclaré Amna Guellali, directrice du bureau de Tunis de Human Rights Watch. « Les acquis démocratiques de la Tunisie demeureront fragiles jusqu’à ce que ce pays se dote des contrepouvoirs prévus par la constitution de 2014. »
Les élections législatives ont donné lieu à un parlement fragmenté, aucun parti ne détenant plus de 25 % des sièges. Le parti islamiste Ennahda est arrivé en tête avec 52 sièges sur 217, suivi de près par le parti Qalb Tounes, récemment créé par le magnat des médias Nabil Karoui.
Tout en progressant dans le domaine des droits des détenus et des femmes, le précédent parlement avait échoué à créer la Cour constitutionnelle ou même à abroger l’une des nombreuses lois encore en vigueur imposant l’emprisonnement de Tunisiens pour délit de parole. Les services de sécurité torturent les détenus placés sous leur garde pratiquement en toute impunité. Les femmes sont victimes de discrimination, y compris en matière d’accès à l’héritage, et les minorités sexuelles emprisonnées en vertu d’une disposition du code pénal criminalisant l’homosexualité.
La constitution prévoyait la création d’une Cour constitutionnelle, dotée de pouvoirs sans équivalent avec des organes similaires ailleurs dans le monde arabe, en vue de révoquer les lois jugées inconstitutionnelles. La constitution prévoit que le parlement désignera quatre des 12 membres de cette Cour, après quoi le président et le Conseil supérieur de la magistrature, organe indépendant chargé de superviser la nomination et la promotion des juges, choisiront chacun quatre des huit membres restants.
Le parlement précédent, qui avait siégé de 2014 à 2019, avait organisé sept sessions en vue de sélectionner les membres, mais n’était parvenu qu’à en désigner un qui disposait des 145 voix requises sur 217, bloquant ainsi le processus.
Le parlement devrait également abroger les articles du code pénal et autres lois que les autorités ont utilisées à maintes reprises pour enquêter, poursuivre et, dans certains cas, détenir des journalistes et des activistes des réseaux sociaux simplement pour avoir critiqué pacifiquement des agents de l’État. Human Rights Watch a documenté les cas d’au moins 35 individus poursuivis depuis 2011 pour avoir commenté sur différentes plateformes ou fait des déclarations critiquant de hauts fonctionnaires, les accusant de corruption ou les insultant.
Les chefs d’accusation comprennent souvent des accusations criminelles en relation avec l’activité professionnelle d’agents de la fonction publique, en vertu de l’article 128 du code pénal qui prévoit une peine pouvant aller jusqu’à deux ans de prison, de l’article 86 du code des télécommunications qui prévoit un à deux ans de prison pour « quiconque sciemment nuit aux tiers ou perturbe leur quiétude à travers les réseaux publics des télécommunications », ou de l’article 67 du code pénal qui punit jusqu’à « trois ans d’emprisonnement quiconque se rend coupable d’offense contre le chef de l'État ». Les articles 245 à 247 définissent la diffamation et la « calomnie » comme des infractions pénales passibles respectivement de six mois et d’un an de prison.
Le parlement devrait créer un comité parlementaire spécial, mandaté par la loi de 2013 sur la justice transitionnelle du pays, chargé de superviser la mise en œuvre des recommandations de l’Instance Vérité et Dignité.
Le 26 mars, cette organe avait publié son rapport final analysant et exposant les réseaux institutionnels ayant permis aux gouvernements tunisiens successifs de perpétrer des violations des droits humains sur une période de cinq décennies. Fruit de cinq années d’enquêtes menées par la commission, ce document préconisait des réformes du système judiciaire et des forces de sécurité afin d’empêcher le retour à des abus systématiques.
Parmi les autres recommandations, l’Instance avait souligné la nécessité pour le parlement d’accroître la responsabilité des forces de sécurité et de veiller à ce que toutes les allégations d’abus fassent l’objet d’enquêtes rapides, efficaces et indépendantes. Elle avait en outre recommandé la création d’un comité parlementaire doté de prérogatives bien définies et du pouvoir de superviser le fonctionnement des services de sécurité.
Elle avait enfin recommandé d’amender la loi en vue de limiter le mandat de la justice militaire aux crimes militaires commis par des militaires. Les tribunaux militaires exercent toujours leur juridiction sur les civils et plusieurs blogueurs ont été jugés pour « avoir diffamé l’armée » en vertu de l’article 91 du Code de justice militaire.
Le parlement devrait franchir une étape décisive en accordant aux femmes des droits égaux en matière de succession. Le 28 novembre 2018, le président Beji Caid Essebsi, décédé depuis, avait soumis au parlement un projet de loi visant à modifier le Code du statut personnel de 1956, qui prévoit que les hommes hériteraient normalement du double de la part dont les femmes héritent, sur la base d’une interprétation de la charia islamique. L’amendement proposé insérerait une section relative à l’héritage dans le Code du statut personnel qui ferait de l’égalité successorale la norme, sauf lorsque la personne dont l’héritage est en jeu s’exprime officiellement de son vivant et choisit plutôt de répartir son patrimoine selon la méthode en vigueur dans le cadre juridique antérieur.
La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), à laquelle elle est partie, contraint la Tunisie à éliminer légalement la discrimination à l’encontre des femmes. Le 23 mai, le parlement a approuvé la ratification du Protocole à la Charte africaine des droits de l'Homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique, qui impose des exigences similaires.
Le parlement devrait également œuvrer à la protection des droits des minorités sexuelles et de genre en Tunisie. Il devrait abroger l’article 230 du code pénal qui fait de la sodomie une infraction pénale et est largement utilisé par la police et les procureurs pour arrêter et poursuivre des hommes et des femmes transgenre soupçonnés de relations homosexuelles. Les arrestations s’accompagnent généralement de nombreuses violations des droits de ces personnes, notamment d’examens anaux forcés censés déterminer l’orientation sexuelle des hommes, une pratique dépassée sans fondement scientifique et qui peut constituer un acte de torture. Le parlement devrait interdire en toutes circonstances le recours aux examens anaux pour « vérifier » les comportements homosexuels.
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