Nous avons commis d'innombrables atrocités contre votre peuple. Nous avons incendié vos villages, massacré vos pères et vos frères, violé vos mères et vos sœurs. Nous avons fait fuir des centaines de milliers d'entre vous au-delà de la frontière, et ceux qui sont restés ont été brutalement réprimés, des dizaines de milliers de leurs familles enfermées dans des prisons à ciel ouvert.
Maintenant, nous attendons de vous que vous combattiez pour nous, que vous donniez votre vie pour nous défendre.
L'audace avec laquelle l'armée du Myanmar traite la minorité rohingya est presque impossible à comprendre. Pendant des années, les militaires ont commis des crimes contre l'humanité et des actes de génocide à l'encontre des Rohingyas, et maintenant ils forcent les Rohingyas à collaborer avec eux, à se battre à leurs côtés.
Et "forcer" est le mot clé ici.
Depuis février, l'armée du Myanmar a enlevé et recruté de force plus d'un millier d'hommes et de garçons musulmans rohingyas dans l'État de Rakhine. Un nouveau rapport de HRW décrit comment les Rohingyas ont été enlevés lors de raids nocturnes et menacés d'être arrêtés et battus s'ils ne s'enrôlaient pas. Certaines victimes n'ont que 15 ans.
Les militaires ont également eu recours à d'autres menaces, rendues possibles par la situation horrible dans laquelle ils maintiennent de nombreux Rohingyas.
Alors que plus de 730 000 Rohingyas ont fui le pays, notamment lors de la campagne d'atrocités de masse menée par l'armée en 2017, quelque 630 000 Rohingyas vivent toujours au Myanmar dans un système d'apartheid et de persécution. Parmi ces personnes, on compte environ 150 000 personnes détenues dans des camps. Depuis le coup d'État militaire de 2021, la junte leur impose de sévères restrictions de mouvement et bloque l'aide humanitaire.
Tout cela les rend plus vulnérables au recrutement forcé dans l'armée. Enrôlez-vous, disent-ils, ou les restrictions s'aggraveront, vos rations seront réduites, ou nous déclencherons peut-être une nouvelle série d'arrestations massives à l'encontre de votre famille et de vos voisins.
C'est ignoble, et il y a pire encore. La junte fonde ses mesures sur une loi relative à la conscription militaire qui ne s'applique qu'aux citoyens du Myanmar, or les Rohingyas se sont vus refuser leur droit à la citoyenneté depuis longtemps. C'est précisément l'un des principaux arguments avancés par les autorités pour justifier la terreur qu'elles font régner sur les Rohingyas depuis des années : elles affirment qu'ils ne sont pas du tout citoyens du Myanmar. Et maintenant, on attend d'eux qu'ils s'enrôlent dans l'armée comme des citoyens ?
Ce qui arrive aux hommes et aux garçons après leur enrôlement forcé dans l'armée n'est probablement pas une surprise. Ils sont envoyés dans des camps d'entraînement abusifs pendant une courte période, puis beaucoup d'entre eux sont envoyés en première ligne dans la lutte de la junte contre le groupe armé de l’Arakan Army.
Un certain nombre de ces recrues forcées ont déjà été tuées, et certains de leurs corps n'ont même pas été rendus à leurs familles. D'autres ont été gravement blessés. On ne sait pas où se trouvent de nombreuses autres personnes.
Ce qui se passe au Myanmar, comme le dit ma collègue Shayna Bauchner, est le « dernier exemple en date de l’exploitation par l'armée d'une communauté rendue vulnérable aux abus par nature, au cours de dizaines d’années d'oppression. »
Cela fait des années qu'on laisse la situation horrible dans le pays se propager et se détériorer. Des crimes tels que le recrutement forcé continuent de se produire parce que leurs auteurs n'en paient pas le prix. Le monde extérieur n'a pas fait assez pour soutenir la justice et tenir les dirigeants de la junte responsables de leurs abus, passés et présents.
Si l'on veut que l'avenir soit différent, il faut que cela change.