Contrairement à beaucoup de personnes sur les réseaux sociaux depuis une semaine, je ne prétends pas être un expert d'Israël et de la Palestine.
Je travaille sur ce conflit et les abus qui en découlent depuis une vingtaine d'années, mais je n'ai pas été au cœur de l'action, jour après jour, pendant toute cette période, comme un véritable expert. Comme pour tant d'autres conflits en cours dans le monde, j'ai tendance à venir soutenir l’expertise de mes collègues uniquement lorsque les choses s'enveniment.
Pour ce faire, je passe beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, où la désinformation est omniprésente dans le cadre des conflits – en particulier dans les moments les plus difficiles. Comme si les atrocités en réponse aux atrocités ne suffisaient pas, certains ressentent le besoin d’en inventer d’autres à des fins de propagande.
Cependant, le pire lorsque l’on est présent sur les réseaux sociaux dans ces moments-là, selon moi – et la semaine dernière n'a pas fait exception – c'est peut-être la façon dont certaines personnes réagissent à l’annonce d’une nouvelle horreur.
Lorsque, par exemple, je publie quelque chose à propos d’enfants qui ont été tués, je vois certains lecteurs qui veulent d'abord savoir de quels enfants il s'agit avant de passer à l’indignation ou à la justification. Cette mentalité, cette humanité conditionnelle, est, selon moi, une partie importante du problème dans de nombreux conflits.
Je m'attends à ce que les gens s'inquiètent avant tout du fait que des enfants aient été tués. Je m'attends à ce qu'ils exigent ensuite que les assassins soient traduits en justice. Les victimes étaient des enfants, et ces hommes armés de fusils ou de bombes les ont tués. Qui se soucie du reste ?
Et je suis toujours surpris (je refuse de vivre autrement) de constater que l'empathie de certaines personnes s'arrête dès qu'elles apprennent que les victimes ne correspondent pas à leur narratif préféré.
Cela revient à dire : « Oh, les enfants de ces personnes, de cette religion, de cette couleur de peau… Eh bien, je suis sûr que les hommes armés de fusils ou de bombes savaient ce qu'ils faisaient. Et ce n'est de toute façon pas de leur faute. Ils avaient leurs raisons. Que voulez-vous qu'ils fassent d'autre dans cette situation ? N'oubliez pas ce que notre camp a subi ! »
Sur les réseaux sociaux, on entend surtout ce discours de la part des « supporters » internationaux des conflits – ces supporters de leur équipe qui restent sur la touche et n'ont jamais à se préoccuper de passer une minute sur le terrain. Mais il est parfois difficile de s'en rendre compte, car la plupart des grandes gueules qui s'expriment en ligne sont anonymes.
Les personnes sur le terrain, celles qui vivent dans des conditions dangereuses, celles qui ont subi des pertes terribles ou qui attendent désespérément le retour d'êtres chers, éprouveront naturellement des émotions fortes. Certains souhaiteraient peut-être que d'autres ressentent la même douleur.
Mais beaucoup (je dirais même la plupart) des personnes que j'ai rencontrées et qui ont vécu quelque chose d'horrible parviennent, avec le temps, à la conclusion qu'elles ne voudraient jamais qu'une autre personne vive cette expérience. Certains des plus fervents défenseurs de la paix et de la justice que j'ai rencontrés dans diverses régions du monde sont passés par ce processus.
La prolifération en ligne de partisans en marge de chaque conflit n'est peut-être pas tout à fait nouvelle, mais elle n’arrange rien. Elle peut donner l'impression que l'opinion publique mondiale est plus assoiffée de sang qu'elle ne l'est en réalité, que le monde acceptera ce que les décideurs disent « devoir être fait ».
L'un des principaux arguments avancés est que tous les enfants ne sont pas égaux et que les atrocités commises à leur encontre peuvent être justifiées lorsque c'est « notre camp » qui les commet. L'humanité devient conditionnelle, en fonction de qui tue et de quel côté les innocents meurent.
C'est ainsi que davantage d'enfants sont tués.
Il n'y a pas que les enfants, bien sûr. Partout, nous voyons toutes sortes de personnes vulnérables et irréprochables payer le prix des actions des armées et des seigneurs de la guerre : des personnes âgées, par exemple, et d'autres civils.
Les enfants ont simplement été au centre des préoccupations ces derniers temps, parce qu'ils représentent environ la moitié de la population de Gaza.
Le gouvernement israélien a assiégé Gaza, ce qui a entraîné des conséquences humanitaires désastreuses. Il a dit aux habitants du nord de la bande de Gaza (dont la moitié sont des enfants) de fuir alors qu'ils n'avaient nulle part où aller. Il utilise du phosphore blanc durant ses opérations militaires, exposant les civils (dont la moitié sont des enfants) à des risques supplémentaires de blessures graves et à long terme.
Nous envisageons maintenant la possibilité d'une invasion à grande échelle de Gaza, avec des conséquences horribles à la clé. Le langage incendiaire des responsables israéliens fait froid dans le dos, compte tenu des antécédents de l'armée israélienne en matière d'attaques aveugles ayant déjà tué des milliers de civils à Gaza.
Aucune de ces horreurs n'est justifiée par l'abominable attaque du Hamas du 7 octobre (dont les victimes comprennent des dizaines, voire des centaines d'enfants), ni par sa détention inhumaine d'otages (parmi lesquels pourraient se trouver des enfants), qu'il devrait bien sûr libérer immédiatement et sans condition.
Mais personne n'est autorisé à commettre des atrocités parce que l'ennemi l'a fait.
Les « lois de la guerre » – également connues sous le nom de droit humanitaire international – consacrent les principes fondamentaux de l'humanité qui s'appliquent à toutes les parties à un conflit. Contrairement aux grandes gueules et aux propagandistes des réseaux sociaux, elles ne privilégient pas certains enfants par rapport à d'autres.
Je ne suis pas un expert de la question israélo-palestinienne. Vous ne l'êtes probablement pas non plus. Mais nous savons tous les deux qu'il est mal de tuer des enfants, quel que soit leur « camp ». Et nous savons tous les deux que la plupart des gens sont d'accord avec nous. Et le droit international est d'accord avec nous.
L'humanité n'est pas conditionnelle.