Le 8 mars, la journée internationale des droits des femmes nous rappelle avec acuité que les discriminations et les violences basées sur le genre - au domicile, dans les relations interpersonnelles, dans la rue et au travail - continuent d'être une réalité dramatique pour les femmes et les jeunes filles dans toute la France.
Au cours de la seule année écoulée, des survivantes et des militantes ont appelé à une meilleure protection contre le harcèlement sexuel et les violences au travail, et exigé des mesures immédiates pour faire face à l'augmentation alarmante des violences domestiques lors des confinements liés à la pandémie de Covid. Elles ont également réclamé une action gouvernementale sur le long terme pour lutter contre les féminicides, tandis que le fléau de l'inceste a été mis en lumière via le hashtag devenu viral #MeTooInceste, avec une pression supplémentaire pour relever l'âge du consentement sexuel et lutter contre les violences sexuelles contre les enfants.
L’été prochain, la France co-présidera avec le Mexique le Forum Génération Égalité. Cet événement réunira des gouvernements, la société civile et des entreprises afin d’élaborer un plan sur dix ans pour accélérer les progrès en matière d'égalité des genres et engager les différents acteurs autour de sa mise en œuvre.
La France affirme vouloir être une championne de l'égalité entre les femmes et les hommes au niveau international, mais elle se doit également de l’être au niveau national. Pour ce faire, Emmanuel Macron et son gouvernement devraient engager des réformes audacieuses et ambitieuses pour lutter contre les violences basées sur le genre. La France apparaîtrait ainsi sur la scène mondiale non seulement comme l’un des pays hôtes du Forum Egalité, mais aussi comme un exemple à suivre.
Il s'agit pour cela de ratifier rapidement la Convention de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur la violence et le harcèlement (C190) qui définit les normes internationales pour prévenir et combattre la violence et le harcèlement au travail, et de procéder aux réformes nationales nécessaires.
Selon une enquête menée en avril 2019 par l'Ifop pour la Fondation Jean Jaurès et la Fondation européenne d'études progressistes, 30 % des femmes interrogées en France ont déclaré être victimes de harcèlement sexuel au travail. Le harcèlement et les violences sexuelles touchent toutes les catégories de travailleuses, qu'elles soient fonctionnaires ou soignantes à domicile. Pourtant, on observe des lacunes importantes tant en matière de prévention et de soutien sur le lieu de travail que de possibilités de recours en justice.
À titre d'exemple, selon des informations judiciaires, en 2018, une travailleuse à domicile a quitté son emploi à Reims, exerçant son droit de retrait, se plaignant que son employeur lui avait demandé des rapports sexuels oraux, s'était promené nu en sa présence et lui avait commandé de la lingerie dans l'espoir qu'elle la porterait lorsqu'elle ferait le ménage. Pourtant, en septembre 2020, la cour d'appel de Reims a décidé qu'il n'y avait pas suffisamment de preuves pour prouver le harcèlement sexuel, notamment en raison de l'absence de certificat médical et de témoignage direct.
Le 17 février, près de dix ans après que les accusations ont été rendues publiques, la cour d’assises d'appel de Paris a condamné Georges Tron, un ex-secrétaire d'État, à cinq ans de prison pour viol sur l’une des anciennes employées de la municipalité de Draveil, au sud de Paris, dont il est toujours le maire. Lorsque Georges Tron a été initialement acquitté en 2018, il était représenté par l'actuel ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, qui avait alors déclaré que cette décision « n’était pas une victoire de la défense mais une victoire de la justice » et lancé au aux jurés : « Si votre fils touche le genou d'une copine dans sa voiture, c'est une agression sexuelle, ça ? »
La Convention de l'OIT sur la violence et le harcèlement expose les mesures que les gouvernements devraient prendre pour renforcer la prévention, améliorer les voies de recours, ainsi qu’encadrer et garantir la responsabilité des employeurs.
L’ex-ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a été l'une des premières à s'engager à procéder à la ratification du traité lors de son adoption en juin 2019. Mais, alors que certains pays ont achevé leur processus de ratification, la France est à la traine. Après des appels répétés provenant des syndicats et de différentes organisations, la ministre du Travail, Elisabeth Borne, a confirmé le 25 novembre dernier que le gouvernement s'engageait à ratifier le traité sans tarder.
Afin de changer la réalité quotidienne des personnes sur leur lieu de travail, la ratification doit aussi s'accompagner d’indispensables réformes nationales.
Premièrement, le gouvernement devrait prévoir une sanction pour les employeurs qui n'ont pas de plan de prévention contre les violences sexuelles et sexistes ou qui ne tiennent pas compte du harcèlement sexuel dans leur évaluation des risques professionnels. Le droit français fait du plan de prévention des violences une obligation, mais, selon des rapports, 80 % des employeurs n'en disposent pas.
Deuxièmement, le gouvernement français devrait interdire aux entreprises de licencier des salariées pour des raisons liées à des violences conjugales et garantir aux survivantes la possibilité de réorganiser leurs horaires de travail pour se protéger de ces abus. La pandémie de Covid-19 souligne l'importance de telles protections afin que les victimes de violences conjugales puissent se protéger sans craindre de perdre leur emploi. La France devrait ainsi se rallier à la Nouvelle-Zélande, qui propose dix jours de congés payés aux survivantes de violences conjugales pour se mettre en sécurité et obtenir de l'aide.
Troisièmement, le gouvernement devrait renforcer les prérogatives des instances de soutien aux employé.e.s pour aider celles qui font face au harcèlement sexuel et aux autres formes de violence basées sur le genre, y compris les violences conjugales. Il devrait également rendre obligatoire la formation des cadres et du personnel des ressources humaines, ainsi que les programmes de sensibilisation pour rappeler leurs droits à tous les salarié-e-s. La stigmatisation et la crainte des représailles font partie des obstacles qui limitent le signalement du harcèlement sexuel et des violences au travail.
Enfin, la France devrait exiger des entreprises françaises qu'elles identifient, préviennent et répondent aux risques de violences et de harcèlement sexuel dans leurs chaînes d'approvisionnement - où se trouvent souvent les travailleur.euse.s les plus vulnérables - en vertu de la loi de 2017 sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre.
Le président Macron et le gouvernement français ont pris des engagements positifs - bien que tardifs - pour faire de la lutte contre les violences basées sur le genre une priorité. Avant le Forum Génération Égalité qui se déroulera cet été, la France devrait non seulement ratifier la convention de l'OIT, mais aussi engager des réformes nationales fortes et progressistes pour lutter contre les violences et le harcèlement au travail. Cette démarche est essentielle pour protéger les travailleur.euse.s en France et pour fixer, auprès des autres gouvernements, un niveau de référence élevé en matière d'engagements et d'actions prises avant le Forum Génération Égalité. Les enjeux - la liberté et la protection des femmes - sont considérables, et il n'y a pas de temps à perdre.
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Nisha Varia est la directrice du plaidoyer de la division Droits des femmes à Human Rights Watch.
Luc de Ronne est le président d’ActionAid France.
Philippe Lévêque est le directeur général de CARE France.
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