La pire atrocité dans l’histoire récente du Mali a été perpétrée il y a deux ans, le 23 mars 2019, lorsque plus de 150 civils ont été massacrés à Ogossagou. Des dizaines de survivants ont décrit à Human Rights Watch comment des hommes de l’ethnie Dogon lourdement armés ont attaqué leur village, situé dans le centre du pays, accusant les habitants de l’ethnie Peul de soutenir les groupes islamistes armés.
Les assaillants ont exécuté, mutilé et brûlé vif des villageois retranchés dans leurs maisons ou cherchant à échapper aux violences. Une mère âgée de 32 ans a raconté comment son jeune fils de 5 ans lui a été arraché des bras avant d’être assassiné. Une autre mère a été témoin du meurtre par balles de ses fils, âgés de 12 et 17 ans.
Le gouvernement a ouvert une enquête et procédé à quelques arrestations d’individus de second rang, alors que le commandant du groupe d’autodéfense Dogon, Youssouf Toloba, dont la milice était impliquée de manière crédible dans les meurtres, n’a même pas été interrogé. Moins d’un an plus tard, 35 autres civils ont été assassinés dans le même village, manifestement par la même milice.
En novembre dernier, le procureur chargé des deux dossiers a déclaré que les enquêtes judiciaires « suivent leur cours normal en dépit des contraintes liées à l’insécurité ». Pourtant, de nombreux survivants nous ont confié ne pas comprendre pourquoi les nombreux suspects qu’ils avaient identifiés comme étant présents et impliqués dans des meurtres à Ogossagou n’ont toujours pas été placés en détention.
Le conflit qui sévit au Mali depuis 2012 a été ponctué par des dizaines d’atrocités de toutes parts, perpétrées par des islamistes armés, des milices ethniques formées en représailles et les forces de sécurité gouvernementales. Des centaines de civils ont été sommairement exécutés. Très peu de ces atrocités n’ont fait l’objet d’enquêtes, et les poursuites pénales à l’encontre des responsables ont été encore plus rares.
Le 15 mars, un tribunal de Bamako, la capitale malienne, a mis fin sans verdict au procès de l’officier de l’armée Amadou Haya Sanogo et de 16 coaccusés pour le meurtre en 2012 de 21 soldats d’élite qui se trouvaient en détention, citant la Loi d’entente nationale adoptée en 2019, qui prévoit l’amnistie sur une base discrétionnaire. Cette décision a conduit les survivants de graves abus à se demander si justice pouvait être rendue pour leurs proches disparus.
L’absence de justice, non seulement pour le massacre d’Ogossagou mais aussi pour de nombreux autres crimes graves commis par des membres de divers camps, a contribué à alimenter un cycle pervers de violences et de représailles au Mali.
Comme l’a résumé un ancien d’un village près d’Ogossagou : « Les membres de tous les groupes armés ont compris qu’ils peuvent tuer, mutiler, brûler et détruire sans conséquence. Quand le Mali apprendra-t-il que c’est l’impunité même qui est avant tout le moteur de la violence dans le pays ? »
------------------