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RCA : Pour la première fois, un suspect de la Séléka est remis à la CPI

Cette avancée importante devrait être suivie de poursuites contre des suspects de plus haut niveau

Le siège de la Cour pénale internationale à La Haye, aux Pays-Bas. © 2018 Marina Riera/Human Rights Watch

(Nairobi) – Les autorités de la République centrafricaine ont remis pour la première fois à la Cour pénale internationale (CPI) un suspect issu de la rébellion de la Séléka afin qu’il y soit jugé, ce qui représente un pas en avant important vers la justice pour les crimes graves commis par les deux principales factions belligérantes dans le conflit civil de ce pays, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Mahamat Saïd Abdel Kani a été transporté par avion de la République centrafricaine au siège de la CPI à La Haye le 24 janvier 2021. Il est accusé de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis en tant que commandant de la Séléka à Bangui, la capitale, en 2013. La CPI a délivré le mandat d’arrêt à son encontre sous scellés le 7 janvier 2019.

« Saïd est le premier commandant de la Séléka, un groupe responsable d’atrocités de grande ampleur contre des civils, à être traduit devant la CPI », a déclaré Elise Keppler, Directrice adjointe du Programme Justice internationale à Human Rights Watch. « L’affaire concernant Saïd est une étape importante, mais elle devrait être suivie d’autres poursuites contre des dirigeants de la Séléka, dont certains sont impliqués dans des exactions jusqu’à ce jour. »

En 2012, les rebelles majoritairement musulmans de la Séléka ont évincé le président de la République centrafricaine, François Bozizé, et ont pris le pouvoir par une campagne de violence et de terreur. En mars 2013, la Séléka a pris le contrôle de Bangui, attaquant les civils et pillant la ville. Fin 2013, des milices chrétiennes et animistes connues sous le nom d’anti-balaka se sont mises à organiser des contre-attaques contre la Séléka. Tant la Séléka que les anti-balaka ont été impliqués dans des atrocités généralisées contre des civils.

Un juge de la CPI a estimé qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que de mars 2013 à janvier 2014, la Séléka a commis une attaque généralisée et systématique contre la population civile, comportant des éléments de crimes contre l’humanité. Saïd est accusé d’être responsable de crimes contre l’humanité constitués par l’emprisonnement ou d’autres formes de privation grave de liberté, ainsi que de torture, de persécution, de disparition forcée et d’autres actes inhumains, et des crimes de guerre de torture et de traitements cruels.

Saïd, âgé de 50 ans et originaire de la ville de Bria, aurait rejoint la Séléka en 2012 et a été promu lieutenant, colonel, puis commandant. En avril 2013, alors que les abus de la Séléka à Bangui étaient graves, il s’est vu confier un rôle clé au sein de l’Office central de répression du banditisme (OCRB).

La remise de Saïd à la CPI est survenue à quelques semaines de l’ouverture d’un procès contre deux chefs anti-balaka, Alfred Yékatom et Patrice-Édouard Ngaïssona. Leurs affaires contrastaient nettement avec l’absence de poursuites pour crimes commis par la Séléka, qui continue de contrôler un vaste territoire dans le pays. Human Rights Watch a documenté l’implication de la Séléka dans des abus depuis 2013.

En 2014, la Séléka s’est scindée en plusieurs groupes, dont le Front populaire pour la Renaissance de la Centrafrique (FPRC), dirigé par Noureddine Adam et Michel Djotodia. Récemment, certaines factions du FPRC se sont alignées sur les forces anti-balaka.

Actuellement, Djotodia réside à Bangui et Adam circule ouvertement dans le nord-est du pays. D’autres dirigeants importants de la Séléka, tels que Mahamat Al Khatim, Saleh Zabadi et Ali Darassa, continuent de diriger des groupes dissidents de la Séléka. Certains leaders de la Séléka ont été affectés à des postes gouvernementaux en 2019 après un accord de paix.

« L’arrestation de Saïd est importante pour garantir que la justice n’est pas – ni n’est perçue comme étant – unilatérale », a déclaré Elise Keppler. « Les autorités de la République centrafricaine ont joué un rôle précieux en coopérant avec la CPI dans la reddition de Saïd. »

Said fera à présent sa comparution initiale devant la CPI. Le tribunal tiendra par la suite une audience pour déterminer si les charges retenues contre lui doivent être confirmées et si un procès s’en suit.

En 2014, la CPI a ouvert une enquête sur les crimes en République centrafricaine depuis 2012, à la suite d’une requête du gouvernement centrafricain. Il s’agit de la deuxième enquête de la CPI sur les crimes commis en République centrafricaine. La première enquête dans ce pays, liée à un conflit antérieur en 2002 et 2003, n’a encore tenu personne pour responsable des crimes commis. En effet, cette enquête n’a abouti qu’à une seule affaire, contre Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président congolais, qui s’est conclue par un acquittement en appel en juin 2018.

Les enquêtes de la CPI en République centrafricaine sont complémentaires à celles de la Cour pénale spéciale, un nouveau tribunal important mis en place à Bangui, composé de juges et de procureurs internationaux et centrafricains, et par les tribunaux ordinaires du pays. La Cour pénale spéciale a commencé ses activités en 2018 mais n’a pas encore tenu de procès.

Il y a eu une récente recrudescence de la violence en République centrafricaine dans le contexte de l’élection présidentielle du 27 décembre 2020. Une nouvelle coalition rebelle s’est engagée dans un certain nombre d’attaques, faisant plusieurs morts parmi les soldats de la paix et entraînant de nouveaux déplacements massifs de civils. La coalition se compose à la fois de factions anti-balaka et de la Séléka. Les récentes violences marquent la fin de l’accord de paix de 2019.

« La remise à la CPI d’un suspect de la Séléka – une première – et le procès imminent des dirigeants anti-balaka devraient envoyer un signal fort à ceux qui commettent des crimes en ce moment même », a conclu Elise Keppler. « La République centrafricaine se trouve aujourd’hui à un moment critique, des groupes armés se tenant aux portes de la capitale. Les criminels potentiels devraient prendre conscience qu’eux aussi pourraient se retrouver sur le banc des accusés. »

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