Le président français Emmanuel Macron est attendu au Cameroun les 25 et 26 juillet, dans un contexte de répression aggravée et deux ans et demi après avoir promis à un citoyen camerounais qui l’interpellait à Paris au sujet de la situation des droits humains au Cameroun, qu’il mettrait « le maximum de pression [sur le président camerounais Paul Biya] pour que cette situation cesse ».
Depuis, la situation a empiré. C’est pourquoi il est crucial que le président français ne se contente pas de renforcer les relations économiques, politiques et culturelles entre les deux pays et d’exprimer la solidarité de la France dans le conflit qui oppose depuis 2013 les forces de sécurité camerounaises au groupe armé Boko Haram dans la région de l’Extrême-Nord.
En rencontrant le président Paul Biya, arrivé au pouvoir en 1982, le président français devrait clairement exprimer son inquiétude quant aux violations des droits humains commises par les forces de sécurité dans les deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest depuis 2016, et à la répression à l’encontre de toute personne dans le pays qui ose critiquer le pouvoir. Aujourd’hui au Cameroun, arrestations, détentions arbitraires et torture sont monnaie courante.
Depuis la violente répression, en 2016 et 2017, des manifestations contre la marginalisation ressentie par la minorité anglophone en matière d’éducation et de justice, le quotidien des habitants du Nord-Ouest et du Sud-Ouest est rythmé par les affrontements entre l’armée et des groupes séparatistes armés de mieux en mieux équipés. Ces derniers diffusent les images de leurs exactions sur les réseaux sociaux: notamment des tueries visant des élèves et des attaques contre des enseignants et des écoles. En réponse, l’armée tue des personnes et incendie des villages entiers accusés de soutenir les séparatistes. Les défenseurs des droits humains qui dénoncent ces exactions sont menacés de mort.
Les conséquences humanitaires de ces violences sont désastreuses. Près de 600 000 personnes sont déplacées dans les deux régions anglophones, plus de 75 000 ont fui au Nigeria voisin.
L’impunité reste l’un des principaux moteurs de la violence et alimente de nouveaux abus. La reconnaissance par l’armée de sa responsabilité dans la mort de neuf personnes dans le village de Missong le 1er juin 2022 est une étape importante dans la lutte contre l’impunité. Mais l’affirmation de la volonté des autorités de sanctionner les crimes reste encore à démontrer, le gouvernement n’ayant, à maintes reprises, pas tenu ses engagements dans ce sens. Plus de deux ans après le massacre de Ngarbuh, le 14 février 2020, au sujet duquel le gouvernement a également reconnu l’implication de l’armée, le procès de 21 individus accusés d’être impliqués dans le meurtre de 21 personnes traîne depuis 19 mois.
Les abus des autorités camerounaises s’exercent aussi à l’encontre des personnes qui usent de leur droit à la liberté de réunion pacifique. Des dizaines d’habitants des régions anglophones et de militants ou sympathisants du parti d’opposition Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) arrêtés ces dernières années après avoir manifesté sont toujours en prison, après avoir été condamnés par des tribunaux militaires, parfois en vertu d’une loi antiterroriste initialement adoptée en 2014 dans le cadre de la lutte contre Boko Haram.
Parmi eux, le journaliste Tsi Conrad, condamné le 25 mai 2018 à 15 ans d’emprisonnement pour avoir pris part à une manifestation dans la ville de Bamenda, Nord-Ouest, en 2016. En mai 2021, le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a considéré que sa détention était arbitraire et a demandé sa libération.
Le 8 avril 2022, 105 militants et sympathisants du MRC avaient été condamnés par des tribunaux militaires à des peines allant de deux à cinq ans de prison ferme pour avoir bravé une interdiction de manifester en septembre 2020.
Beaucoup de ces détenus ont subi des tortures et autres mauvais traitements dans différents lieux de détention. Certains détenus anglophones tombés malades sont morts enchainés à leur lit d’hôpital. D’autres sont décédés en raison des conditions de détention épouvantables dans les prisons du pays, comme Rodrigue Ndagueho Koufet, l’un des six détenus de la prison de Douala morts du choléra entre février et avril 2021. Il était détenu arbitrairement depuis septembre 2020 pour avoir participé à des rassemblements pacifiques.
Les autorités camerounaises commettent ces violations au mépris du droit international. La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) attend depuis 2018 leur réponse à sa demande de mener une mission d’enquête sur ces allégations de violations graves des droits humains.
Le peuple camerounais et les familles de victimes d’abus dans les régions anglophones méritent des réponses. Emmanuel Macron devrait saisir l’occasion de sa rencontre avec son homologue camerounais pour soutenir leur demande de vérité, de justice et d’en finir avec l’impunité pour les crimes commis par les forces de sécurité, ainsi que d’être protégés des exactions des groupes armés. Le président français devrait également utiliser les leviers à sa disposition pour faire pression sur le président Biya afin que ce dernier agisse sur le front du respect du droit d’expression et de manifestation, notamment pour que soient libérés les activistes et les opposants injustement détenus. Enfin, Emmanuel Macron devrait souligner que la lutte anti-terroriste ne saurait passer par la suppression des droits humains et l’écrasement des voix critiques.