(Genève, le 20 décembre 2021) – De grandes puissances militaires s’opposent aux efforts d’une majorité d’Etats en vue d’interdire les systèmes d’armes autonomes par le biais d’un nouveau traité international, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Le 17 décembre, les représentants de gouvernements réunis pour la sixième Conférence d’examen de la Convention sur certaines armes classiques (CCAC) ont échoué à s’accorder sur le lancement de négociations en vue de règlementer les « robots tueurs », des armes qui peuvent choisir leurs cibles et les attaquer sans contrôle humain significatif.
« L’absence de résultat tangible à l’issue de la conférence d’examen des Nations Unies est une réponse entièrement inadéquate aux inquiétudes suscitées par les robots tueurs », a déclaré Stephen Goose, directeur de la division Armes à Human Rights Watch. « L’échec des discussions diplomatiques actuelles, qui n’ont pas abouti à des recommandations quant aux robots tueurs, montre que les États devraient trouver un autre forum pour interdire ces armes. Le monde ne peut pas attendre. »
Le mouvement en faveur d’un nouveau cadre juridique contraignant prend de l’ampleur, grâce au soutien et à la diversité d’un nombre croissant de gouvernements, de leaders politiques, d’institutions, d’entreprises, de scientifiques et d’experts en intelligence artificielle.
La Russie, les États-Unis, l’Inde et Israël sont les principaux Etats qui portent la responsabilité d’avoir empêché la majorité des pays présents à la conférence de s’accorder à lancer des négociations en vue d’un cadre juridique contraignant sur les systèmes d’armes autonomes, a déclaré Human Rights Watch. Parce que la Convention sur les armes classiques suit la règle du consensus, ces quatre pays, ainsi qu’une poignée d’autres pays investissant massivement dans les applications militaires de l’intelligence artificielle ainsi que des nouvelles technologies, ont empêché tout accord sur les propositions de réglementation.
La majorité des États représentés à la conférence ont exprimé leur frustration et leur insatisfaction lorsqu’il s’est avéré qu’un mandat pour entamer des négociations sur un nouvel instrument juridique international ne serait pas possible, malgré le large soutien dont il bénéficiait. Les pays membres de la conférence ont passé les huit dernières années à examiner les problèmes juridiques, opérationnels et techniques fondamentaux posés par l’introduction de l’autonomie dans les systèmes d’armes.
Au lieu de cela, la conférence a abouti à l’adoption d’un mandat ambigu consistant à « examiner des propositions et à élaborer…des mesures possibles » sur les systèmes d’armes létales autonomes durant seulement dix jours de travail en 2022, sous réserve de financement suffisant. Le texte final est bien en deçà du mandat fort qui serait nécessaire pour négocier un instrument juridiquement contraignant.
Un nouveau traité international pourrait cependant être adopté par le biais d’un processus indépendant, comme pour la Convention d’Ottawa sur l’interdiction des mines antipersonnel.
Durant la conférence, Human Rights Watch a critiqué les propositions de mesures basées sur le volontariat, et ne constituant pas de nouvelles règles juridiques contraignantes, car elles ne feraient qu’encourager le large développement et l’utilisation des systèmes d’armes autonomes.
La proposition des États-Unis que les États parties étudient au cours des deux prochaines années la possibilité d’un « code de conduite » pour encadrer le développement et l’utilisation des systèmes d’armes autonomes n’a pas reçu un grand soutien.
Le Portugal a suggéré que les États rédigent un « compendium » résumant comment le droit international humanitaire s’applique actuellement à la question de l’autonomie des systèmes d’armes. D’autres participants ont toutefois ? répondu qu’un exercice d’inventaire n’était pas approprié en la circonstance, vu l’urgence et l’importance du défi posé par les systèmes d’armes autonomes, et compte tenu de l’espoir grandissant de l’opinion publique que les États prennent des mesures ambitieuses.
Au total, 40 pays ont appelé à l’élaboration d’un nouveau traité international visant à interdire et réguler les systèmes d’armes autonomes, un objectif que beaucoup ont fermement réitéré lors de la conférence : l’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Argentine, l’Autriche, la Bolivie, le Brésil, le Chili, la Chine (uniquement sur l’utilisation), la Colombie, le Costa Rica, la Croatie, Cuba, Djibouti, l’Équateur, l’Égypte, l’Espagne, l’État palestinien, le Ghana, le Guatemala, l’Irak, la Jordanie, le Kazakhstan, Malte, le Mexique, le Maroc, la Namibie, la Nouvelle Zélande, le Nicaragua, le Nigeria, l’Ouganda, le Pakistan, le Panama, le Pérou, les Philippines, le Salvador, le Saint-Siège, la Sierra Leone, le Sri Lanka, le Venezuela et le Zimbabwe. Des dizaines d’autres États ont appuyé cet objectif par le biais de déclarations émanant de groupes régionaux et du Mouvement des pays non-alignés.
Durant la conférence :
- Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a déclaré que les États devraient s’accorder sur un « plan ambitieux » permettant l’avancée rapide des travaux visant à interdire les armes autonomes capables de choisir seules leurs cibles et de tuer des personnes sans contrôle humain ;
- Le président du Comité international de la Croix-Rouge, Peter Maurer, a déclaré que les États devraient interdire les systèmes d’armes autonomes qui posent des risques inacceptables—les systèmes d’armes autonomes au comportement imprévisible et celles utilisées pour cibler directement des êtres humains—tout en règlementant strictement les autres types d’armes autonomes pour s’assurer d’un contrôle humain suffisant ; et
- Le président de la CCAC, l’ambassadeur de la République française Yann Hwang, a reçu une pétition, signée par plus de 17 000 personnes, qui appelle les États à entamer des négociations visant l’adoption de nouvelles règles juridiquement contraignantes sur les systèmes d’armes autonomes.
Human Rights Watch est co-fondateur de la Campagne pour arrêter les robots tueurs, une coalition de plus de 185 organisations non-gouvernementales issues de 67 pays qui plaide pour l’élaboration d’un traité interdisant les systèmes d’armes autonomes et permettant de conserver un contrôle humain suffisant sur l’usage de la force.
« Personne ne veut vivre dans un monde où des machines sont utilisées pour cibler des êtres humains sur la base de capteurs et de logiciels », a déclaré Steve Goose. « La révulsion du public provoquée par la déshumanisation numérique et par la prolifération des systèmes d’armes autonomes finira par faire avancer un traité international pour éviter de perdre un contrôle humain significatif sur l’usage de la force. »
La conférence d’examen s’est également penchée sur la question du Protocole III sur les armes incendiaires, qui a été critiqué pour son incapacité à empêcher les blessures atroces causées par ces armes d’une cruauté exceptionnelle. Une vingtaine de pays ont déclaré que la conférence d’examen devrait consacrer une partie de son temps de travail à examiner le statut et le fonctionnement du Protocole III, et l’Irlande a proposé l’ouverture de consultations informelles. Ces pays ont déclaré que les souffrances immédiates et à long-terme causées par les armes incendiaires, ainsi que les différences d’opinion entre les pays participants, rendaient nécessaires des discussions en profondeur au sujet du Protocole.
Cette proposition a finalement échoué, en raison de l’opposition de la Russie et de Cuba. Les participants se sont toutefois accordés pour condamner l’utilisation d’armes incendiaires contre des civils.
« Le véto de deux États s’opposant aux efforts pour règlementer plus strictement les armes incendiaires démontre une fois de plus l’incapacité de la CCAC à répondre aux préoccupations d’ordre humanitaire, et à s’assurer de l’efficacité des protocoles existants », a observé Steve Goose.
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