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Algérie : La répression post-électorale fait rage

Toute personne détenue pour avoir manifesté pacifiquement ou critiqué les autorités doit être libérée

Le vendredi 5 juillet 2019 à Alger, quelques jours avant l’échéance du mandat du président algérien par intérim Abdelkader Bensalah, des milliers de personnes ont participé à la 20ème manifestation hebdomadaire consécutive tenue dans la capitale, face à une importante présence policière.    © 2019 AFP / Getty Images


(Beyrouth) – Les autorités algériennes continuent à arrêter arbitrairement et à poursuivre les activistes du mouvement prodémocratie « Hirak », en dépit de la promesse du président d’entamer un dialogue avec ce groupe, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Depuis l’élection présidentielle du 12 décembre 2019, les autorités algériennes ont placé en détention des dizaines d’activistes prenant part à des manifestations pacifiques, dont certains tout récemment, le 17 janvier. Même après la mise en liberté provisoire, en janvier, de plus de 70 activistes par les autorités, beaucoup demeurent en détention, avec des chefs d’inculpation fondés sur leur participation aux manifestations pacifiques ou sur leurs critiques envers les autorités.

« Au lieu de libérer toutes les personnes détenues pour leurs protestations non violentes, les autorités ont continué à arrêter et détenir des gens pour leur activisme pacifique », a déclaré Eric Goldstein, directeur exécutif par intérim de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les propositions de dialogue perdent toute crédibilité lorsque vous enfermez les gens simplement parce quils sont descendus dans la rue pour exprimer qu’ils ne sont pas daccord avec vous. »

Au moins un journaliste de premier plan a été arrêté et menacé de poursuites. Les autorités ont mis en examen un romancier pour « insulte au président de la République » et d’« atteinte à la sûreté de lÉtat » à cause de publications Facebook se moquant du président Abdelmadjid Tebboune. Plusieurs leaders connus du Hirak sont toujours en détention.

Le mouvement Hirak est né en février 2019, lorsque des millions d’Algériens sont descendus dans la rue pour exiger que le président d’alors, Abdelaziz Bouteflika, démissionne, s’opposant à sa candidature à un cinquième mandat. Après sa démission en avril, le mouvement a maintenu la pression au moyen de grandes manifestations dans plusieurs villes, appelant à un système de gouvernance plus pluraliste et inclusif ainsi qu’à un boycott de toute élection présidentielle qui ne serait pas précédée de négociations inclusives sur la forme qu’elle prendrait.

Au départ, les autorités toléraient largement les manifestations, mais à partir de juin, elles ont commencé à arrêter des groupes de manifestants de façon plus agressive. Elles ont intensifié la vague de répression à partir de septembre, arrêtant au moins 13 leaders du mouvement de protestation. Les autorités ont organisé l’élection présidentielle sans remplir les conditions des manifestants.

Une fois élu, Tebboune, qui avait été Premier ministre sous la présidence de Bouteflika, a déclaré qu’il était ouvert à un dialogue avec le mouvement Hirak et annoncé que le gouvernement « consoliderait la démocratie, létat de droit et le respect des droits humains ».

Le 17 janvier 2020, les autorités ont arrêté 20 activistes à Alger, lors de ce 48e vendredi consécutif de manifestations de masse, d’après le Comité national pour la libération des détenus, créé le 26 août 2019 par des activistes et des avocats pour défendre les manifestants arrêtés. Deux des activistes arrêtés, Hakim Addad et Samir Larabi, membres du Rassemblement action jeunesse (RAJ), une organisation non gouvernementale très engagée dans le Hirak, ont été libérés sans inculpation le même jour.

Les 18 restants ont passé deux nuits en garde à vue. Le 19 janvier 2020, le procureur de la République du tribunal de première instance de Sidi M’hamed à Alger a mis en examen 16 d’entre eux pour « attroupement illégal ». Les deux autres, Kamel Nemmiche et Laouchedi Mokrane, tous deux membres du RAJ, étaient mis en examen pour « atteinte à lintégrité du territoire national » en vertu de l’article 79 du code pénal. Les 18 activistes ont comparu ce même jour lors d’une audience au tribunal où le juge a acquitté les 16 personnes poursuivies pour attroupement illégal et placé en liberté provisoire Nemmiche et Mokrane, en attendant leur procès prévu le 9 février.

Le 9 janvier, des militaires ont arrêté Khaled Drareni, correspondant de la chaîne française TV5 Monde, à son domicile d’Alger, et l’ont interrogé pendant plusieurs heures sur ses opinions et des publications sur les médias sociaux. Ils l’ont menacé de l’inculper, mais l’ont libéré le même jour sans l’avoir fait.

Des policiers de Tipaza, petite ville à 70 kilomètres d’Alger, ont interrogé Anouar Rahmani, un romancier, sur ses publications satiriques sur Facebook, et l’ont mis en examen le 13 janvier pour « insulte au président de la République » et « atteinte à la sûreté de lÉtat ». Il est en liberté en attendant la suite de l’enquête judiciaire.

Le 2 janvier, les tribunaux algériens de plusieurs villes ont placé en liberté provisoire plus de 70 activistes. Toutefois, les tribunaux de diverses villes ont refusé la demande de liberté provisoire déposée par plusieurs leaders, comme Abdelouhab Farsaoui, le président du RAJ, et Karim Tabbou, une figure de l’opposition. Le Comité national pour la libération des détenus estime que sur les 150 personnes qui ont été placées en détention provisoire ou jugées pour leur participation au mouvement de protestation entre juin et décembre 2019, environ 80 sont toujours en prison.

Parmi celles libérés le 2 janvier par différents tribunaux du pays, on trouve des activistes connus du Hirak, comme Hakim Addad, fondateur du RAJ, Lakhdar Bouregga, vétéran de la guerre d’indépendance, Mohamed Tadjadit, surnommé « le poète du Hirak », et Halim Feddal, secrétaire général de l’Association nationale de lutte contre la corruption. D’autres activistes encore ont été libérés plus tard en janvier, comme Kaddour Chouicha, le vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme.

Pour un récit plus détaillé des arrestations et des poursuites judiciaires, veuillez lire ci-dessous.

Nouvelles arrestations et poursuites judiciaires

Kamel Nemmiche, un membre du bureau exécutif du RAJ, a déclaré à Human Rights Watch que deux policiers en civil l’avaient arrêté le 17 janvier vers 11h sur la place en face de la Poste centrale, haut lieu des manifestations à Alger. Ils l’ont emmené au poste de police « Alger centre », où des agents l'ont interrogé sur son activisme au sein du mouvement Hirak et sur ses opinions politiques. Il y a passé deux nuits, a-t-il témoigné, tandis que 17 autres manifestants étaient arrêtés plus tard dans la journée.

Le 19 janvier, le procureur de la République du tribunal de Sidi M’hamed l’a mis en examen pour « atteinte à lintégrité du territoire national » en vertu de l’article 79 du code pénal. Il a rapporté qu’il avait comparu au tribunal le même jour avec les 17 autres personnes. Le juge a prononcé l’acquittement de 16 activistes poursuivis pour « attroupement illégal ». Ce même juge a maintenu l’inculpation contre lui et Laouchedi Mokrane un autre membre du RAJ, et les a placés en liberté provisoire en attendant leur procès prévu pour le 9 février.

Quant à Khaled Drareni, il a déclaré que des militaires étaient venus chez lui le 9 janvier à 15h et l’avaient emmené à la caserne d’Alger. C’est là que des officiers de la police judiciaire militaire l’ont interrogé pendant plusieurs heures, a-t-il témoigné. D’après son récit, ils le critiquaient pour ses publications sur les médias sociaux et ses attaques contre les autorités algériennes dans les médias.

Ils lui ont dit que ses publications étaient « subversives, trompeuses et partiales » et que son arrestation – sa quatrième depuis septembre, rapporte-t-il – était le dernier avertissement avant que son dossier ne soit transféré devant la justice. Ils l’ont libéré à 23h sans l’informer d’aucune inculpation ni d’aucune poursuite de l’enquête.

Anouar Rahmani, un écrivain déjà poursuivi pour blasphème en 2017 à cause d’un roman qu’il avait publié, a déclaré qu’il avait reçu une convocation de la police le 8 janvier à son domicile. Lorsqu’il s’est rendu au poste de police de Tipaza le 13 janvier, des agents de police l’ont interrogé sur ses publications dans les médias sociaux, qui sont favorables au Hirak et dénoncent ce qu’il considère comme l’emprise de l’armée sur le pouvoir.

Ils lui ont posé des questions sur une photo qu’il avait publiée sur Facebook, représentant deux hommes qui s’embrassaient, et il a répondu qu’il s’agissait de Tebboune, alors candidat à la présidentielle, et de feu Gaïd Salah – ancien ministre de la Défense et homme fort de l’Algérie après la résignation de Bouteflika –, décédé en décembre. D’après lui, les policiers l’ont aussi interrogé sur son appel à boycotter l’élection présidentielle. Il a signé un procès-verbal de police précisant qu’il était poursuivi pour les accusations d’« insulte au président de la République » et d’« atteinte à la sûreté de lÉtat ». La police l’a libéré le même jour. L’affaire de 2017 est toujours en suspens.

Activistes libérés

L’agence de presse officielle algérienne, Algérie Presse Service, a publié le nombre d’activistes libérés le 2 janvier par chaque tribunal. Elle affirmait que 51 militants avaient été libérées par des tribunaux d’Alger, 6 de Chlef, 4 d’Oued Souf, 3 de Constantine, 2 de Tlemcen, 2 de Tipaza, 2 de Taref, 2 d’Oran et 1 de Boumerdès. Les autorités n’ont pas fourni d’explication à cette vague de libérations.

Un des avocats des activistes, Abdelghani Badi, qui est membre du Comité national pour la libération des détenus et a suivi de près ces affaires judiciaires, a expliqué que beaucoup des personnes libérées le 2 janvier étaient précédemment restées en détention provisoire alors que les tribunaux ne se saisissaient pas de leur affaire, mais rejetaient leurs demandes de mise en liberté provisoire.

Le tribunal de première instance de Sidi M’hamed à Algiers a ordonné, après une brève audience, que Hakim Addad, fondateur du RAJ, et neuf autres membres de l’organisation soient libérés le 2 janvier de la prison d’El Harrach. Ils avaient été arrêtés séparément en septembre et en octobre et mis en examen pour appel à un attroupement illégal et d’atteinte à l’intégrité du territoire national, en vertu respectivement des articles 97 et 79 du code pénal. Leur avocat, Abdelghani Badi, a déclaré que la date de leur procès n’avait pas encore été fixée.

Lakhdar Bouregga, un vétéran de la guerre d’indépendance algérienne, qui avait été arrêté le 30 juin et poursuivi pour « démoralisation de larmée », a été libéré provisoirement le 2 janvier de la prison d’El Harrach à Alger par le tribunal de première instance de Bir Mourad Raïs, suite à une audience, a informé son avocat, Noureddine Ahmine. Le procès doit se tenir le 12 mars.

Mohamed Tadjadit, surnommé le « poète » du Hirak pour ses poèmes de slam critiquant les autorités, avait été arrêté le 11 novembre à Alger alors qu’il se rassemblait avec d’autres personnes devant le tribunal de Sidi M’hamed pour réclamer la libération de prisonniers du Hirak, a rapporté le Comité national pour la libération des détenus. Tadjadit a été accusé de « nuire à lintérêt national » en vertu de l’article 96 du code pénal et condamné par le tribunal de Sidi M’hamed à 18 mois de prison le 19 décembre. Il a été libéré le 2 janvier en attendant son procès en appel, qui était initialement prévu le 16 janvier mais a été reporté.

Halim Feddal, secrétaire général de l’Association nationale de lutte contre la corruption, qui expose et combat la corruption en Algérie, avait été arrêté le 17 novembre alors qu’il participait à une manifestation en face du tribunal de première instance de Chlef pour protester contre la détention des manifestants du Hirak. Un procureur du tribunal l’a mis en examen pour « atteinte à lintégrité du territoire national » et de « distribution de publications de nature à nuire à lintérêt national », en vertu des articles 79 et 97 du code pénal, et un juge d’instruction de ce même tribunal a ordonné sa détention provisoire à la prison de Chlef. Il a été libéré le 2 janvier après une brève audience ayant eu lieu le même jour. Son procès doit se tenir le 26 février.

Le 7 janvier, la cour d’appel d’Oran a mis en liberté provisoire Kaddour Chouicha, président de la section oranaise de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, qu’un tribunal de première instance avait condamné le 10 décembre à un an de prison pour avoir « participé à un attroupement non armé » et « distribué des documents de nature à nuire à lintérêt national ». Son avocat, Ferid Khemisti, a informé que son procès en appel était prévu pour le 28 janvier.

Activistes et responsables toujours en détention provisoire

D’autres activistes sont toujours en détention provisoire dans diverses prisons du pays. Leurs avocats ont déposé plusieurs demandes de libération provisoire, en vain jusqu’ici. Parmi eux, plusieurs leaders connus sont détenus à la prison d’El Harrach :

  • Abdelouhab Farsaoui, le président du RAJ, arrêté le 10 octobre à Alger et poursuivi pour « atteinte à lintégrité du territoire national » et « entrave à la circulation de matériel militaire ». L’avocat de Farsaoui, Sofiane Ikken, a rapporté qu’il avait déposé une demande de liberté provisoire le 17 décembre, mais que le juge d’instruction du tribunal de première instance de Sidi M’hamed à Alger l’avait rejetée, une décision maintenue en appel.
  • Karim Tabbou, coordonnateur national du parti non reconnu Union démocratique et sociale (UDS) et ancien secrétaire général du grand parti d’opposition Front des forces socialistes (FFS), a été arrêté le 26 septembre chez lui à Douera, dans la province d’Alger. Le procureur du tribunal de Sidi M’hamed à Alger a ordonné sa mise en détention pour « enrôlement de mercenaires pour le compte dune puissance étrangère en territoire algérien » et distribution de prospectus ou d’autres publications de nature à nuire à l’intérêt national, en vertu respectivement des articles 76 et 96 du code pénal. Son avocat, Abdelghani Badi, a informé qu’il avait demandé plusieurs fois que Tabbou soit placé en liberté provisoire, mais sans succès. Badi a déclaré que le 8 janvier, le juge d’instruction avait envoyé un avis informant qu’il avait terminé la phase d’instruction et renvoyait l’affaire au tribunal pour être jugée. Le 10 janvier, le juge d’instruction a renouvelé la détention provisoire de Tabbou pour quatre mois. La date de son procès n’a pas encore été fixée.
  • Fodil Boumala, un journaliste et militant politique, a été arrêté le 18 septembre chez lui à Alger. Un procureur du tribunal de première instance de Dar El Beïda dans la province d’Alger l’a mis en examen pour « atteinte à lintégrité du territoire national » et de « distribution de documents de nature à nuire à lintérêt national », en vertu respectivement des articles 79 et 96 du code pénal. Son avocat, Noureddine Ahmine, a informé que le juge d’instruction du tribunal de Dar El Beïda avait terminé l’instruction et renvoyé l’affaire devant la chambre criminelle du même tribunal. Le procès de Boumala doit se tenir le 9 février.
  • Samir Belarbi a été arrêté le 16 septembre dans un café d’Alger. Il avait exprimé une opposition féroce à l’élection et appelé au départ de « tous les symboles du régime » dans ses discours lors des manifestations du vendredi et sur la chaîne télévision nationale. Le procureur du tribunal de première instance de Bir Mourad Raïs à Alger l’a mis en examen pour « atteinte à lintégrité du territoire national » et de « distribution de documents de nature à nuire à lintérêt national », en vertu respectivement des articles 79 et 96 du code pénal. Le procès de Belarbi est prévu le 27 janvier au tribunal de Bir Mourad Raïs Court, a rapporté son avocat Abdelghani Badi.

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