Les Jeux olympiques de Tokyo se concluent. Quels en ont été les points saillants sur le plan des droits humains ?
Les droits humains et les Jeux olympiques sont inextricablement liés. Cette semaine encore, une courageuse athlète biélorusse qui a critiqué le président de son pays, a demandé l’asile après que son Comité national olympique a tenté de la contraindre à rentrer chez elle, où elle craignait d’être persécutée.
Les Jeux olympiques auraient dû changer la donne pour les droits des personnes LGBT au Japon. Toutefois, malgré une vague de soutien sans précédent à la législation contre la discrimination LGBT à l’approche des Jeux, la Diète, le parlement japonais n’a pas adopté une loi sur l’égalité.
En outre, à l’approche des Jeux, quatre hauts responsables olympiques masculins à Tokyo ont dû démissionner après avoir fait des commentaires dévalorisants sur les femmes et s’en être pris à des enfants atteints de handicap.
Quant aux athlètes, Human Rights Watch s’est entretenu au Japon avec plus de 800 d’entre eux excellant dans 50 disciplines, dont de nombreux survivants d’abus, pour un rapport publié en 2020 « “I Was Hit So Many Times I Can’t Count” » (« ’’J’ai été battu tellement de fois que j’ai arrêté de compter’’ »),. Nous avons également documenté des décès, des suicides et des abus subis par des athlètes japonais.
Un motif d’espoir pendant ces Jeux a été la mobilisation des athlètes contre les abus. La gymnaste américaine médaillée d’or Simone Biles a ouvertement abordé les antécédents d’abus sexuels qu’elle a subis et qui ont été commis par l’ancien médecin de son équipe olympique, ainsi que l’impact qu’ils ont eu sur sa santé mentale. Elle a en partie attribué sa décision de concourir à Tokyo au désir de maintenir l’attention sur des demandes de justice et de protections. La campagne #AthletesAgainstAbuse, menée par Human Rights Watch, est également soutenue par des athlètes japonais ayant survécu à des abus et qui se battent pour la création d’un Japan Center for Safe Sport, un centre japonais pour la sécurité dans le sport.
Les préparatifs des Jeux olympiques d’hiver de Pékin sont en cours. Quelles doivent être nos priorités pour les droits humains concernant la Chine ?
En ce moment, une répression incroyablement brutale des droits humains est perpétrée en Chine. Tous les gouvernements commettent des violations, mais la Chine est le seul pays hôte olympique à se livrer à des crimes contre l’humanité. Human Rights Watch a rendu public cette année un rapport sur les crimes contre l’humanité commis par le gouvernement chinois, notamment les détentions arbitraires de masse, les actes de torture, la surveillance de masse, l’éradication culturelle et religieuse, la séparation des familles, le travail forcé et les violences sexuelles et les violations des droits reproductifs pratiquées à l’encontre des Ouïghours et d’autres musulmans turciques de la région.
Les autorités chinoises ont d’abord dissimulé les informations sur le Covid-19 et sur la mort de soignants chinois, puis surveillé et harcelé les familles de ceux ayant succombé au coronavirus. Le fait que Pékin réduise au silence les défenseurs des droits humains, les journalistes et les militants, ainsi que les restrictions imposées à l’utilisation d’Internet, rendent également difficile l’obtention d’informations précises et à jour sur les conditions sanitaires et sur ce qui se passe réellement dans le pays à l’approche des Jeux.
L’an dernier également, Pékin a lancé un assaut brutal contre les droits humains à Hong Kong, notamment en emprisonnant des législateurs et des journalistes, en muselant la presse et en restreignant d’autres libertés.
Dans un geste sans précédent, les législateurs de l’Union européenne, des États-Unis, du Canada et d’autres pays font pression pour un boycott diplomatique. Cela n’affecterait pas les athlètes, mais signifie que ces pays ne seront pas représentés aux Jeux par leurs chefs d’État ou d’autres responsables gouvernementaux pour ne pas donner l’impression de cautionner cette terrible répression menée par Pékin.
Un boycott diplomatique est-il une bonne idée ?
Human Rights Watch soutient un boycott diplomatique des Jeux olympiques de Pékin. Les gouvernements et les dirigeants politiques ne devraient pas accorder au gouvernement chinois l’attention qu’il recherche ou assister en personne aux Jeux, alors que les mauvais traitements infligés par Pékin aux 13 millions de musulmans de la minorité ethnique du Xinjiang sont contraires aux idéaux olympiques de célébration des accomplissements et de la dignité humaines.
Au sein de la communauté des droits humains, l’organisation d’événements majeurs visant à détourner l’attention des violations des droits humains est qualifiée de « sports-washing ». Et le gouvernement chinois est déjà en train d’instrumentaliser les Jeux olympiques d’hiver pour occulter ses abus et donner l’impression qu’il a le soutien du reste du monde.
Concourir dans un pays au piètre bilan en matière de droits humains affecte-t-il les athlètes ?
Les athlètes sont des personnes et ont des droits humains. Mais ils ne choisissent pas le pays qui accueillent les Jeux, ils se rendent dans celui où le CIO décide de les organiser. Ils se sont entraînés toute leur vie pour ce moment, et certains demandent à juste titre pourquoi ils doivent concourir dans un pays commettant de graves violations des droits. La skieuse olympique médaillée d’or Mikaela Shiffrin, par exemple, affirme qu’elle et d’autres athlètes ne devraient pas avoir à « choisir entre leur valeurs morales, le soutien aux droits humains et leur préparation aux épreuves ».
Les athlètes ont le droit de s’exprimer librement et d’avoir une opinion sur la répression à Hong Kong, au Xinjiang ou au Tibet ainsi que sur les abus commis dans leur propre pays et dans d’autres. À l’approche des jeux de Pékin, ils pourraient être contraints au silence et c’est totalement anormal.
En outre, la surveillance, par le gouvernement chinois, des athlètes se rendant à Pékin pourrait débuter dès à présent, à partir de propos tenus sur les réseaux sociaux et d’interviews accordés aux médias. Lorsqu’ils concourront à Pékin, les athlètes pourront-ils communiquer librement avec leur famille ? Le recours à un réseau privé virtuel (VPN) peut être illégal en Chine. Les athlètes qui ont des convictions courent des risques considérables s’ils veulent s’exprimer sur la situation en Chine, qu’il s’agisse du travail forcé des Ouïghours, de la répression à Hong Kong ou de la liberté religieuse au Tibet.
Que risquent les athlètes qui prennent la parole ?
Les protections des « droits humains » n’apparaissent nulle part dans la Charte olympique (qui se contente de mentionner que le sport est un droit humain). Le CIO affirme que, dans le cadre des futurs Jeux, les droits seront pris en compte dans les contrats du pays hôte, mais ce n’est pas le cas du contrat actuel. C’est un deux poids deux mesures scandaleux, alors que le sport, par définition, consiste à ce que les mêmes règles soient respectées par tous.
Pékin pourrait prendre pour cible les athlètes dont les opinions lui déplaisent. Après que le patineur de vitesse médaillé d’or Joey Cheek a dénoncé les violations des droits humains au Darfour, le gouvernement chinois a annulé son visa olympique et lui a interdit de se rendre en Chine en 2008. Cheek était le cofondateur de Team Darfur, un groupe d’athlètes formé pour faire pression sur la Chine pour qu’elle contribue à mettre fin aux massacres ethniques perpétrés au Soudan avant les Jeux de 2008.
Séparément, la Charte olympique dispose d’une disposition appelée Règle 50, qui sanctionne les athlètes qui prennent la parole sur le podium. Cela a longtemps été une violation de la liberté d’expression et le monde se souvient de la souffrance endurée par les athlètes afro-américains John Carlos et Tommie Smith après leur poing levé du « Black Power », aux jeux de Mexico de 1968.
Comment les journalistes qui couvrent les Jeux peuvent-ils aussi couvrir leurs répercussions sur les droits humains ?
La liberté de la presse est inscrite dans la Charte olympique et garantie dans le contrat de la ville hôte. Le gouvernement chinois s’est engagé à plusieurs reprises à défendre la liberté des médias pour obtenir le droit d’accueillir les Jeux olympiques. Pourtant, un certain nombre de journalistes de la BBC, d’ABC Australia, du Wall Street Journal, du New York Times et d’autres médias ont été expulsés de Chine pour leur couverture critique du gouvernement chinois et s’efforcent maintenant de couvrir les Jeux olympiques d’hiver depuis Séoul, Taïwan ou Tokyo. C’est bien sûr une aberration totale : des journalistes ne peuvent pas couvrir cet évènement sportif depuis un autre pays.
Mais c’est l’occasion pour les journalistes expulsés de Chine de manifester dès à présent leur intention de couvrir les Jeux. Et si la Chine ne les laisse pas faire leur travail normalement, le CIO doit insister pour qu’elle respecte les règles, qui s’appliquent aussi bien à Internet qu’à la liberté de la presse.
Que peuvent faire les sponsors ?
Le sport est l’une des dernières grandes industries à générer des milliards de dollars de profits qui ne respecte pas les normes internationales des droits humains. Cela doit changer. Les sponsors olympiques sont des multinationales comme Proctor & Gamble, Coca-Cola, Intel et Visa, et parce qu’elles financent littéralement les Jeux, elles ont un pouvoir de persuasion. Même si elles craignent de demander au gouvernement chinois de modifier ses politiques en matière de droits humains pour ne pas menacer leurs affaires en Chine, elles pourraient demander au CIO d’accélérer la cadence et de protéger les athlètes et les droits humains dans ce pays.
Human Rights Watch a écrit aux principaux sponsors, en les interrogeant sur leur diligence raisonnable en matière de droits humains à l’approche des Jeux olympiques en Chine. Pour l’instant, aucune de ces entreprises ne nous a répondu. Les sponsors devront expliquer au public pourquoi ils financent les Jeux olympiques et paralympiques là où des crimes contre l’humanité sont commis. Et j’espère que les législatures du monde entier se poseront ces questions difficiles.
La Chine a initialement dissimulé l’épidémie de Covid-19. Quel est le risque de censure en matière de santé publique ?
Avant les Jeux olympiques de Pékin en 2008, les autorités chinoises ont dissimulé des informations de la presse locale selon lesquelles une partie de la chaîne d’approvisionnement de lait en poudre du pays était empoisonnée à la mélamine. Pas moins de 300 000 bébés ont été intoxiqués et six en sont morts, parce que le gouvernement chinois a caché cette information à ses citoyens et au reste du monde. Cela s’est passé pendant que les Jeux olympiques battaient leur plein.
Le piètre bilan de la Chine quant il s’agit de diffuser des informations précises et à jour – à ce sujet et au sujet du Covid-19 – soulève de sérieuses inquiétudes quant à sa capacité à garantir le droit à la santé pendant des Jeux olympiques qui se dérouleront en pleine pandémie.
Les Jeux olympiques sont regardés par environ 3,4 milliards de personnes du monde entier. Que peut faire le public ?
Au cours de la dernière décennie, des progrès considérables ont été accomplis pour enraciner les droits humains dans le sport, et cela est presque entièrement dû à la pression exercée par l’opinion publique et les amateurs de sport. De plus en plus, les fans disent qu’ils ne veulent pas s’asseoir dans un stade dans lequel des ouvriers ont perdu la vie pour le construire, ni acheter de vêtements ou des produits qui pourraient avoir été confectionnés grâce au travail forcé. La FIFA, l’instance dirigeante mondiale du football, a fini par se doter d’une politique des droits humains en raison de cette pression internationale. Cela signifie que le public a un énorme pouvoir pour exiger des réformes. Ces Jeux olympiques et paralympiques en Chine sont une rare opportunité de faire entendre notre voix.