(New York) – De nombreux enfants rapatriés des camps de détention réservés aux suspects de l’État islamique (EI) et à leurs familles dans le nord-est de la Syrie se réintègrent avec succès dans leur pays d’origine, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Les gouvernements devraient supprimer les obstacles à une réintégration effective et veiller à ce que les politiques régissant les retours ne causent pas de préjudice inutile à leurs ressortissants enfants.
Le rapport de 68 pages, intitulé « “Mon fils est juste un enfant comme les autres” : Expériences d’enfants rapatriés des camps pour suspects de l’EI et leurs familles dans le nord-est de la Syrie », présente le vécu d’une centaine d’enfants rapatriés ou rentrés en Allemagne, en France, au Kazakhstan, en Ouzbékistan, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Suède entre 2019 et 2022. Human Rights Watch a constaté que malgré des années passées en détention dans des conditions dangereuses pour leur vie, avec une nourriture, de l’eau et des soins de santé insuffisants et peu ou pas d’accès à l’éducation, nombre d’enfants semblent bien s’adapter et avoir de bons résultats à l’école. Beaucoup se sont réintégrés sans heurts et pratiquent un large éventail d’activités avec leurs camarades, comme le football, le patinage, le cyclisme, la danse, des travaux manuels et la musique.
« Les enfants sauvés de l’horreur des camps ont de bons résultats à l’école, se font des amis et se construisent une nouvelle vie dans leur pays d’origine », a commenté Jo Becker, directrice du plaidoyer auprès de la division Droits des enfants à Human Rights Watch. « Bien qu’ayant subi des souffrances inimaginables, nombre d’entre eux se réintègrent remarquablement bien. »
Human Rights Watch a adressé un questionnaire à 81 membres de familles, parents d’accueil, assistants sociaux et enseignants, et a mené des entretiens avec des membres de familles, des juristes, des tuteurs légaux et des professionnels de la santé mentale sur les enfants rapatriés ou de retour dans leur pays d’origine. À la question de savoir si l’enfant s’adaptait bien, 89 % des répondants à l’enquête ont répondu que l’enfant allait « très bien » ou « assez bien ». 73 % ont indiqué que l’enfant réussissait « très bien » ou « assez bien » en classe.
Un homme, grand-père de plusieurs enfants rapatriés en Suède en 2019, a expliqué : « C’est possible, totalement possible, que les enfants se réintègrent et récupèrent. Mes petits-enfants en sont la preuve. Ils se sont remis de manière incroyable. Tous les enfants devraient pouvoir bénéficier d’une nouvelle chance dans la vie. »
Environ 56 000 personnes, dont la quasi-totalité sont des femmes et des enfants, sont arbitrairement détenus à al-Hol et Roj, deux grands camps fermés dans le nord-est de la Syrie où sont principalement détenus les épouses et les enfants d’hommes suspectés d’être membres de l’EI. Plus de 18 000 sont originaires de Syrie, environ 28 000 de l’Irak voisin et plus de 10 000 autres sont originaires d’une soixantaine d’autres pays. Plus de 60 % sont des enfants.
Pour la plupart d’entre eux, cette détention a commencé en février ou mars 2019, lorsque des combattants régionaux appuyés par une coalition militaire dirigée par les États-Unis ont fait tomber ce qui restait du « califat » autoproclamé de l’EI dans le nord-est de la Syrie. Leur détention est clairement arbitraire et illégale, a déclaré Human Rights Watch. Aucun d'entre eux n'a été présenté devant un tribunal pour déterminer la nécessité ou la légalité de leur détention.
Près de 80 % des enfants dans les camps ont moins de 12 ans, et 30 % ont cinq ans ou moins. Un grand nombre d’entre eux ont passé la majorité, voire la totalité, de leur existence en détention illégale dans le nord-est de la Syrie, ce qui revient à une peine collective, laquelle constitue un crime de guerre.
Les autorités régionales, l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie dirigée par les Kurdes, ont à maintes reprises répété qu’elles manquaient de ressources pour détenir ces étrangers et appelé les différents pays à reprendre leurs ressortissants. Des hauts responsables des Nations Unies ont eux aussi à plusieurs reprises exhorté les gouvernements à rapatrier leurs ressortissants. Mais de nombreux pays ont fait trainer ou refusé de reprendre une partie ou la totalité de leurs ressortissants.
Human Rights Watch a également constaté que certains choix de politique de la part de gouvernements procédant à des rapatriements rendaient la réintégration des enfants plus difficile et, dans certains cas, leur avaient même causé un préjudice supplémentaire. Dans certains pays – notamment en Belgique, en France, aux Pays-Bas et en Suède –, les autorités ont immédiatement séparé les enfants de leurs mères, si la mère faisait l’objet d’une enquête ou était mise en examen pour des infractions en relation avec l’EI. Cela a provoqué chez les enfants une détresse émotionnelle et psychologique significative, selon des membres des familles et des professionnels de santé mentale.
Dans certains pays, les membres de la famille élargie, notamment les grands-parents, doivent faire l’objet d’une longue procédure d’enquête avant d’être autorisés à s’occuper des enfants de retour ou à avoir des contacts avec eux, même s’ils sont en relation avec les autorités depuis des années. Human Rights Watch a ainsi identifié le cas d’une fillette arrivée en France à l’âge de cinq ans mais qui a passé trois ans dans une famille d’accueil, avant que ses grands-parents ne soient autorisés à s’occuper d’elle. Établir un contact avec des membres de sa famille le plus tôt possible peut contribuer à apporter à l’enfant une certaine stabilité et favoriser la réussite de sa réintégration, surtout si ses parents sont décédés ou détenus, a précisé Human Rights Watch.
Les personnes avec qui Human Rights Watch a mené des entretiens et celles qui ont répondu à l’enquête ont également indiqué que les gouvernements pourraient améliorer la réintégration des enfants en délivrant rapidement des actes de naissance, des cartes d’identité et d’autres documents.
L’enquête de Human Rights Watch fait ressortir que certains enfants présentent des troubles émotionnels ou comportementaux liés au traumatisme qu’ils ont subi lorsqu’ils vivaient sous l’EI ou dans des camps de détention, ou qu’ils peinent à se mettre à niveau à l’école. Cependant, des professionnels de la santé mentale soulignent que l’aide à l’apprentissage et le soutien psychologique mis à disposition d’autres enfants qui ont survécu à la guerre, perdu des proches ou connu la captivité, par exemple les enfants réfugiés ou victimes de la traite des personnes, peuvent faciliter la réussite de leur réintégration.
Depuis 2019, une trentaine de pays ont rapatrié ou contribué à ramener d’une autre manière un plus ou moins grand nombre de leurs ressortissants détenus. Certains, dont l’Allemagne, le Danemark, les États-Unis, la Finlande, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan, la Russie, la Suède et le Tadjikistan, ont désormais rapatrié un grand nombre ou la plupart de leurs ressortissants. La Russie et les pays d’Asie centrale ont collectivement rapatrié un millier d’enfants, soit près du double du nombre d’enfants rapatriés par l’ensemble des pays occidentaux.
En revanche, le Royaume-Uni n’a rapatrié que dix enfants, et en a laissé 30 à 60 autres dans les camps, d’après les estimations ; il a également déchu de leur nationalité plusieurs des 16 femmes qui s’y trouvent encore. Le Canada n’a quant à lui rapatrié ou accepté le retour que de quatre enfants et trois femmes, 23 enfants et 19 femmes se trouvant toujours dans les camps, d’après les estimations.
La France a accru ses rapatriements au second semestre de 2022, ayant ramené 32 femmes et 77 enfants depuis juillet. En octobre, l’Australie a rapatrié quatre femmes et 13 enfants, les premiers rapatriements effectués par ce pays depuis 2019. Les Pays-Bas ont quant à eux rapatrié 12 femmes et 28 enfants le 31 octobre.
Les experts en questions sécuritaires et humanitaires alertent sur le fait que les conditions déjà déplorables dans les camps de détention sont en train de se dégrader et sont de plus en plus dangereuses, des détenus restés fidèles à l’EI ayant attaqué d’autres détenus, les autorités des camps et des travailleurs humanitaires, et des affrontements ayant lieu entre des gardiens et des détenus. Des centaines d’enfants sont morts dans les camps au cours des derniers trois ans et demi, dont un grand nombre d’hypothermie, de malnutrition et de maladies évitables.
« Le plus gros risque n’est pas de ramener les enfants chez eux mais de les laisser dans les camps où ils risquent la mort, la maladie, un recrutement par l’EI et une détention illimitée à cause des crimes que leurs parents sont suspectés d’avoir commis », a ajouté Jo Becker. « Les pays dont des ressortissants se trouvent dans les camps devraient de toute urgence leur permettre de rentrer dans leur pays et faire tout leur possible pour garder ensemble les mères et leurs enfants. »
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