Human Rights Watch a déterminé, sur la base de vidéos vérifiées et de témoignages, que les forces israéliennes ont utilisé du phosphore blanc lors d'opérations militaires au Liban et à Gaza, respectivement les 10 et 11 octobre 2023. Les vidéos montrent de plusieurs explosions de phosphore blanc provenant de tirs d’artillerie au-dessus du port de la ville de Gaza et de deux zones rurales le long de la frontière israélo-libanaise.
Le phosphore blanc, qui peut être utilisé comme écran de fumée ou comme arme, peut potentiellement causer des dommages aux civils en raison des graves brûlures qu'il provoque et de ses effets persistants à long terme sur les survivants. Son utilisation dans les zones densément peuplées de Gaza viole l'exigence du droit international humanitaire selon laquelle les parties au conflit doivent prendre toutes les précautions possibles pour éviter des blessures civiles et des pertes en vies humaines. Cela met aussi en évidence la nécessité de réexaminer le Protocole III de la Convention sur les armes classiques (CCAC), qui est actuellement la seule loi internationale consacrée à la réglementation des armes incendiaires.
1. Qu'est-ce que le phosphore blanc ?
2. Comment le phosphore blanc est-il utilisé ?
3. Quels dommages le phosphore blanc cause-t-il ?
4. Comment l’usage du phosphore blanc est-il régi par le droit international ?
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Le phosphore blanc est une substance chimique pouvant être dispersée par des obus d’artillerie, des bombes ou des roquettes, et qui s’enflamme lorsqu’elle est exposée à l’oxygène. Cette réaction chimique, qui crée une chaleur intense de 815 degrés Celsius, produit de la lumière et une épaisse fumée utilisée à des fins militaires ; mais elle inflige également d'horribles blessures lorsque le phosphore blanc touche des personnes. Les munitions au phosphore blanc ne sont pas considérées comme des armes chimiques, car elles fonctionnent principalement par le biais de la chaleur et de flammes, plutôt que par effet toxique. Le phosphore blanc, souvent stocké dans des tampons de feutre imbibés de cette substance, dégage une forte odeur semblable à celle de l’ail.
Le phosphore blanc est principalement utilisé pour masquer les opérations militaires sur le terrain. Il peut créer un écran de fumée la nuit ou le jour, afin de dissimuler le mouvement des troupes. Il interfère également avec l’optique infrarouge ou d’autres systèmes de repérage militaire, protégeant ainsi les soldats contre des armes guidées telles que les missiles antichar.
Lors d'une explosion aérienne, le phosphore blanc couvre une zone plus large que lors d'une explosion terrestre, ce qui permet de masquer des mouvements de troupes importants. Cependant, une explosion aérienne répand aussi les effets incendiaires sur une zone plus large ; dans des zones densément peuplées comme Gaza, ceci augmente les risques pour les civils. Lors d’une explosion terrestre, la zone de danger est plus restreinte, et l'écran de fumée persiste plus longtemps. Un nuage de phosphore blanc dépend des conditions atmosphériques, et sa durée dans l’air est donc variable.
Le phosphore blanc peut également être utilisé comme arme incendiaire. Les forces américaines ont utilisé du phosphore blanc lors de la deuxième bataille de Falloujah en Irak en 2004, afin de contraindre les combattants ennemis à émerger de leurs abris, afin de pouvoir ensuite les attaquer.
Le phosphore blanc provoque de graves brûlures, souvent jusqu'aux os, qui tardent à guérir et sont susceptibles de provoquer des infections. Si tous les fragments de phosphore blanc ne sont pas éliminés du corps, ils peuvent aggraver les plaies après le traitement, et se rallumer lorsqu'ils sont exposés à l'oxygène. Les brûlures au phosphore blanc rien que sur 10 pour cent du corps humain sont souvent mortelles. Elles peuvent aussi provoquer des lésions respiratoires et une défaillance d’organes.
Les personnes qui survivent à leurs blessures initiales risquent souvent d’en souffrir durant toute leur vie. Les contractures – le resserrement permanent des muscles et d’autres tissus – entravent leur mobilité. Le traumatisme lié a l’attaque, les traitements douloureux et les cicatrices altérant l’apparence physique conduisent souvent à des dommages psychologiques et à l’exclusion sociale. En outre, les ressources insuffisantes dont disposent les prestataires médicaux dans les situations de conflit armé exacerbent le processus déjà difficile de traitement des brûlures graves.
Les incendies provoqués par le phosphore blanc peuvent également détruire des structures et des biens civils, endommager les champs agricoles et tuer du bétail.
Lorsqu’elles sont utilisées comme armes, les munitions au phosphore blanc sont considérées comme des armes incendiaires. Bien que les armes incendiaires ne soient pas explicitement interdites par le droit international humanitaire, le droit international humanitaire coutumier exige que les États prennent toutes les précautions possibles pour éviter les dommages causés aux civils.
Les armes incendiaires sont régies par le Protocole III de la Convention sur les armes classiques (CCAC). La Palestine et le Liban ont adhéré au Protocole III, tandis qu'Israël ne l’a toujours pas ratifié. Le Protocole III interdit l’utilisation d’armes incendiaires larguées par voie aérienne dans des zones avec une forte « concentration de civils », mais il présente deux lacunes importantes.
Premièrement, le Protocole III ne restreint que partiellement l’utilisation d’armes incendiaires lancées depuis le sol dans des zones où se trouvent de nombreux civils, comme dans le cas des tirs d’artillerie au phosphore blanc à Gaza. Deuxièmement, le Protocole définit les armes incendiaires comme toute arme ou munition qui est « essentiellement conçue » pour mettre le feu à des objets ou pour infliger des brûlures à des personnes. Cette définition peut donc être perçue comme excluant les munitions polyvalentes, telles que celles qui utilisent le phosphore blanc comme écran de fumée, même si ces armes provoquent le même effet incendiaire. Human Rights Watch et de nombreux États parties à la CCAC ont recommandé de combler cette lacune et de renforcer les restrictions sur l'utilisation d'armes incendiaires lancées depuis le sol.
Human Rights Watch soutient l'appel aux États parties à la CCAC pour qu'ils conviennent, lors de leur réunion de novembre 2023, de discuter du statut et de ces aspects du Protocole III.
- Quelles ont été les politiques et pratiques israéliennes concernant l’usage du phosphore blanc dans le passé ?
Du 27 décembre 2008 au 18 janvier 2009, lors de son Opération « Plomb fondu », l’armée israélienne a tiré depuis le sol environ 200 munitions au phosphore blanc sur des zones peuplées de Gaza. Les forces israéliennes ont notamment utilisé des projectiles d’artillerie M825E1 d’un calibre de 155 mm, qui répandent des morceaux de phosphore blanc enflammé à 125 mètres dans toutes les directions, leur conférant ainsi un effet de large zone d’impact. Le ministère israélien des Affaires étrangères avait alors affirmé que l’armée israélienne avait utilisé ces obus uniquement pour créer des écrans de fumée. Cependant, quel que soit leur objectif apparent, Human Rights Watch a constaté que les six incidents documentés en décembre 2008 et janvier 2009 ont fait des dizaines de victimes civiles. Les obus au phosphore blanc ont également endommagé des structures civiles, notamment une école, un marché, un entrepôt d'aide humanitaire et un hôpital.
Ces attaques ont suscité une réaction d’indignation aux niveaux international, mais aussi national. En 2013, en réponse à une requête déposée devant la Haute Cour de justice d’Israël concernant les attaques à Gaza, l’armée israélienne a affirmé qu’elle n’utiliserait plus de phosphore blanc dans les zones peuplées, sauf dans deux types de situations précis qu’elle a décrits uniquement aux juges. Dans la décision du tribunal, la juge Edna Arbel a conclu que l’utilisation du phosphore blanc serait donc « une exception extrême dans des circonstances très précises ». Bien que cet engagement envers la Cour ne représentait pas un changement officiel de la politique israélienne, la juge Arbel a appelé l’armée israélienne à procéder à un « examen approfondi et complet » de cette question, et à adopter une directive militaire permanente au sujet du phosphore blanc.
Par la suite en 2013, l’armée israélienne a annoncé qu’elle développait de nouveaux obus fumigènes, sans phosphore blanc. Elle a ajouté qu'elle se réservait le droit d'utiliser et de stocker ses munitions au phosphore blanc jusqu'à ce qu'elle dispose d'alternatives suffisantes. Le communiqué des Forces de défense israéliennes a précisé : « Selon le résultat de ce processus de développement, les nouveaux obus sont destinés à remplacer progressivement les obus fumigènes actuels en tant que principal moyen utilisé par les FDI [Forces de défense israéliennes] comme écrans de fumée. »
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