(Beyrouth) – Le gouvernement irakien n’a pas tenu la promesse faite par l’ex-Premier ministre Mustafa al-Kadhimi de traduire en justice les membres des forces de sécurité et de groupes armés soutenus par l’État ayant tué, blessé ou fait disparaître de force des centaines de manifestants et d’activistes depuis 2019, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.
Ce rapport de 40 pages, intitulé « To Sleep the Law: Violence Against Protesters and Unaccountable Perpetrators in Iraq » (« Ignorer la loi : Violences commises en toute impunité contre des manifestants en Irak »), détaille des cas particuliers de manifestants tués, blessés ou soumis à des disparitions forcées pendant et après le soulèvement populaire de 2019-2020 dans le centre et le sud de l’Irak. Al-Kadhimi est arrivé au pouvoir en mai 2020 en promettant que justice serait rendue pour les meurtres et les disparitions ; toutefois, lorsqu’il a quitté ses fonctions en octobre 2022, son gouvernement n’avait fait aucun progrès concret en vue de faire rendre des comptes aux responsables de ces abus.
« Au bout des deux ans et demi du gouvernement de Mustafa al-Khadimi, ses promesses de rendre justice pour les terribles violences commises contre des manifestants pacifiques se sont avérées vaines et les tueurs sont toujours en liberté », a déclaré Adam Coogle, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les manifestants ont énormément sacrifié – parfois même leur vie – pour améliorer les conditions de vie dans le pays, mais leur gouvernement n’a même pas été capable de leur rendre un minimum de justice en échange. »
Près de 500 manifestants ont été tués, au cours des premières semaines du soulèvement, par les forces de sécurité irakiennes et des groupes armés affiliés à l’État, selon les Nations Unies. Les violences à l’encontre des protestataires se sont poursuivies même après la fin des manifestations, dans le cadre d’une campagne d’assassinats ciblés visant des activistes en vue, la plupart desquels étaient perçus comme des voix influentes au sein du mouvement de contestation.
En octobre 2020, six mois après sa prise de fonction en tant que Premier ministre, Mustafa al-Kadhimi a créé une Commission d’enquête chargée de faire la lumière sur les violences commises contre des manifestants et activistes par les agents de sécurité de l’État et par les groupes armés. Mais cette commission n’a toujours pas rendu publique la moindre information concrète sur ses conclusions, ne révélant même pas quels cas elle a examinés, et encore moins les résultats de ses investigations.
Human Rights Watch a examiné les cas de 11 Irakiens ayant subi des violences à cause de leur participation à des manifestations politiques et de leur activisme. Cinq d’entre eux ont été tués, dont deux femmes. Cinq autres ont été blessés et un a été enlevé et a disparu.
Ces victimes et les familles des personnes tuées ou disparues ont porté plainte officiellement auprès de la police et des autorités judiciaires mais, après une réaction initiale d’intérêt de la part des autorités, comme la collecte de détails sur ces affaires par la police, ces plaintes n’ont abouti à rien. Il n’y a eu pratiquement aucun suivi de la part des autorités sur l’avancement des enquêtes, ni de tentatives d’identifier les responsables et de leur faire rendre des comptes.
Comme l’ont dit certaines personnes interrogées, leurs dossiers ont été tout simplement « mis en sommeil ».
Emjad al-Dehemat, 56 ans, était un activiste bien connu à Amara, la capitale de la province de Maysan, dans le sud-est de Irak. Le 6 novembre 2019, plusieurs semaines après le début des manifestations, al-Dehemat a été assassiné après avoir participé à une réunion avec un commandant de haut rang de la police au commissariat principal de police d’Amara, selon d’autres activistes qui ont également participé à cette réunion. Le meurtre a été commis à quelques centaines de mètres seulement du quartier général de la police.
Son frère Ali, 52 ans, a porté plainte auprès des autorités, sans grand résultat. Aucune arrestation n’a été effectuée dans cette affaire. Alors qu’il s’efforçait d’obtenir justice pour son frère, Ali al-Dehemat a reçu des menaces de mort et a dû s’enfuir d’Amara, se déplaçant de ville en ville de crainte d’être assassiné à son tour.
Malgré le manque de progrès dans les enquêtes et dans l’établissement des responsabilités, le gouvernement irakien a indemnisé financièrement les familles de la plupart des personnes tuées. Selon l’ONU, les familles de la plupart des manifestants tués ont reçu des indemnités financières de la part de la Fondation pour les martyrs d’Irak, une entité étatique.
Le gouvernement a également promis d’indemniser les milliers de manifestants mutilés ou blessés lors des manifestations. Mais seulement un petit nombre de victimes ont reçu réparation pour leurs blessures, au bout d’une longue attente – jusqu’à deux ans et demi dans certains cas – et à un coût financier élevé. Beaucoup ont dû engager des avocats pour les aider dans leurs démarches et certaines ont indiqué qu’elles avaient dû verser des pots-de-vin à des responsables pour obtenir l’avancement de leur dossier.
Le nouveau gouvernement irakien du Premier ministre Mohammed Shia al-Sudani devrait rendre publiques des informations concernant les investigations de la Commission d’enquête sur les meurtres, les blessures et les disparitions de manifestants pendant et après le soulèvement populaire. Le gouvernement devrait également exhorter les autorités judiciaires à divulguer l’état d’avancement des enquêtes en cours.
Le gouvernement de Mohammed Shia al-Sudani Al-Sudani devrait aussi redoubler d’efforts pour indemniser les victimes de violences, notamment en adoptant une politique claire et concise de compensation pour les personnes blessées, et en établissant des procédures simples afin de minimiser les obstacles bureaucratiques à la perception d’indemnités.
« Le soulèvement de 2019-2020 a fait tomber un gouvernement et provoqué la tenue d’élections anticipées, et les manifestants ont réclamé que les auteurs des violences qu’ils ont subies soient amenés à en répondre devant la justice », a affirmé Adam Coogle. « Le nouveau Premier ministre a les moyens et le devoir de s’employer à rendre justice, ce que son prédécesseur n’a pas fait. »
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